Six : c’est le nombre de générations en France qu’il faut pour gravir l’échelle sociale et sortir de la pauvreté. Dans les quartiers populaires, un élève sur trois qui en a les capacités renonce aux études supérieures (France Stratégie, « Scolarités, le poids des héritages », Johanna Barasz, Peggy Furic et Bénédicte Galtier, Septembre 2023). Ces chiffres de France Stratégie ne cessent de tracer la voie de millions de jeunes français, en même temps qu’ils creusent un fossé de plus en plus profond entre les citoyens issus de milieux populaires et les classes moyennes et supérieures. Ils déclassent la France chaque année dans les enquêtes PISA, en même temps qu’ils contribuent à alimenter les frustrations, quand 24 % des Français n’ont pas le sentiment de faire véritablement partie de la société française, d’après le dernier rapport annuel sur l’état de la France du Conseil économique social et environnemental.
Pourtant, d’autres pays avec des défis sociaux proches des nôtres ont de bien meilleurs résultats. Et les politiques publiques et dispositifs en faveur de plus d’égalité des chances sont nombreux en France : programmes d’éducation prioritaire, internats d’excellence, cordées de la réussite, dédoublement des classes, … L’engagement des entreprises et des acteurs de l’innovation sociale n’a d’ailleurs jamais été aussi important, pour augmenter le nombre de stages à destination des élèves issus de Zones d’Education Prioritaires, organiser des journées de découvertes, proposer du mentorat et même travailler sur le recrutement inclusif. Nombre de ces programmes ont de l’impact à leur échelle. Les évaluations le montrent : ils permettent à une poignée d’élèves d’accéder à l’enseignement supérieur, voire aux grandes écoles, mais ils n’ont jamais réussi à renverser les chiffres du déterminisme social. Pour changer le destin de générations, il faut passer à l’échelle les expérimentations qui ont de l’impact, et apporter des réponses aux besoins sociaux tout en cherchant à comprendre pourquoi ces besoins persistent. Cela signifie qu’il faut questionner la notion de mérite, la conception individualiste des compétences et le principe même d’égalité.
En effet, la méritocratie agit comme une fiction, un idéal inatteignable qui participe à l’effritement de notre cohésion sociale. Elle crée des frustrations dans la société et du ressentiment entre les « perdants » et les « gagnants » du système. Plusieurs années après, la crise des gilets jaunes reste une parfaite illustration des tensions immenses de la société et des ressentiments de générations qui ont le sentiment d’être déclassées. L’échec scolaire a aussi un coût massif pour les finances publiques (chiffré à 230 000 euros par décrocheur il y a 10 ans). Double peine.
Porter une voix rationnelle
Pour refaire société, commençons par l’école. L’école doit d’abord tenir ses promesses d’ascension sociale, notamment en accélérant la modernisation de tous les cursus, généraux comme professionnels et techniques. Cela concerne particulièrement les disciplines et les métiers peu valorisés socialement, grâce à des modèles et des représentations positives auprès des enseignants et des personnels de l’Education nationale en lien avec les jeunes et leurs parents.
De plus, il faut reconnaître que l’école doit être un lieu de réconciliation en favorisant la rencontre de tous les citoyens, à travers plus de mixité sociale entre établissements, et à l’échelle de chaque établissement. Les évaluations d’expérimentations, comme celles menées par des équipes de chercheurs affiliés à l’EHESS et au LIEPP en 2022 sur la mixité sociale, révèlent des impacts significatifs sur la connaissance de l’autre, le sentiment de sécurité, l’apaisement du climat social, et le renforcement du respect mutuel. Ce que montrent ces évaluations, c’est qu’en faisant se rencontrer toute une génération, on construit le vivre-ensemble et on renforce la santé de notre démocratie. Elles méritent d’être approfondies.
Alors que les questions de représentations et de mixité sont anciennes dans le débat public et souvent abordées sous des prismes idéologiques, la mesure d’impact permet ici de porter une voix rationnelle, axée sur l’apport de données factuelles.
Travailler sur la mixité sociale à l’école, questionner les représentations sur les métiers, lutter contre les stéréotypes et les idées reçues, c’est un projet de société qui doit dépasser les murs des établissements, et mobiliser l’ensemble des acteurs impliqués aux côtés de l’école, notamment les collectivités, les associations, et les entreprises. Pour refaire société, il faut repenser l’école pour qu’elle ne soit plus uniquement celle qui permet de sélectionner les meilleurs, mais aussi celle qui offre à tous la possibilité de s’épanouir et de vivre ensemble.
* Signataires
Tony Bernard, Directeur général, Impact TankAgnès Audier, Présidente, Impact TankBenjamin Blavier, Président fondateur du Collectif de L’AscenseurSaïd Hammouche, Cofondateur du Collectif de L’AscenseurMathilde Boulay, Déléguée générale du Collectif de L’AscenseurChristine Kolb, Co-fondatrice, Sycomore Asset Management, Présidente de la Fondation SycomoreDamien Baldin, Directeur général, Fondation la France s’engageEricka Cogne, Directrice générale de TélémaqueJocelyn Rigault, Directeur général du Choix de l’écoleNadège Béglé, Déléguée générale, Culture pour l’EnfanceAmel Hammouda, Directrice générale Article 1
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Publish date : 2025-05-10 06:30:00
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