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Langue française : comment l’anglais commence aussi à influencer notre grammaire

Langue française : comment l’anglais commence aussi à influencer notre grammaire

Connaissez-vous le « Grand Est Mondial Air Ballons » ? Non ? En soi, cet événement qui se revendique comme « le plus grand rassemblement de montgolfières au monde » offre un spectacle grandiose et suscite à juste titre l’admiration de centaines de milliers de spectateurs. On n’en dira pas autant de son intitulé, improbable illustration de ce franglais qui tient lieu de boussole à nombre de communicants. Car il faut en avoir conscience : l’empire de l’anglais sur le français ne se limite plus au vocabulaire. Il concerne désormais – c’est plus grave – le cœur de la langue, à savoir sa syntaxe, comme le soutient le linguiste Lionel Meney dans un récent ouvrage (1). Les exemples sont – hélas – trop nombreux pour être cités tous, mais en voici quelques-uns.

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Des constructions calquées sur l’anglais. Il semblerait que plus personne en France ne soit chargé d’un dossier ni responsable d’une mission. On est aujourd’hui « en charge de » (calque de in charge of). On n’est plus familier de, mais « familier avec » (to be familiar with). Le PSG ne recrute plus des joueurs, voyons, il « signe des joueurs » (to sign a player). Et ce ne sont pas les seules constructions bien de chez nous à connaître une sorte de grand remplacement, comme dirait l’autre. Tenir pour acquis cède la place à « prendre pour acquis » (to take for granted) ; traiter un problème à « adresser un problème » (to address a problem) ; les professions risquées aux professions « à risques » (at risk). A force, tout cela commence à avoir du sens, ou plutôt à « faire sens » (to make sens)…

Les prépositions. Dans le petit monde des publicitaires, « par » est désormais considéré à l’égal d’un fémur de mammouth déniché dans une grotte du néolithique. La mode est à « by », qu’il s’agisse d’Eau by Mcdo – de la part d’une multinationale états-unienne, on pouvait s’y attendre – mais aussi de Le Village by CA (Crédit agricole, une banque pourtant implantée au cœur de nos campagnes). Mention spéciale pour les slogans qui ne comprennent même plus un seul mot français, notamment Moov’in Paris by Renault ou Hellobank by Paribas (ils n’ont pas encore osé « Hellobank by Londonbas« , mais cela devrait venir). Et ne comptons pas sur les entreprises nationales pour sauver l’honneur puisqu’elles nous gratifient de splendides IZI by EDF et de Shop2Shop by Chronopost (« post » écrit à l’anglaise, cela va de soi).

Les conjugaisons. L’anglais privilégie la voie passive ? Celle-ci s’insinue chez nous. Au lieu de « nous vous avertirons », on entend de plus en plus souvent : « Vous serez notifié ».

Les noms des entreprises ou des événements. L’ordre des mots est fréquemment inversé dans les dénominations. Grand Est Mondial Air ballons, donc, mais aussi Schneider Electric Marathon de Paris, Lagardère publishing (dont la marque principale est… Hachette livres – Victor Hugo doit se retourner dans sa tombe !), Orange Vélodrome, Saint-Malo Agglomération et même, horresco referens, Sorbonne université.

L’orthographe. Comme le relevait mon talentueux collègue Alain Schifres dans un livre hilarant (My tailor is rich but my français is poor, First Editions), le recours à l’anglais est un moyen reconnu de ne pas commettre de fautes de français. Eh bien, ce n’est plus toujours le cas. Lionel Meney remarque en effet que loser est parfois écrit looser, avec deux « o » !

Les préfixes. Confronté toute la journée aux e-mails et aux e-factures émises par les e-commerces, je dois reconnaître qu’il m’arrive parfois de perdre mes e-nerfs.

Les suffixes. Sur le modèle du Watergate, qui entraîna la démission du président états-unien Richard Nixon, nombre de scandales sont désormais baptisés sous cette forme, du Dieselgate au Penelopegate en passant par le Nutellagate. Notons aussi la belle percée des suffixes -man (businessman, showman, self-made man) et -land (Disneyland, Aqualand, Jardiland, sans oublier le très osé Croquetteland).

Je vous épargne, ce serait trop facile, l’épidémie de mots affublés d’un -ing terminal, à ceci près que nous avons tout de même réussi l’exploit de créer des anglicismes qui n’existent pas outre-Manche, tels bronzing, caravaning, forcing ou relooking.

A ce stade, il n’est peut-être pas abusif de parler d’un véritable ing-gate

RETROUVEZ DES VIDÉOS CONSACRÉES AU FRANÇAIS ET AUX LANGUES DE FRANCE SUR MA CHAÎNE YOUTUBE

(1) Le naufrage du français, le triomphe de l’anglais, par Lionel Meney. Presse de l’université Laval (Québec).

DU CÔTÉ DE LA LANGUE FRANÇAISE

Amazon rappelé à l’ordre par le ministre québécois de la Langue française

Pas moins de 196 plaintes ont été déposées contre Amazon au Québec en trois ans pour non-respect de la Charte de protection de la langue française. « Les entreprises qui font affaire en ligne doivent elles aussi respecter la loi. Ce n’est pas négociable », a déclaré au Journal de Montréal le ministre chargé du sujet, Jean-François Roberge.

Cinq chansons en français à l’Eurovision 2025

Les chansons en langues nationales retrouvent des couleurs à l’Eurovision. Pour la première fois depuis plus de quinze ans, elles seront plus nombreuses que les chansons en anglais, rapporte le Huffington Post. Le français, notamment, sera utilisé par cinq candidats (France, Suisse, Luxembourg, Pays-Bas, Israël).

L’Académie française refuse des anglicismes entrés dans le Robert et le Larousse

On compte quatre à cinq fois plus d’emprunts à l’anglais dans le Petit Robert et dans le Petit Larousse que dans le Dictionnaire de l’Académie française, selon les calculs effectués par Léopold Julia, qui a comparé l’emploi des anglicismes par les francophones et leur traitement lexicographique. Sa conclusion en découle : les immortels ne se comporteraient pas en « observateurs de la langue », comme ils l’affirment, mais bien en « prescripteurs ».

L’unilinguisme français et les dictionnaires (2019-2021). Le traitement lexicographique des anglicismes, par Léopold Julia, L’Harmattan

Retrouvons-nous à Marennes les 16 et 17 mai

« Même le français est une langue régionale ! » Tel est le titre de la conférence que je donnerai le vendredi 16 mai à 18 heures à la Maison des initiatives et des services de Marennes (Charente-Maritime) dans le cadre du festival Francofiesta. L’occasion de dresser un parallèle entre la situation de notre langue nationale au Canada et celui des langues dites régionales en France. Le lendemain, de 14 à 15 heures, je proposerai dans le jardin public un quiz humoristique consacré aux langues de France et du monde.

DU CÔTÉ DES AUTRES LANGUES DE FRANCE

Plus votre accent régional est fort, plus votre salaire est faible

Tel est le résultat d’une étude menée par des chercheurs des universités de Chicago et de Munich. En cause : les stéréotypes négatifs associés à certaines prononciations. Le sujet est loin d’être anecdotique : l’écart de rémunération peut atteindre jusqu’à 20 %.

Le député Corentin Le Fur défend le prénom Fañch

Le député (LR) des Côtes-d’Armor Corentin Le Fur a déposé une proposition de loi visant à « promouvoir les langues régionales en autorisant les signes diacritiques à l’état civil ». A l’heure actuelle, des prénoms bretons, occitan ou catalan comme Fañch, Artús ou Martí sont refusés par l’administration.

Participez au festival catalan Identi’CAT

Comme chaque année depuis 2002, le festival Identi’CAT mettra à l’honneur la culture et la langue catalanes au nord des Pyrénées. Organisé à Bao et à Pesillà de la Ribera (Baho et Pézilla-la-Rivière, en français) du 28 au 31 mai, il proposera concerts, pièces de théâtre, spectacles et castells (pyramides humaines). Entrée gratuite.

Corsica Comix Edition, la BD en langue corse

Corsica Comix Edition est une maison d’édition indépendante spécialisée en BD. Elle s’est donné pour mission de produire et promouvoir la création corse en bande dessinée. Deux nouveaux albums de sa série Petru Santu, qui fête cette année ses 20 ans, paraîtront en juin.

DU CÔTÉ DES LANGUES DU MONDE

Comment le Bade-Wurtemberg tente de sauvegarder ses langues régionales

Le gouvernement du Bade-Wurtemberg vient de dévoiler sa stratégie pour la sauvegarde de ses langues régionales. Deux postes ont notamment été créés à l’université pour élaborer un dictionnaire en ligne et développer des ressources pour les écoles, souligne ce reportage d’Ici Alsace.

À ÉCOUTER

Parlez en langues régionales aux IA !

L’intelligence artificielle peut-elle promouvoir les langues minoritaires ? Oui, estime Benoît Dazéas, le directeur du Congrès permanent de la langue occitane. Selon lui, on peut déjà converser en occitan avec ChatGPT, même s’il reste des erreurs. Aussi encourage-t-il les internautes compétents à parler en langues dites régionales avec les agents conversationnels afin d’améliorer leurs performances. « La machine apprend la langue en fonction des données qu’elle reçoit », rappelle-t-il.

À REGARDER

Minato, par le duo Thouxazun

Le duo Thouxazun rassemble Guilhem Lopez et Clément Rousse, deux musiciens issus respectivement de Thoux, un village du Gers, et du Val d’Azun, dans les Hautes-Pyrénées. Ils publient un nouvel album avec 11 convits (invités), composé de 16 titres à danser. Le tout en trois langues : occitan, français et castillan.

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Author : Michel Feltin-Palas

Publish date : 2025-05-13 04:15:00

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