L’Express

« Sans lui, il serait un paria… » : Donald Trump – MBS, la bromance des pétrodollars

« Sans lui, il serait un paria… » : Donald Trump – MBS, la bromance des pétrodollars

Il est le premier dirigeant à l’avoir eu au téléphone lors de son retour à la Maison-Blanche. Hormis le voyage pour les funérailles du pape François, il n’y a donc pas de hasard à ce que Donald Trump réserve son premier déplacement à l’étranger à l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane lors de sa tournée dans le Golfe qui démarre ce mardi 13 mai et doit l’emmener aussi au Qatar et aux Emirats arabes unis. Depuis 2017 et la première élection du républicain, tout concourt à rapprocher ces deux hommes : les contrats commerciaux juteux et une ambition géopolitique sans limites. « Un gars fantastique », ose même le président américain pour justifier cette relation exceptionnelle avec le nouveau maître du Moyen-Orient. Faut-il y voir un signe lorsque, en janvier dernier, Donald Trump esquisse quelques pas de danse et tranche son gâteau d’investiture avec un sabre, le symbole du drapeau saoudien ? La même arme déjà utilisée en 2017 lorsqu’il participe à « l’ardha », la traditionnelle danse saoudienne en présence du roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud. Deux événements qui, à l’époque, ne sont pas passés inaperçus dans la presse saoudienne…

Au cœur de cette tournée censée s’étaler jusqu’au 16 mai, de mirobolantes promesses d’investissements aux Etats-Unis sur fond de pétrodollars. Le royaume wahhabite veut injecter près de 600 milliards de dollars aux États-Unis sur les quatre prochaines années en échange d’armes et d’un accès à certaines technologies de pointe. Le gratin entrepreneurial américain est attendu à Ryad pour participer à un forum économique : Elon Musk de Tesla, Sam Altman d’OpenAI, Mark Zuckerberg de Meta ou bien encore les PDG de Blackrock, Citigroup, IBM, Boeing et American Airlines. Avec à la clé, des signatures de contrats et une relation américano-saoudienne renforcée.

« MBS n’est pas aliéné par une alliance privilégiée avec Washington et pratique sans états d’âme une forme de polygamie diplomatique. Il s’entend bien avec le Russe Vladimir Poutine, avec le Chinois Xi Jinping – son premier client pétrolier -, mais Trump et MBS ont un ADN commun. Ils sont tous les deux transactionnels. Le président américain se situe structurellement dans une logique mercantiliste, tout en aimant le clinquant ; et l’obsession du prince héritier, c’est de réussir son fameux plan Vision 2030 (NDLR : le gigantesque programme de modernisation post-pétrolier du royaume). Tous les deux veulent un résultat positif », décrypte David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste de la péninsule arabique.

Pour y parvenir, le géant pétrolier saoudien Aramco – principal pourvoyeur de fonds de Vision 2030 – doit fonctionner à plein rendement. Mais la manne pétrolière montre quelques signes d’essoufflement, avec un recul de 4,6 % du bénéfice net de l’entreprise étatique au premier trimestre de l’année 2025. Les volte-faces récentes de Donald Trump en pleine guerre commerciale n’y sont pas étrangères et alimentent les inquiétudes à Riyad. Dans ce contexte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, avec les autres pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés (Opep +), décident d’augmenter fortement leur offre de pétrole. De quoi mettre Donald Trump, que toute baisse du cours du brut enchante, dans les meilleures dispositions pour rencontrer le prince héritier…

Une Trump Tower doit voir le jour à Jeddah

Même après son départ de la Maison-Blanche en 2021, les liens entre Ryad et l’équipe de Donald Trump n’ont jamais cessé, grâce notamment à son conglomérat, la Trump Organization. Celui-ci est dirigé depuis 2016 par les enfants du président, mais leur père est resté actionnaire à travers un trust. Et il semble que l’approche traditionnelle des dirigeants du Golfe consistant à octroyer des contrats juteux pour gagner en influence à Washington se soit étendue jusque dans la famille présidentielle… Dans une enquête particulièrement fouillée, le New York Times raconte que, depuis plusieurs semaines, les enfants du locataire de la Maison-Blanche sillonnent l’Europe et le Proche-Orient pour promouvoir la marque immobilière – une « Trump Tower » doit voir le jour à Jeddah, la deuxième ville d’Arabie saoudite – et leur business de cryptodevises. Lorsqu’ils ne sont pas à ses côtés aux Etats-Unis, son fils Eric, 41 ans, fait la promotion de son entreprise de cryptomonnaies à Dubaï, tandis que Donald Junior, 47 ans, participe à une conférence sur la monétisation sous l’ère « Maga » lors du Forum économique du Qatar.

En septembre dernier, ils ont déjà associé, avec leur père, leur nom à une plateforme d’échanges de cryptomonnaies, World Liberty Financial, en compagnie des fils Witkoff, du nom du magnat de l’immobilier et émissaire américain pour le Moyen-Orient et la guerre en Ukraine. En 2021 déjà, la presse révélait que le fonds privé du gendre et ancien conseiller du président, Jared Kushner, avait levé de l’argent auprès du fonds souverain d’Arabie saoudite, quelques mois après avoir quitté la Maison-Blanche, pour un montant estimé à deux milliards de dollars. Le détail n’est pas anodin, d’autant que Jared Kushner aurait lui aussi pris part, selon Reuters, aux discussions avec l’Arabie saoudite sur la normalisation des relations avec Israël. Un mélange des genres, entre intérêts financiers privés et enjeux politiques, qui fait grincer des dents au sein de l’opposition démocrate à Washington mais qui n’échaude nullement le prince héritier. « MBS est plus à l’aise avec Trump car il n’y a pas cet aspect de valeurs politiques et morales qui entrent en jeu », détaille Bernard Haykel, professeur au département des études proche-orientales à l’université de Princeton, aux Etats-Unis. « Il faut bien comprendre qu’en 2015, l’administration américaine d’Obama et la CIA avaient un autre candidat préféré comme nouveau roi du royaume : Mohamed ben Naef Al Saoud, l’ex-ministre de l’Intérieur et le partenaire dans toute la guerre contre Al-Qaeda et le terrorisme. Quand Trump est arrivé en 2017, MBS a trouvé un allié. Leurs intérêts se sont croisés », détaille-t-il.

Un activisme géopolitique débordant

Aujourd’hui, le prince héritier et Donald Trump rêvent en grand sur la scène géopolitique. Portés par un activisme débordant, ils se veulent les acteurs d’un nouvel équilibre mondial. De l’invasion russe en Ukraine, au Cachemire indien, du nucléaire iranien au conflit avec les Houthis – qui viennent de signer un cessez-le-feu -, tous les dossiers sensibles passent aujourd’hui par Washington et Riyad, qui a bien compris l’importance d’une région stabilisée. Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump ne cache pas son grand rêve de voir Mohammed ben Salmane reprendre les accords d’Abraham, incluant une normalisation avec Israël, en échange d’un accord de sécurité et d’un soutien à son programme nucléaire civil. Mais le prince héritier a conditionné depuis une telle démarche vis-à-vis de l’Etat hébreu à l’établissement d’un Etat palestinien. Le 7 octobre, ainsi que l’offensive contre Gaza que les faucons israéliens veulent entièrement conquérir, ont éloigné cette perspective. Même si le prince héritier n’éprouve pas une grande empathie pour la cause palestinienne – à la différence de son père -, il ne peut toutefois se permettre de soutenir le plan de Trump visant à transformer l’enclave en « Riviera », au risque de heurter l’opinion publique arabe.

Dans cette bromance sans accroc, Donald Trump a en sa possession quelques atouts face à un MBS totalement métamorphosé médiatiquement. « Il est le seul dirigeant occidental à avoir sauvé la réputation du prince héritier lors de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul en 2018. Cela a été perçu comme une faveur importante. Sans le soutien de Trump, les Saoudiens eux-mêmes se seraient retournés contre Mohammed ben Salmane qui aurait été considéré comme un paria international. Donald Trump attend maintenant que MBS lui renvoie l’ascenseur », souligne Christopher Davidson, spécialiste du Golfe à la Durham University au Royaume-Uni.

Accueilli en grande pompe en Arabie saoudite, a-t-il lui aussi prévu un petit cadeau pour son fidèle allié ? Une dépêche datée du 7 mai de l’agence Associated Press le sous-entend. Le président américain envisagerait de rebaptiser le « golfe Persique » en « golfe d’Arabie ». Une question hautement sensible pour l’Iran avec qui les Saoudiens partagent cette très grande étendue d’eau dans l’océan Indien. « Toute tentative à visée politique de changer le nom historiquement établi de golfe Persique indique une intention hostile dirigée contre l’Iran et son peuple », a réagi sur X le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi, dans un message mentionnant Donald Trump et qui promet la « fureur » en cas de changement d’appellation.

De son côté, le locataire de la Maison-Blanche a bien du mal à dire non aux « cadeaux » venus de la région. Le Qatar a déjà décroché ses faveurs en voulant lui offrir un Boeing 747 ultraluxieux estimé à 400 millions de dollars. Signe que la compétition dans le Golfe est féroce. Mohammed ben Salmane devra donc frapper fort pour marquer des points lors de la tournée.



Source link : https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/sans-lui-il-serait-un-paria-donald-trump-mbs-la-bromance-des-petrodollars-KXWFMUFY75HGNIWG6LTPLEPIPQ/

Author : Charles Carrasco

Publish date : 2025-05-13 07:21:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express