« J’ai consacré ma vie à combattre l’antisémitisme et l’israélophobie. Mon engagement en faveur de l’existence d’Israël, dans la paix et la sécurité, n’a jamais faibli. Pourtant, au vu de la situation actuelle, je suis convaincu que les juifs établis à l’étranger ont non seulement le droit, mais aussi le devoir de s’exprimer » écrit Marc Knobel dans L’Express le 8 mai.
Engagée depuis de nombreuses années dans la lutte contre l’antisémitisme, je ne peux que faire mienne cette phrase de l’historien, qui m’intime l’obligation morale de prendre la parole aujourd’hui. Pour lui dire, à lui comme à d’autres amoureux d’un Israël idéal – moralement irréprochable, spirituellement élevé, éthiquement supérieur et juridiquement immaculé – qu’ils rêvent d’un monde idéal qui n’existe point.
Marc Knobel évoque la « radicalisation d’Israël » tout entier, ainsi qu’une « logique d’exclusion et de rejet », qu’il attribue au traitement réservé aux habitants de Gaza. Il affirme également qu’ »Israël devra faire la paix avec les Palestiniens ». Mais est-ce vraiment possible ? L’historien n’ignore sans doute pas que toutes les tentatives de paix avec lesdits Palestiniens se sont soldées par des refus catégoriques : non, non, et encore non. Pour qu’un accord de paix voie le jour, il faut que les deux parties y trouvent un intérêt. Or, dans son appel humaniste, Marc Knobel semble avoir oublié de convoquer la responsabilité des Palestiniens. Ce n’est pourtant pas à ce spécialiste qu’il faut rappeler toutes les occasions manquées.
Les quatre conditions d’un accord de paix
Alors que le monde s’extasiait sur les accords d’Oslo, signés par Itzhak Rabin et Yasser Arafat, certains observateurs arabes se réjouissaient ouvertement de la naïveté de certains Israéliens et des élites occidentales. Arafat lui-même, dans une mosquée de Johannesburg, qualifia ces accords de « Houdaybiya », en référence au pacte temporaire conclu par le prophète Mahomet avec les Quraychites (— un pacte stratégique), non sincère, et rompu dès que les conditions furent favorables.
En 2000, Arafat refusa encore de signer un accord de paix, plantant au dernier moment Bill Clinton et Ehud Barak. Bill Clinton raconte cet épisode dans une conférence récente et dans un texte publié par Le Monde en 2002.
Plutôt que de dresser une liste d’occasions avortées que Marc Knobel connaît certainement par cœur, rappelons ce qu’énonce le professeur Elie Podeh du Département d’islam et d’études du Moyen-Orient à l’Université hébraïque. Pour qu’un accord de paix aboutisse, quatre conditions doivent être réunies : 1) La légitimité des dirigeants ; 2) La volonté de ces dirigeants de prendre des décisions audacieuses pour infléchir le cours de l’histoire ; 3) Un niveau suffisant de confiance entre les parties ; 4) L’implication d’un tiers crédible. À défaut, l’échec est inévitable. Et il ne saurait être interprété comme une simple occasion manquée due à la mauvaise volonté d’une seule partie. Il s’agit là d’un échec structurel, dicté par des conditions objectives, et non par des intentions individuelles.
Aucune de ces conditions n’est respectée. La quatrième condition sera bientôt tournée en dérision par les interventions de personnalités tierces comme Emmanuel Macron et Mohammed ben Salmane, au sommet de Paris en juin. Tournée en dérision, car discuter de la reconnaissance d’une entité aux frontières incertaines, sans institutions viables, dont les représentants affichent une hostilité constitutive à l’État d’Israël et ne le reconnaissent pas – malgré la déclaration d’Arafat en 1993 – ne saurait constituer une médiation tierce, mais bien l’exclusion des véritables protagonistes.
Seul rempart contre une extermination totale
Quant à cette accusation d’ »Israël radicalisé », il faut rappeler que les otages n’ont toujours pas encore été rendus à leurs familles. Que les civils palestiniens souffrent aussi parce qu’ils n’ont pas exigé de leurs dirigeants qu’ils cessent la guerre – ou qu’ils ne la déclenchent pas. Israël, dans son état prétendument « radicalisé », est aujourd’hui le seul rempart contre une extermination totale.
Cet Israël « radicalisé » a élevé une génération de jeunes volontaires pour le service militaire, y compris chez les réservistes quadragénaires ou quinquagénaires, qui affirment à l’unisson que la sécurité de leurs enfants est leur priorité absolue. Il faut écouter les témoignages en hébreu de ces soldats, de ces hommes et femmes déterminés.
Passons enfin aux références au « droit international », toujours brandi contre Israël comme une incantation rituelle. Certes, le corpus juridique international existe. Marc Knobel écrit : « Les principaux instruments juridiques internationaux, tels que les Conventions de Genève et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, prohibent explicitement la destruction systématique de biens, l’expulsion de populations et toute attaque ciblant des civils dans les territoires occupés. » Force est de rappeler qu’Israël n’est pas partie au Statut de Rome et n’est donc en aucune manière justiciable de la Cour pénale internationale.
Par ailleurs, on peut supposer que l’historien fait référence à l’article 49 des Conventions de Genève (1949), qui interdit en effet les transferts forcés de population hors de leur État. Ces conventions, rédigées après la Shoah, visaient explicitement les déportations nazies, effectuées sous la contrainte, vers des camps de concentration situés dans d’autres pays. Gaza, quant à elle, n’est pas un territoire occupé par Israël : elle est dirigée par le Hamas, qui refuse de déposer les armes, et dont la charte prévoit expressément l’éradication de « l’entité sioniste », alors qu’un tel geste suffirait à mettre fin à la guerre.
Mener la guerre avec des pistolets à eau
Pour conclure, un mot sur l' »humanisme » dont se réclame Marc Knobel. En évoquant les devoirs d’Israël, il suggère que ce pays, attaqué par des barbares d’une cruauté inouïe, devrait s’abstenir de se défendre – au prétexte que ces barbares se retranchent derrière des civils. Or, cette instrumentalisation des populations civiles est, elle aussi, contraire aux lois de la guerre. Par ailleurs, l’article 2 de la Convention de Genève (1949) stipule : « Il est interdit en outre de faire d’un objectif militaire situé à l’intérieur d’une concentration de civils l’objet d’une attaque au moyen d’armes incendiaires autres que des armes incendiaires lancées par aéronef, sauf quand un tel objectif militaire est nettement à l’écart de la concentration de civils et quand toutes les précautions possibles ont été prises pour limiter les effets incendiaires à l’objectif militaire et pour éviter, et en tout état de cause, minimiser, les pertes accidentelles en vies humaines dans la population civile, les blessures qui pourraient être causées aux civils et les dommages occasionnés aux biens de caractère civil. »
Marc Knobel voudrait qu’Israël ne mène pas de guerre, ou, à défaut, qu’il la mène avec des pistolets à eau. Le Hamas, de son côté, connaît parfaitement les règles du jeu moral occidental. Il instrumentalise donc les civils précisément pour que les gens de bonne foi se lèvent et appellent à « l’humanisme » pour condamner Israël.
Ce discours de condamnation d’Israël sur le terrain moral est perçu par le Hamas et ses partisans comme un soutien implicite. Car empêcher Israël de détruire des infrastructures terroristes dissimulées dans tous les quartiers de Gaza revient, de facto, à soutenir les barbares – même si tel n’était pas l’intention de l’auteur.
*Yana Grinshpun est linguiste et maître de conférences à l’Université Paris III- Sorbonne-Nouvelle.
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Publish date : 2025-05-14 17:00:00
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