L’Express

« Du jamais vu en si peu de temps » : au Maroc, une réforme basée sur la science révolutionne l’école

« Du jamais vu en si peu de temps » : au Maroc, une réforme basée sur la science révolutionne l’école

« Le plan récemment mis en place en France pour remonter le niveau scolaire s’appelle ‘choc des savoirs’. Pour nous, c’est bien plus que ça… C’est carrément un électrochoc ! », s’exclame un responsable du ministère de l’Education marocain. En 2022, face aux très mauvais résultats obtenus lors des enquêtes internationales comme Pisa, Timss ou Pirls, dans lesquelles il se trouve alors régulièrement relégué dans les bas du classement, le Maroc décide de donner un grand coup de talon pour remonter à la surface. Avec une ligne directrice notable : le plan d’action « écoles pionnières », lancé à la rentrée scolaire 2023, a la particularité de s’appuyer sur des travaux de recherche en éducation qui ont fait leurs preuves à l’international.

Adaptation des méthodes pédagogiques des enseignants, distribution de cours standardisés, travail de mise à niveau des élèves en début d’année, instauration d’une culture de l’évaluation, rénovation des écoles… Les réformes fusent et font l’effet d’un chamboule-tout. Pascal Bressoux, professeur à l’université Grenoble-Alpes et membre du laboratoire de recherche sur les apprentissages en contexte (LaRAC), associé au projet depuis le départ, ne s’attendait pas à de tels effets. « En un an seulement, les résultats obtenus sont impressionnants. Du jamais-vu en si peu de temps ! Il faut dire aussi que les élèves partaient de très bas », confirme-t-il.

Ces dernières décennies, le Maroc avait surtout œuvré pour que les élèves trouvent enfin le chemin de l’école. « Nous sommes l’un des pays de la rive méditerranéenne qui ont le plus tardé à généraliser l’accès à l’enseignement. Cela s’est fait à la fois très tardivement et très vite, entre la fin des années 1980 et le début des années 1990. Aujourd’hui, 99 % des enfants sont scolarisés en primaire », explique-t-on au ministère de l’Education. Revers de la médaille : dans le même temps, la qualité des apprentissages, elle, s’est détériorée, puisque les deux tiers des 80 % d’élèves inscrits dans le public sont aujourd’hui en difficulté scolaire. D’où l’urgence d’agir pour le ministère : « Notre objectif est de doubler la proportion des élèves qui maîtrisent les savoirs fondamentaux d’ici à 2026. Cela ne peut que passer par des mesures radicales. »

Durant la première année, 2023-2024, le plan a concerné 626 écoles (sur les 8 000 au total que compte le pays), dites « pionnières », toutes volontaires. « Le fait de nous concentrer ainsi sur un premier échantillon nous permet de vérifier si les mesures fonctionnent et de les adapter éventuellement avant de les généraliser au niveau national », explique Pascal Bressoux. Le gouvernement a d’abord appliqué la méthode « Teaching at the right level » (« Enseigner au bon niveau », TARL), développée par l’ONG indienne Pratham et dont l’efficacité a été démontrée dans plusieurs pays en développement. Le principe ? Faire passer des tests de positionnement aux élèves en début d’année, notamment en lecture et en calcul, puis les répartir dans des groupes adaptés à leurs besoins et, petit à petit, leur faire franchir des paliers. Ce qui n’est pas sans rappeler la réforme initiée par Gabriel Attal en France, lors de son passage au ministère de l’Education nationale, en 2023. « La grande différence est que ce dernier avait voulu l’étendre à la totalité des collèges sans passer par cette phase de tests », souligne Marc Gurgand, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’Ecole d’économie de Paris (PSE) et à l’Ecole normale supérieure.

Instauration d’une culture d’évaluation

L’autre pilier de ce plan de redressement est le recours à une méthode appelée « enseignement explicite ». Celle-ci consiste à s’assurer que les élèves ont compris une leçon avant de passer à la suivante, à les emmener progressivement vers des tâches de plus en plus complexes mais aussi vers plus d’autonomie. Tous les enseignants ont été équipés de vidéoprojecteurs et d’ordinateurs portables afin de pouvoir diffuser des leçons standardisées et prêtes à l’emploi sous forme de diapositives. Ce qui représente un total de 3 000 cours et près de 300 000 « slides » couvrant les programmes de mathématiques, d’arabe et de français, produits par une équipe d’inspecteurs accompagnés par des experts internationaux.

« L’idée était de former un minimum les enseignants au départ puis de miser sur cette pratique pour qu’ils acquièrent eux-mêmes des automatismes grâce à ces supports. Ce qui représente un gain de temps considérable », explique Pascal Bressoux. De nouveaux manuels scolaires, alignés sur cette fameuse méthode d’enseignement explicite ou encore des capsules vidéo indiquant les bonnes pratiques, sont également en train d’être élaborés. « Il ne s’agit pas de robotiser nos professeurs, mais, au contraire, de les décharger de certaines tâches fastidieuses et de les aider à améliorer leurs pratiques pédagogiques en classe à travers des outils clés en main, validés par la recherche », précise le gouvernement marocain.

Enfin, ce système repose sur un contrôle régulier du niveau des élèves grâce à des « livrets de compétences ». Un système de vérification aléatoire a été mis en place pour s’assurer de l’objectivité des enseignants. « Progressivement, le Maroc a instauré une véritable culture de l’évaluation. Les résultats obtenus ont eux-mêmes été validés par des laboratoires internationaux indépendants et sérieux, comme J-PAL, affilié à l’université américaine MIT et cofondé par la Prix Nobel d’économie Esther Duflo », explique Marc Gurgand. Des comparatifs ont été faits entre 10 000 élèves issus des écoles pionnières et 10 000 autres enfants pris au hasard dans d’autres établissements et qui avaient tous des compétences égales au départ. A la fin de l’année scolaire, l’écart type de niveau entre ces deux groupes a été mesuré en arabe, en français et en mathématiques. « Dans cette dernière discipline, par exemple, l’écart type enregistré est de 90 %. Ce qui est énorme quand on sait que seulement 1 % des expérimentations menées à grande échelle en éducation débouchent sur des résultats similaires », commente Pascal Bressoux.

Progressivement, le programme gagne de l’ampleur. A la rentrée scolaire 2024, une deuxième cohorte de 2 000 écoles est venue s’ajouter aux 626 volontaires initiales, ce qui représente désormais 30 % de la totalité des établissements du primaire. L’objectif étant de couvrir à terme l’ensemble des 8 000 écoles publiques. Cette année, le ministère a lancé un autre dispositif baptisé « collèges pionniers », qui concerne 200 établissements du secondaire. L’accent est cette fois surtout mis sur les activités parascolaires, le développement socio-affectif des élèves, mais aussi le risque de décrochage scolaire. Tous les enseignants ont bénéficié d’une revalorisation salariale, et certains de ceux qui exercent dans les écoles pionnières, détentrices d’un label répondant à 12 critères qualité, ont reçu une prime de 1 000 euros.

Ce qui soulève la question du coût total de ce type de plans de grande envergure. « Le Maroc consacrait déjà 6 % de son PIB à l’éducation, ce qui est conséquent en comparaison internationale, alors même que les acquis des élèves restent très faibles. Le gouvernement a encore fait un effort budgétaire supplémentaire, mais avec une nouvelle logique d’impact axée sur les apprentissages », explique le ministère de l’Education. A l’horizon 2027, le Maroc entend bien remonter dans l’enquête internationale Timss, réalisée tous les quatre ans, dédiée aux résultats des élèves en mathématiques et en sciences, qui la classait à la 56ᵉ place sur 58 pays dans son édition 2023, malgré une légère amélioration des résultats en primaire. Jusqu’à rivaliser avec la France en 2031 ? A moins que cette dernière ne redresse elle aussi la barre, pourquoi pas en s’inspirant de certaines des recettes marocaines…



Source link : https://www.lexpress.fr/societe/education/du-jamais-vu-en-si-peu-de-temps-au-maroc-une-reforme-basee-sur-la-science-revolutionne-lecole-VTKNVSW25JER7INPG6UYJQUJVI/

Author : Amandine Hirou

Publish date : 2025-05-16 03:45:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express