Rebondissement dans l’affaire Amir Boukhors, influenceur algérien plus connu sous le nom d’Amir DZ. Ce vendredi 16 mai, quatre hommes ont été mis en examen pour l’avoir enlevé et séquestré, du 29 avril au 1er mai 2024, a annoncé le parquet national antiterroriste (PNAT). Selon les informations de L’Express, confirmés par deux sources proches du dossier, au moins un d’entre eux, M., appartient à la communauté des gens du voyage de Pontault-Combault (Seine-et-Marne). Amir Boukhors l’aurait formellement reconnu comme l’homme lui ayant passé les menottes, la nuit du rapt. Les enquêteurs soupçonnent le pouvoir algérien d’avoir commandité cette opération, qualifiée d' »association de malfaiteurs terroriste » par le juge d’instruction, et d’en avoir confié l’exécution à des hommes de main. Ces « gros bras » n’auraient pas agi par idéologie mais contre une importante rémunération.
Le brouillard se dissipe lentement autour de cette affaire d’Etat, s’agissant du kidnapping d’un opposant algérien, réfugié politique en France. A la mi-avril, déjà, trois hommes ont été mis en examen et placés en détention, dont S. R., un agent consulaire algérien, en poste à Créteil. Pour rappel, Amir Boukhors dit avoir été kidnappé le 29 avril 2024 vers 23 heures 30, par quatre hommes lui ayant barré la route en voiture, près de son domicile dans le Val-de-Marne. Ce commando, dont certains membres arboraient un brassard de police, l’aurait emmené dans une déchetterie, à Pontault-Combault, où quatre autres personnes l’attendaient. On l’aurait alors drogué par voie orale, puis installé dans un bâtiment pré-fabriqué de type Algeco. Une forte dose de produit somnifère, correspondant à la composition du Zopiclone, sera retrouvé dans le sang d’Amir Boukhors. A son réveil, vers 10 heures du matin, il découvre en sus deux femmes à son chevet, qui le prennent pour un trafiquant de drogue et disent s’être vu promettre 1 000 euros chacune pour jouer les gardiennes ; l’une d’elles fond en larmes en découvrant la méprise. Après moult tergiversations, Boukhors est relâché en forêt dans la nuit du 30 avril au 1er mai.
Officiels, entremetteurs et « gros bras »
Dans quel but Amir DZ a-t-il été kidnappé ? Dans une ordonnance du 7 mai 2025, le juge d’instruction révèle la conviction actuelle des enquêteurs français : le rapt aurait eu pour but d’exfiltrer de force l’influenceur vers l’Algérie en passant par l’Espagne. Une peine de 20 ans de prison, prononcée en 2023, l’attendant à Alger. Un modus operandi similaire à celui subi par le dissident Hichem Aboud, le 17 octobre 2024, à Barcelone. Il sera retrouvé in extremis le lendemain à Lebrija, au sud de l’Espagne, près d’un bateau prêt à embarquer.
Les enquêteurs de la DGSI et de la brigade criminelle de Paris estiment aujourd’hui que trois types d’acteurs ont participé à cette opération hors-normes : les officiels algériens, les « entremetteurs » et les hommes de main. En plus de S.R., deux diplomates algériens auraient joué un rôle clé. Selon les policiers, il s’agit en réalité d’un sous-officier et d’un officier de la DGDSE, les services secrets extérieurs algériens. S.S travaillait à l’ambassade d’Algérie à Paris, sous la couverture de premier secrétaire, un poste élevé dans l’organigramme diplomatique algérien. Il est soupçonné d’avoir joué un rôle très actif dans l’opération en prenant plusieurs fois en filature Amir Boukhors, comme S.R. Son téléphone a aussi borné près de la voiture de l’influenceur à un moment où les policiers estiment qu’un « traqueur », pour suivre ses déplacements, aurait pu être installé.
Du consulat à la déchetterie
Surtout, la nuit du 29 avril au 30 avril, S.S. retire 2 000 euros à un distributeur de l’Est parisien, à 2 heures 19. Une somme correspondant très exactement à ce que devaient toucher les deux « gardiennes », selon les déclarations d’Amir Boukhors à la police lors de ses premières auditions en mai 2024. Le téléphone de S. R. borne à proximité de S.S, ils sont semble-t-il ensemble. Les deux officiels « bornent » ensuite… au consulat de Créteil, en compagnie de K.S.M. et S.L., deux hommes défavorablement connus des services de police, aujourd’hui mis en examen et emprisonnés en compagnie de l’agent consulaire.
Ces deux Franco-Algériens sont soupçonnés d’avoir joué un rôle d’intermédiaire entre les diplomates algériens et les hommes de main, afin qu’aucun contact direct ne puisse être retrouvé entre ces acteurs que tout semble a priori séparer. Reste qu’après la réunion nocturne du consulat de Créteil, plusieurs de ces hommes « bornent » près de la déchetterie de Pontault-Combault. Ils se déplacent jusqu’à six heures du matin, selon une source proche du dossier. Une vingtaine de communications entre les trois « cercles » ont été identifiées par les enquêteurs durant cette nuit du 30 avril. Quelques heures après la libération de l’influenceur, le 1er mai, S.R. prend un vol depuis Orly vers Alger. Lors d’un de ses retours sur le territoire français, en avril 2025, les enquêteurs décident de l’interpeller après avoir remarqué qu’à au moins une reprise, il s’est rendu de nouveau aux abords du domicile d’Amir Boukhors.
Copinage puis chantage
Le troisième officiel algérien cité dans l’enquête est l’officier H.B, consul-adjoint à Créteil. Cet espion est notamment soupçonné d’avoir recruté et manipulé deux fonctionnaires français, à Bercy et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), afin d’obtenir, entre autres, les adresses de réfugiés politiques algériens en France, dont Amir Boukhors. Le recrutement du fonctionnaire de Bercy, par ailleurs lauréat de la médaille de la sécurité intérieure en 2017, aurait été amorcé sur fond de « copinage », selon une source proche du dossier, avant d’être mené à terme grâce à un chantage, mené notamment grâce au prêt d’un appartement. Ce serait ce fonctionnaire de Bercy qui aurait convaincu une cheffe de pôle de l’OFII dans les Hauts-de-France, dont il était très proche, de collaborer à son tour avec les services secrets algériens. H.B. et S.S n’ont pu être entendus par la police : ils auraient quitté le territoire français depuis plusieurs mois. Maître Éric Plouvier, l’avocat d’Amir DZ, a introduit une demande auprès du juge d’instruction du parquet national antiterroriste (PNAT) afin de délivrer un mandat d’arrêt international contre S.S.
Quant aux « hommes de main », outre M., Amir Boukhors aurait formellement identifié R., un Franco-Algérien qui lui avait annoncé qu’il allait rencontrer « un responsable algérien », avant de lui administrer de force une boisson avec des somnifères. Parmi les gardés à vue, figurait aussi E., un membre de la communauté des gens du voyage de Pontault-Combault, et Mo., un Franco-Algérien apparenté par alliance à M, ainsi qu’une femme, qui n’a pas été mise en examen. Une source proche de l’enquête indique que ces suspects, eux aussi défavorablement connus de la police, sont âgés de 32 à 57 ans. Tous nient les faits et demeurent présumés innocents. Sollicités par L’Express, deux avocats de la défense, Camille Lucotte et Julien Fresnault, n’ont pas souhaité s’exprimer.
Quelques inconnues demeurent. Plusieurs membres du commando, au moins quatre, n’ont toujours pas été interpellés. Une source proche du dossier affirme que l’un des « hommes de main » a déjà été condamné pour des faits d’homicide, comme L’Express le signalait dans son édition du 30 avril. Une question vertigineuse risque par ailleurs de tarauder les enquêteurs : jusqu’où le pouvoir algérien a-t-il avalisé cette opération « terroriste », – une qualification retenue car le juge d’instruction estime que le but du rapt d’Amir DZ était d’envoyer un message d’intimidation à l’ensemble des opposants algériens -, et qui au sein de la nomenklatura a piloté le kidnapping ? En septembre 2024, le général Rochdi Fethi Moussaoui, chef de poste de la DGDSE à Paris au moment des faits, a été promu directeur de la DGDSE à Alger par le président Abdelmadjid Tebboune. Auprès de ses interlocuteurs français, il répète depuis lors qu’il n’était « pas au courant » de cette agression inouïe.
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/amir-dz-lalgerie-soupconnee-davoir-confie-le-kidnapping-a-des-gitans-de-pontault-combault-EJA3XZ6LDBASZFOAYWBDHH3SCY/
Author : Etienne Girard
Publish date : 2025-05-17 17:35:00
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