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Vol de moutons, ce fléau sous les radars : « Des animaux manquent à l’appel à chaque inventaire »

Vol de moutons, ce fléau sous les radars : « Des animaux manquent à l’appel à chaque inventaire »

Vivien Mahé contemple les animaux qu’il lui reste. Habitués à paître dans les vastes champs bretons, ses 50 brebis, agneaux et moutons sont désormais reclus dans sa grange. Un impératif pour cet éleveur d’Ancenis-Saint-Géréon (Loire-Atlantique), contraint de reprendre un travail en parallèle après avoir vendu, par dépit, l’essentiel de son cheptel. Des quelque 350 bêtes qu’il possédait lors de son installation, en 2018, « il ne m’en reste que 50. J’ai failli tout arrêter à Noël. » La veille, un énième vol d’une poignée de bêtes avait frappé sa ferme. Proie légère et docile, le mouton attire les voleurs. En février, environ 200 bêtes se sont volatilisées en Côte-d’Or. Autant ont disparu dans le Gers, près d’Auch. Ces méfaits sont réalisés la nuit, probablement après des repérages. En Loire-Atlantique, où ils sont récurrents depuis plus d’une dizaine d’années, la communauté agricole s’organise. Mais un sentiment de résignation domine, nourri par les profondes difficultés de la filière ovine.

« Les premiers vols identifiés ont commencé en 2012. Depuis, on a recensé plus de 3 000 faits en Loire-Atlantique », affirme Fulbert Frémon, exploitant à Saffré, une petite ville de 4 000 habitants située entre Nantes et Rennes. L’éleveur suit du doigt un carnet à l’écriture nette, couvert de chiffres : « Le pire, c’était en 2019 : on en a compté près de 800. » Face à la menace, un groupement d’agriculteurs était né un an plus tôt : le collectif des éleveurs pillés. Il entend alerter les autorités contre les disparitions, et prévenir ses 56 adhérents grâce à un groupe WhatsApp. Sans parvenir à arrêter le phénomène. « Il manque des animaux à l’appel à chaque fois que l’on fait notre inventaire. On a toujours un doute sur ce qu’ils sont devenus », explique Fulbert Frémon. Le dernier vol d’ampleur sur son exploitation date de mars 2023 – 17 bêtes avaient disparu d’un coup. Les responsables avaient démonté une barrière, emporté les brebis prêtes à mettre bas, et laissé derrière un bélier attaché avec du fil de fer. « Quand je vois les conditions dans lesquelles ces animaux sont volés, ça me fait mal au cœur, lâche l’éleveur. Sans parler de la perte financière que cela représente. »

Manque de preuves

Comme Vivien Mahé ou Fulbert Frémon, les exploitants estiment souvent la prise en charge des assurances trop faible par rapport aux dommages causés. « Subtiliser une brebis, ce n’est pas simplement voler de la viande. C’est emporter les agneaux à venir, tout un patrimoine génétique sélectionné avec soin sur plusieurs années », raconte Léna*, éleveuse. « Voire plusieurs générations ! », ajoute Paul*, son mari. Le couple ne veut pas apparaître nommément – par crainte des représailles, se désole-t-il. « On nous a déjà pris cinq brebis l’année dernière. On ne veut pas que notre témoignage attire l’attention, détaille Léna. C’est traumatisant. »

Bien qu’à la tête d’un grand troupeau de 500 ovins, chaque intrusion les marque profondément. Comme celui de 2021, qui a eu lieu le jour… de l’enterrement du père de Léna. « Des personnes voulaient nous acheter des animaux. J’avais dit que je ne pouvais pas ce jour-là, funérailles obligent. Quand je suis revenue, des moutons manquaient. » Son mari hoche vigoureusement la tête, désignant la grange où quelques brebis sont enfermées. « Des grains de maïs ont été retrouvés là où les animaux ont été volés – un aliment qu’on ne leur donne jamais. Or le mouton est gourmand. Pour moi, c’est ainsi qu’ils attirent les premières bêtes », avance-t-il. L’ovin étant grégaire, il suffit d’une poignée d’individus pour que les autres suivent. « Et mettre en l’air notre outil de travail », s’agace son épouse. Ce sentiment est d’autant plus grand que les responsables sont rarement appréhendés. Les professionnels se rendent souvent compte des disparitions plusieurs heures après les faits, quand ils retrouvent leur troupeau. A ce moment-là, les malfaiteurs sont déjà loin et leurs traces, effacées. Le cocktail idéal pour alimenter toutes les hypothèses.

Hypervigilance

En Loire-Atlantique, les regards se dirigent souvent vers une communauté. « Je n’hésite pas à le dire : celle des Roms », assure Sébastien Héas, à la tête du collectif des éleveurs pillés. Un ressentiment local que les agriculteurs ont cherché à prouver. Un groupe d’agriculteurs s’est même rendu plusieurs fois dans un des camps à proximité de la ville de Nantes.

En décembre 2023, une éleveuse avait retrouvé les peaux de certaines des bêtes disparues sur place – les numéros de boucles servant à identifier chaque animal parmi les restes. « Ces vols sont majoritairement le fait de quatre ou cinq petits groupes du bidonville de la prairie de Mauves, qui alimentent une économie grise de revente, estime Philippe Barbo, responsable local de deux associations chargées de l’insertion des familles d’origine roumaine. Ils ne représentent pas la majorité. » Le collectif des éleveurs s’en est ouvert dans une lettre auprès de la mairie de Nantes, avant d’être reçu par le préfet et les gendarmes. Depuis, les forces de l’ordre et le monde agricole local collaborent de façon « fructueuse », de l’avis des éleveurs.

La gendarmerie reste beaucoup plus prudente sur l’origine de ces vols. « Il est impossible de les attribuer à une catégorie de population. Nous n’avons pas d’éléments matériels allant dans ce sens », explique la lieutenant-colonelle Cécilia Agez, à la tête à la tête de la compagnie de gendarmerie départementale de Nantes depuis 2022. L’impression générale selon laquelle les faits se produiraient en majorité « au moment de la Pâques orthodoxe », période de fête pour ces populations originaires d’Europe de l’Est, est aussi largement relativisée par les autorités. « Il y en a toute l’année. L’impression d’en être davantage victime ces semaines-là est sans doute liée à l’hypervigilance des agriculteurs mais aussi à un historique : nous connaissions des pics à cette période il y a plusieurs années – ce qui explique que nous soyons aussi présents, pour rassurer quand nous le pouvons. Nous ne sommes pas là pour minimiser, mais accompagner », reprend la gendarme. L’augmentation des patrouilles à des moments clés de l’année et la présence de référents en gendarmerie ont été mises en place. Leur mission première : dissuader.

Des « vols d’opportunité »

Depuis, les forces de l’ordre observent un changement de mode opératoire dans le département. Celui de dizaines d’animaux dans les exploitations agricoles se fait plus rare. A rebours des hypothèses de beaucoup d’éleveurs, aucune « filière » de revente ni d’abattoirs clandestins n’ont été mis au jour. « A la place, on semble être sur un pur vol d’opportunité – de deux ou trois bêtes -, qui cible davantage des zones d’écopâturage. Les auteurs semblent être des particuliers pour leur consommation personnelle pour les faits recensés cette année », explique Cécilia Agez.

En septembre 2024, la vidéo d’un homme marchant tranquillement dans Rennes, mouton sur les épaules, est devenue virale sur les réseaux sociaux. Le vieux bélier, subtilisé dans un parc d’écopâturage de la ville, appartenait à Matthieu Pirès. « Cette vidéo a été prise par un élu municipal, qui apostrophe le voleur, et on voit bien que cela le perturbe à peine », s’agace-t-il. Rachel Perez, agricultrice à Plessé, au nord-ouest de la Loire-Atlantique, a aussi subi des vols. « Les gendarmes sont réactifs et à l’écoute, convient-elle. Mais les responsables sont rarement arrêtés, faute de preuve. A force, certains arrêtent de porter plainte. » D’autant que les ovins ne sont pas les seules cibles des malfaiteurs. Une « délinquance d’appropriation » touche tout le territoire, au-delà de la filière ovine, dit la gendarmerie. « C’est épuisant, s’indigne Rachel Perez. Mis bout à bout, comprenez-vous pourquoi certains veulent tout arrêter ? »



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Author : Alexandra Saviana

Publish date : 2025-05-17 10:00:00

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