Jadis, Bruno Retailleau fut un corps étranger aux Républicains (LR). L’ancien villiériste payait son long compagnonnage avec le fondateur du Puy du Fou, lui qui n’a rejoint l’UMP qu’en 2010. Trop conservateur, si extrinsèque aux vieux réseaux RPR… Non, le Vendéen n’était pas tout à fait chez lui dans ce clan. En 2022, il avait décelé la main de « l’Etat profond RPR » dans sa défaite face à Éric Ciotti pour la présidence du parti. Sarkozystes et chiraquiens ne s’étaient-ils pas donné la main pour le terrasser ?
Voici cette ère révolue. La pièce rapportée est entrée dans la famille. Mieux, elle la dirige. Bruno Retailleau a été sacré, dimanche 18 mai, patron des Républicains après avoir écrasé son rival Laurent Wauquiez (74 % contre 26 % des suffrages). Ce résultat sans appel lui donne les coudées franches pour la suite et lui offre une légitimité politique absolue. La droite s’est dotée d’un leader au terme de cette campagne interne. Elle a enfin soldé un débat stratégique : les adhérents ont approuvé la participation de LR au gouvernement, source d’un regain de forme relatif depuis septembre.
Ligne idéologique très resserrée
Ce succès est pétri d’ambivalences. Bruno Retailleau a capitalisé sur sa popularité nationale, héritière de son action à Beauvau, pour l’emporter face à Laurent Wauquiez. Les militants LR sont affamés de victoires depuis 2012. Ils ont choisi ce dimanche une fragile promesse de reconquête du pouvoir. Avec 10 % d’intentions de vote pour la prochaine présidentielle, le Vendéen n’est pas encore dans la cour des grands. Cette promesse est assise sur une ligne idéologique très resserrée : Bruno Retailleau incarne une droite libérale-conservatrice, longtemps minoritaire à droite. Souverainiste, aussi. Qui imaginait l’héritier de l’UMP s’offrir à celui qui a voté non au traité de Maastricht et à la Constitution européenne ?
Cette victoire vient de loin. François Fillon avait remporté la primaire de 2016 sur une ligne analogue. L’émergence du macronisme a contribué à rétrécir idéologiquement LR. Son aile centriste a déserté, offrant une influence majeure à sa frange plus droitière. « Le spectre s’est resserré après les défaites. Il y a une prise en otage de l’appareil de la droite par l’aile Pasqua-Villiers, notait dès 2024 un cadre. Ciotti était à la marge de la primaire en 2021 et il a fini par diriger le parti. » Cette tectonique des plaques a placé Bruno Retailleau au barycentre de sa famille adoptive. Quid de la France ? François Fillon avait décroché dans les sondages en 2017 avant que ses affaires judiciaires n’enterrent ses chances. Un dirigeant de LR est sceptique. « La droite qui a élu Bruno Retailleau est la droite Trocadéro. C’est une voie sans issue pour faire 51 % des voix. »
« Il ne fait pas du Boutin »
Le nouveau patron de LR porte un corpus composite. Son discours sur l’immigration et la sécurité épousent les aspirations de l’électorat de droite, voire au-delà. Son libéralisme économique et son conservatisme sociétal interrogent davantage la capacité de la droite à regagner les cœurs. Bruno Retailleau s’est opposé au mariage pour tous comme à la loi sur la fin de vie, à rebours de l’opinion publique. Celui qui s’érige en dépositaire de la volonté de la « majorité nationale » au ministère de l’Intérieur ne peut pas en dire autant sur ces sujets.
Il en a conscience. Il prend ainsi soin d’évoquer avec parcimonie les thèmes sociétaux, sauf quand l’actualité l’y contraint. « Il ne fait pas du Boutin, note un soutien. Il se rend compte que ses positions ne sont pas en phase avec le pays et ne fait pas du sociétal un étendard. » L’ancien patron des sénateurs LR a appliqué cette ligne directrice à la chambre haute, laissant libre cours à la pluralité des opinions. Minoritaire Retailleau ? Le député de la Loire Antoine Vermorel-Marques transforme la faille en atout : « Ses convictions sont une marque de sincérité auprès des gens. Les Français sont davantage prêts à soutenir une personne affirmant une conviction tout en précisant qu’elle est minoritaire, que celui qui change d’avis pour se rallier à la majorité. »
Les circonstances politiques ont placé Bruno Retailleau au cœur de LR. Il espère reproduire le même schéma à l’échelle nationale. Autour du Vendéen, on dépeint une France « droitisée », en phase avec le ministre. Certains macronistes ne lui font-ils pas les yeux doux ? Le débat public ne vient-il pas sur ses terres ? « Le progressisme a engendré de telles absurdités qu’une défense immunitaire émerge, assure un proche. La droite conservatrice n’est plus seule sur ces sujets, une partie de la gauche républicaine parle comme nous. »
Une droite en panne de leadership
La droite est un désert, en quête désespérée d’une oasis. Le nom de Bruno Retailleau était repoussoir chez de nombreux élus LR en 2022, effrayés par sa ligne. Son ascension à Beauvau a changé la donne. Jean-François Copé est un fervent soutien du ministre, qu’il considérait en 2020 comme la « spirale de l’échec assuré ». L’ancien député Pierre-Henri Dumont l’a rejoint dans la course. « Cette droite nous emmène dans le mur », jugeait-il pourtant en 2022. Faut-il y voir la mue de Bruno Retailleau ou le pragmatisme d’un parti en panne de leadership ?
« Je n’ai pas le virus de la présidentielle », a coutume de dire Bruno Retailleau à ses interlocuteurs. « Colline après colline », lance-t-il aujourd’hui. Le nouveau président des Républicains incarne un dernier paradoxe de LR. Le Vendéen porte un discours guère éloigné – l’économie à part – de celui du Rassemblement national. Sa terre de conquête électorale est pourtant le bloc central, avec lequel il a noué une alliance de circonstances en septembre. Les partisans du RN sont, eux, solidement arrimés à la formation d’extrême droite. « Il peut prendre trois ou quatre points à Philippe. Il fragmente le bloc central », note Éric Ciotti, qui s’est allié au Rassemblement national. Ici réside une forme de schizophrénie de LR. Un décalage subsiste entre son terrain de jeu électoral et idéologique. « Pour les actuels cadres de droite, il n’est pas naturel de séduire un électorat macroniste par modération, note un ex-responsable LR. Leur sens politique leur montrer où aller, mais ils n’en sont pas capables. » Cette équation est désormais celle de Bruno Retailleau.
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Author : Paul Chaulet
Publish date : 2025-05-18 17:35:00
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