Jean-Marc Boyer bouillonne, fulmine même, en ce mardi après-midi. A peine arrivé au bistro le Tournon, repaire d’élus à deux pas du palais du Luxembourg, le sénateur assène, le regard droit, dans une formule bien trop efficace pour être improvisée : « Je n’ai qu’une seule chose à leur dire, à ceux qui tirent sur les cures thermales. Qu’ils aillent en faire une pour voir si c’est du flan ! »
Ce qui provoque la colère – toute travaillée – de cet élu LR du Puy-de-Dôme aux « trois stations thermales dans le territoire » ? Mi-avril, la Cour des comptes a appelé à « remettre en cause » le remboursement de ces soins. Depuis, il enchaîne les cafés et multiplie les saillies dans l’espoir de sauver ces stages aquatiques. Et de marteler, avec l’assurance de celui qui a répété : « Les cures thermales sont de vraies cures, pas des vacances aux frais du contribuable. »
Si l’élu déploie tant d’efforts, c’est parce que le sujet – savoir si, oui ou non, il faut prendre en charge les soins prodigués dans des centres thermaux – n’a jamais été si brûlant. L’avis de la Cour des comptes, qui porte plus largement sur le budget de l’Assurance maladie, a été publié alors même que le gouvernement cherche de nouvelles économies. De quoi l’inspirer peut-être, alors que la dette et les dépenses de santé explosent.
Un débat récurrent
La question est brusquement devenue impérieuse, mais elle n’est en rien nouvelle : pas un quinquennat ne passe sans son amendement ou sa tribune appelant à tuer ou au contraire épargner ces remèdes qui coûtent chaque année plus de 300 millions d’euros à l’Etat. Un débat alimenté par une curiosité administrative, une anomalie, apparue au moment même où cette pratique médicale s’est imposée dans l’Hexagone.
Durant les deux guerres mondiales, la France transforme une large partie de ses stations thermales en des lieux de repos pour ses gueules cassées ou, au contraire, en des prisons pour résistants. Une fois les combats terminés, les dirigeants français décident de pérenniser leur usage, et d’intégrer ces dispositifs dans l’arsenal thérapeutique. Leur remboursement par l’Assurance maladie est acté en 1947, bien avant la création de la Haute Autorité de santé (HAS), qui évalue depuis 2004 l’intérêt des traitements en vue de leur remboursement.
Résultat, et c’est ce que souligne la Cour des comptes, aucune institution indépendante ne s’est depuis penchée sur l’intérêt thérapeutique des cures thermales, leur « service médical rendu », dit-on dans le jargon. Il n’existe donc pas de consensus officiel sur l’apport de ces remèdes, aujourd’hui réservés aux nombreuses victimes de maladies chroniques. De quoi laisser libre cours à toutes les discussions.
La HAS n’a jamais tranché
Dans leur note, les sages demandent donc à ce qu’une enquête soit menée pour déterminer si se faire mousser, masser et manipuler dans les sources chaudes de la France profonde est un traitement bénéfique pour les patients qui ont des problèmes d’articulation, de peau, ou encore de circulation sanguine. Elle propose aussi, en parallèle, quelques pistes d’économies : des séjours plus courts ou une prise en charge variable selon les revenus.
Le dossier n’a pas trouvé d’écho au sein du gouvernement pour le moment. Il faut dire qu’il est épineux sur le plan politique. Couper dans ces traditionnels 18 jours robinets ouverts pris en charge à 65 % promet d’être un combat. En 2024, plus de 470 000 patients y ont eu recours. Une manne financière pour les territoires où sont implantés les établissements qui, pour certains, sont de véritables monuments de l’histoire française.
D’un point de vue scientifique, le débat persiste, mais il a tout de même grandement évolué depuis les années 2000, date des premières alertes sur le sujet émises par l’Assurance maladie. Les industriels se sont mis à évaluer leurs pratiques, condition sine qua non de leur salut. Les stations versent désormais systématiquement une part de leur chiffre d’affaires à l’Association française pour la recherche thermale (AFRETh). Un organisme composé d’experts qui finance la plupart des travaux menés sur le sujet dans l’Hexagone.
Des données difficiles à interpréter…
Une soixantaine d’études ont ainsi émergé, rien qu’en France, comblant un vide longtemps décrié par la communauté médicale. Sauf que, si des données ont bien été produites, leur interprétation, elle, reste délicate. La plupart des méta-analyses, ces études qui compilent les essais cliniques afin de se faire un avis général par pathologie, concluent la même chose : si les cures thermales semblent avoir un intérêt, les preuves scientifiques associées sont jugées « faibles » ou, au mieux, « modérées ».
C’est ce que dit notamment une synthèse (revue parapluie) publiée en 2021 dans l’International Journal of Biometeorology : « Les études […] semblent justifier le recours aux cures thermales […]. Cependant, d’autres essais devraient être conçus pour consolider les connaissances. » Un résultat obtenu pour des patients atteints d’arthrose, de fibromyalgie, de lombalgie ou d’insuffisance veineuse, et semble-t-il également transposable à certains problèmes de peau (psoriasis, brûlures).
Il n’est pas possible d’appliquer aux cures thermales les mêmes standards qu’aux médicaments
Si les experts sont aussi frileux, c’est parce que les cures thermales sont très difficiles à évaluer. « Les cures thermales sont des interventions complexes et il existe de nombreuses variantes, ce qui rend la recherche difficile. De plus, les financements sont rares, ce qui fait que bien souvent, les travaux sont menés par les promoteurs de ces thérapies, plus enclins à tirer des conclusions optimistes », souligne le Pr Edzard Ernst, spécialiste de l’évaluation des médecines alternatives.
« De fait, il n’est pas possible d’appliquer les mêmes standards que pour des médicaments par exemple, c’est-à-dire de réaliser des essais cliniques contrôlés, randomisés et en double aveugle où une partie des patients reçoivent un placebo, et où ni eux ni les examinateurs ne savent qui a bénéficié de quoi », abonde Dominique Costagliola, épidémiologiste et ancienne membre du conseil scientifique de l’AFRETh.
… Mais tout de même quelques résultats
Dans le cas d’un médicament, il suffit de donner une fausse pilule aux volontaires pour vérifier qu’ils ne vont pas mieux simplement parce qu’ils pensent qu’ils vont aller mieux. Difficile de fausser 18 jours de baignades accompagnés de rééducation, d’exercices physiques, de conseils nutritionnels, de séances de psychothérapie, sans que personne ne s’en rende compte, ou sans que l’expérience ne soit trop différente pour être comparée à l’originale.
« En théorie, on pourrait par exemple faire couler des sources non thermales, mais ça coûterait cher en approvisionnement, et il faudrait aussi mettre en place toute une série de dispositifs pour masquer les différences en termes d’odeurs dégagées par les bains, par exemple. De plus, une telle méthodologie testerait uniquement les effets de l’eau et pas tout ce qu’il y a autour, donc les résultats ne seraient pas très intéressants », commente Jean-Luc Bosson, chercheur CNRS à l’université Grenoble Alpes, et auteur de certaines études financées par l’AFRETh.
Résultat, depuis les années 1990, seulement 11 % des études présentent un niveau de preuve comparable à celui attendu pour les médicaments, selon des travaux publiés dans la revue scientifique BMC Complementary Medicine and Therapies, en avril dernier. Ces études montrent la plupart du temps un effet bénéfique, mais pas toujours supérieur au placebo utilisé. Le reste de la littérature – 74 % des articles publiés – est jugé médiocre par les auteurs, qui soulignent par ailleurs les efforts de la Hongrie, pays thermal en tête dans la course aux essais cliniques les plus solides.
Le casse-tête des essais thermaux
Pour pallier ces difficultés, les scientifiques français ont opté pour une approche différente de leur voisin alpin : « On compare un groupe qui bénéficie d’une cure immédiatement après sa prescription avec un groupe qui n’ira en centre qu’à la fin, après les autres soins dont il dispose », décrit Jean-Louis Montastruc, pharmacologue et président du conseil scientifique de l’AFRETh. Ainsi les examinateurs peuvent s’approcher des conditions cliniques, même si aucun placebo n’est donné.
Une solution suffisante, selon Jean-Louis Montastruc. Il fait partie de ceux qui ont tiqué en lisant la Cour des comptes. « Ce n’est pas le même niveau de preuve que pour un médicament, c’est vrai, mais on ne peut pas faire autrement », poursuit le spécialiste, également membre de l’Académie de médecine. Un avis partagé par Dominique Costagliola : « Il est faux de dire qu’il n’y a aucun résultat. Il n’y a pas énormément de données, mais il y a un certain nombre de domaines où il n’y a plus de doute. »
Selon ces critères, 7 des 12 orientations – les indications pour lesquelles une prise en charge est assurée – seraient validées, selon l’AFRETh, soit 90 % des stages remboursés. Y figurent les troubles veineux, artériopathiques, rhumatologiques, dermatologiques, neurologiques ainsi que les affections psychosomatiques et métaboliques (surcharge pondérale). Pour les troubles de développement (TDAH, autisme), les affections des muqueuses, de l’appareil urinaire, du système digestif et les problématiques respiratoires, en revanche, les données sont insuffisantes.
Moins de médicaments
Les effets escomptés, surtout dus semble-t-il à l’activité physique et à l’éducation aux bonnes pratiques dispensée sur place, sont somme toute modérés. Ce qui n’est pas un problème, à en croire le scientifique Jean-Luc Bosson : « Bien sûr, on ne parle pas de guérir ces pathologies, elles sont incurables ! Mais les patients rapportent, dans les grandes lignes, une meilleure qualité de vie, moins de douleurs, plus de mobilité. Ils consomment aussi moins de médicaments. C’est un bénéfice, car cela veut dire moins d’effets indésirables et un coût potentiellement moindre pour la Sécurité sociale. »
D’ordinaire, les évaluations de la HAS jugent également si la thérapie est meilleure que d’autres. Un comparatif qui s’annonce difficile, tant les données paraissent limitées sur ce point. De l’avis des scientifiques, à certains égards, l’approche thermale n’est pas foncièrement différente d’une rééducation. « Oui, on pourrait peut-être envoyer les patients à l’hôpital de jour, encore faudrait-il qu’ils aient des places de disponible, grince Jean-Luc Bosson. Et ce n’est pas pareil. La cure est une occasion unique de faire passer des messages en matière de santé, de renforcer les liens avec le patient. Veut-on vraiment se priver de cela ? »
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Author : Antoine Beau
Publish date : 2025-05-24 14:00:00
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