Un conseil précieusement conservé, malgré tout le mal que l’on pense de son émetteur. Un avertissement passé, de ceux qui résonnent avec le temps et prennent corps au gré des circonstances. Fin 2018, Raphaël Glucksmann vient à peine de cofonder Place publique, un mouvement politique « 100 % société civile », œuvrant – initialement – à rassembler la gauche pro-européenne. Jean-Luc Mélenchon convie alors ce jeune intellectuel médiatique, auteur du livre Les enfants du vide, à papoter politique. « Tu as vu le film Gladiator, de Ridley Scott ? », lui demande l’insoumis. L’intéressé acquiesce, interloqué. « Vous êtes les tribus germaniques du début du film, nous, on est la légion romaine, lui dit-il. Pendant que vous passerez votre temps à discuter entre vous, nous, on avance. »
Sept ans plus tard, la leçon de sagesse a sans doute infusé… « Je suis conscient de la capacité de la gauche à passer des mois à s’engueuler pour un processus », confiait-il en privé, il y a quelques mois. « Je ne participerai pas à une primaire », affirme désormais l’eurodéputé dans un entretien au journal Le Monde.
« Question vitale »
« Le titre de l’interview de Raphaël aurait dû être ‘Nicolas Mayer-Rossignol doit gagner le congrès du PS’ », grince un soutien d’Olivier Faure. Glucksmann ne l’a jamais dit publiquement, mais il préfère à l’actuel patron des roses son principal concurrent, l’édile de Rouen « NMR », dont il épouse la stratégie des « cercles concentriques », un rapprochement entre les roses, Place publique, Bernard Cazeneuve, et tous les autres « socialistes en dehors du PS » – un préalable à l’ouverture vers d’autres forces politiques et sociales. La sentence de l’eurodéputé est donc davantage qu’une pierre, catapultée dans le jardin du premier secrétaire, qui a fait de l’issue du congrès de Nancy (prévu du 13 au 15 juin) la condition existentielle du rassemblement de la gauche non mélenchoniste.
En guise de mesure phare pour Olivier Faure et les siens, une plate-forme commune de la gauche de Glucksmann à Ruffin « qui préparera l’élection et déterminera un candidat commun ». François Ruffin plaide aujourd’hui pour une primaire de la gauche et se déclare candidat, invitant même Jean-Luc Mélenchon et les insoumis à y participer. Pas tout à fait le plan des socialistes, mais une raison de plus pour Glucksmann d’acter le retour des gauches irréconciliables… Olivier Faure s’en était pourtant convaincu : « Contrairement à tant d’autres qui placent leur ego devant les causes qu’ils prétendent servir, j’ai l’intuition que Raphaël n’est pas de ce bois-là. Je sais que, dans le combat contre l’extrême droite, pour la démocratie, il ne faiblira pas et que nous le conduirons ensemble », écrit-il dans son ouvrage autobiographique Je reviens te chercher, (édition Robert Laffont, 2025). Moi c’est lui, lui c’est l’autre.
Tripartition de la vie politique oblige, l’événement raconte surtout un congrès des roses mu essentiellement par les questions stratégiques. Une « question vitale », insiste Laurent Baumel, député PS et stratège de l’actuel premier secrétaire. A quelques heures du premier tour du congrès, le 27 mai, voici donc Johanna Rolland, l’édile nantaise, lançant même un ultimatum aux socialistes par voie de presse : « Si l’orientation d’Olivier Faure n’est pas celle qui gagne ce congrès, l’idée d’une candidature commune de la gauche en 2027 s’effondre. »
Le congrès du PS aura beau avoir tout à envier au retentissement médiatique de celui de leurs homologues de droite, l’issue du vote sera scrutée dans le reste de la gauche. En fin d’année dernière, la patronne des Ecologistes Marine Tondelier, qui soutient publiquement Olivier Faure, s’en inquiétait en privé : « Le congrès du PS va être déterminant pour notre prochaine candidature commune. » Un comble, alors que le corps électoral du parti, soit 39 815 personnes, est le plus faible depuis des décennies.
Faux débats sur LFI
« Commençons à être forts, ensuite on fera l’union », répond le maire de Rouen à L’Express, alors que l’attelage composite qu’il représente – formé de son courant mais également de celui d’Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin, et de Philippe Brun et Jérôme Guedj – n’est pas totalement raccord sur le « périmètre de l’union’. Et tant pis pour Boris Vallaud, troisième voie de ce congrès, unitaire à gauche mais convaincu que la question stratégique est une affaire « réglée » au Parti socialiste. « L’essentiel, la relation avec La France insoumise, a été soldé », continue d’affirmer le patron des socialistes.
Certains ont pourtant essayé de faire ressusciter ce débat, central lors du congrès de Marseille, redoublant de zèle – « l’incarnation du diable à gauche », dit au sujet de LFI le maire de Saint-Ouen Karim Bouamrane – et parfois d’inconstance. Nicolas Mayer-Rossignol, pourfendeur de la Nupes mais soutien de l’accord du Nouveau Front populaire à l’été 2024, assure désormais qu’il n’y aura pas d’accord avec LFI aux municipales, ni en cas de législatives anticipées. Parfois, il précise qu’il « n’y aura pas d’alliance du PS avec la direction de LFI » – une nuance significative – et évoque la possibilité de désistements républicains au profit des mélenchonistes, en cas de risque RN. « Il y aura un risque RN dans au moins la moitié des circonscriptions. On veut vraiment leur dérouler le tapis rouge jusqu’à Matignon ? Il n’y aura pas de bannière commune, c’est décidé par tous, mais il faudra bien des accords défensifs, soyons sincères entre nous sur la ligne comme sur le fond », s’agace Rémi Branco, vice-président du département Lot, soutien de Boris Vallaud.
« On est venus avec un programme, ils sont venus avec des commentaires »
« On a fait 45 contributions thématiques, quelles autres propositions ont émergé ? », souffle Boris Vallaud, un brin décontenancé. Il y a bien eu une amorce de réflexion, de part et d’autre, autour du renouvellement de la « marque PS ». Mais de fond et d’idées nouvelles, malgré les différents textes des trois écuries, il n’a presque pas été question. « Pour cacher le fait qu’on est encore un peu flou, on a tous commencé nos exposés dans les fédérations en disant que nous étions plutôt d’accord sur le fond », abonde un socialiste engagé dans la bataille interne.
Le patron des députés socialistes, tenant de la « démarchandisation » de la société, s’est senti bien seul sur ce terrain. Auprès de La Tribune Dimanche, début mai, il le déplorait déjà : « Le socialisme est orphelin d’une idée forte, et d’une inspiration profonde, qui emporte l’adhésion populaire par la simplicité de son évidence. » Manuel Bompard, coordinateur en chef des insoumis en riait, il y a de cela quelques mois : « Lors des négociations du Nouveau Front populaire, on est venu avec un programme, ils sont venus avec des commentaires. » Minuit va bientôt sonner, la citrouille ne se sera peut-être jamais transformée en carrosse.
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Author : Mattias Corrasco
Publish date : 2025-05-26 10:01:00
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