J’aurais voulu m’en débarrasser, ne plus y penser, Gaza, l’Ukraine, et regarder des films gentils, américains, Les Indomptés de Daniel Minahan, par exemple, où le type revient de la guerre de Corée, donc ça se passe dans les années 1950, au Kansas, il retrouve son frère qui habite avec sa femme qui tombe amoureuse de lui illico. Et lui aussi, mais d’une certaine manière car il serait plutôt porté vers les garçons, en principe, son frère le sait, c’est pour ça qu’il ne s’inquiète pas en le voyant danser avec sa femme.
Il a tort, aussi, de faire confiance à sa femme car elle n’est pas non plus ce que son mari imaginait, elle se découvre des penchants pour la voisine. Elle n’est pas loin non plus de tomber amoureuse de l’amant du frère de son mari. Tout ça est un peu cliché, mais comme ça se passe dans une époque qui semble aujourd’hui fort reculée, ça vous a un parfum de romance à la Henry Miller qui n’a rien de désagréable. Dora trouve ce film interminable, elle a un peu raison, surtout vers la fin, mais les deux heures du film m’ont fait oublier Netanyahou, Trump et Poutine, alors que ces Indomptés vivent sous Staline, Kim Il-Sung et Truman, l’homme d’Hiroshima, de Nagasaki.
Me voilà donc piégé, renvoyé à l’abjection du monde par ce que j’aime le plus au monde, le cinéma. J’aurais dû emmener Dora à l’Orangerie pour visiter l’expo sur le flou dans l’art. Je serais alors tombé sur le Septembre de Gerhard Richter, l’image floue des tours de Manhattan. Et rebelote. Alors quoi, où, comment se débarrasser de « la situation actuelle » ?
« Bad Boy » sur Netflix
D’un piège à l’autre, me voilà sur Netflix. Bad Boy, série de huit épisodes de Hagar Ben-Asher et Ron Leshem. La première scène est une captation, style amateur, du stand-up de Dean Sheyman, alias Daniel Chen, humoriste israélien qui raconte sur scène son adolescence : d’abord la dinguerie de sa mère, les mauvaises fréquentations, puis les quatre années passées dans une prison pour mineurs délinquants dangereux, un yaourt de cassos, avec des gros morceaux d’assassins à l’intérieur.
Ça pourrait être la version ado de Oz, la série culte réalisée par Tom Fontana en 1996, si les diverses et complexes manipulations narratives nous empêchaient de comprendre pourquoi le jeune Dean, 13 ans, se retrouve dans cet enfer. Ça n’a pas trop d’importance, au début, les deux premiers épisodes étant suffisamment terribles pour nous scotcher à l’écran ; et puis on découvre une facette d’Israël qu’on ne soupçonnait pas. Qu’il puisse exister au pays des kibboutzim une telle industrie de l’abjection, une telle violence organisée, primale, ça trouble, ou ça éclaire… Secoué comme une plume dans ce chaudron désespérant, notre petit Dean se voit contraint de tuer ou de se faire planter. On a déjà vu ça au cinéma, mais en Colombie, en Iran… pas dans « la seule démocratie de la région ». Pas dans le pays fondé par les rescapés de la Shoah, leurs descendants n’auraient quand même pas osé réinventer le bagne pour enfants de notre Petite Roquette ! Ben si, en pire. Notre indignation est au comble, bien fait pour nous et nos illusions. Voilà la preuve qu’Israël est devenu une nation adulte, avec ce qu’on sait des adultes : corrompus, vils, pervers, bref, assez d’ingrédients pour réaliser une super série de genre.
Le problème c’est que la mise en abyme offerte par le stand-uppeur, censée rythmer le récit de ce Bad Boy, nous informe sur l’issue de cette épreuve, et nous rassure : on sait que ça finit bien puisque Dean Sheyman alias Daniel Chen est là, sur scène, vingt ans après son calvaire, en train de raconter ses malheurs comme autant de bons souvenirs de caserne devant une salle pleine et hilare. Le commentaire ironico-moralisateur épuise notre indignation. On décroche. Je suis quand même allé au bout des huit épisodes, et ça valait la peine: Daniel Chen est rattrapé par Dean Sheyman, ou inversement… je ne vous en dis pas plus.
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Author : Christophe Donner
Publish date : 2025-05-28 05:00:00
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