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EXCLUSIF. Algérie : la France songe à geler les avoirs de « vingt dignitaires » du régime

EXCLUSIF. Algérie : la France songe à geler les avoirs de « vingt dignitaires » du régime

C’était en janvier dernier, au plus fort de la crise entre la France et l’Algérie. Bruno Retailleau évoquait auprès de L’Express la possibilité de geler des avoirs d’officiels algériens, en réponse aux refus d’Alger de reprendre plusieurs de ses ressortissants frappés d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). « Il peut y avoir des mesures individuelles visant des dignitaires algériens, notamment, qui veulent mettre à mal nos relations bilatérales. Des mesures qui peuvent par exemple être patrimoniales », disait le ministre de l’Intérieur.

Selon nos informations, cette piste est aujourd’hui sérieusement explorée, tant à Bercy qu’à Beauvau. Une liste d’une « vingtaine de dignitaires » a été dressée, nous confie une source gouvernementale. Ils occupent tous de hauts postes administratifs, sécuritaires et politiques en Algérie, tout en possédant des propriétés ou des intérêts financiers en France. « On estime que 801 membres de la nomenklatura algérienne ont des intérêts financiers en France et viennent en France régulièrement. Et ce sans compter les militaires », détaille cette source.

L’idée au sein du gouvernement est d’utiliser cette liste de vingt dignitaires comme une arme de dernier recours dans les négociations diplomatiques entre les deux pays. Le 16 mai dernier, une première menace a été mise à exécution par le Quai d’Orsay, celle de suspendre un accord de 2007 permettant aux titulaires de passeport diplomatique de circuler librement entre les deux pays, sans visa. Le dernier épisode en date d’une série de mesures et de représailles entre la France et l’Algérie.

L’escalade a débuté avec l’interpellation, le 11 avril, d’un agent consulaire algérien en France, soupçonné d’avoir participé à l’enlèvement de l’opposant Amir Boukhors sur le sol français, du 29 avril au 1er mai 2024. Alger y a répondu en expulsant, le 14 avril, douze agents diplomatiques français. Même sentence, le lendemain, à Paris. Enfin, le 11 mai, Alger a déclaré d’autres fonctionnaires français indésirables. Les relations entre les deux pays sont extrêmement tendues depuis la décision française de reconnaître la marocanité du Sahara occidental, fin juillet 2024, puis l’incarcération de l’écrivain Boualem Sansal, depuis le 16 novembre 2024.

Paris prévoit de publier sa liste de « vingt dignitaires » si Alger décide de nouvelles mesures hostiles. « Cela se ferait sur le modèle des oligarques russes », précise notre source. A ceci près que le gel des avoirs de ressortissants russes en France est encadré par des règlements de l’Union européenne, depuis 2014. Rien de tel dans le cas algérien. Depuis 2006, le droit français prévoit que le ministre de l’Economie et le ministre de l’Intérieur peuvent par un décret conjoint geler les avoirs de personnes liées à une entreprise terroriste, « mais il est très douteux qu’on puisse parler de terrorisme dans le cas de l’Algérie », estime maître Renaud de l’Aigle, avocat spécialisé dans les affaires de gel des avoirs. « En revanche, cela peut concerner peut-être les intérêts fondamentaux de la Nation », ajoute-t-il.

Six mois renouvelables

Renaud de l’Aigle fait référence à un nouvelle disposition du Code monétaire et financier français, l’article L562-1, entré en vigueur le 25 juillet 2024. Cette mesure, votée dans le cadre de la loi contre les ingérences étrangères, prévoit que les ministres de l’Économie et de l’Intérieur peuvent également geler les avoirs des personnes qui commettent des « actes d’ingérence ». Un terme que la loi définit désormais comme un « agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d’une puissance étrangère et ayant pour objet ou pour effet (…) de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ». Le gouvernement français pourrait éventuellement, selon l’avocat, utiliser cette réforme pour geler le patrimoine d’officiels algériens en France. Ces dignitaires ne pourraient plus se rendre dans leurs propriétés ou leurs autres biens, ni utiliser leurs comptes bancaires, pour six mois renouvelables.

Encore faut-il, comme pour toute mesure administrative, justifier une telle mesure. Le gouvernement devrait alors démontrer que les personnes sanctionnées ont personnellement et intentionnellement porté atteinte aux intérêts français. Il pourrait s’agir de dignitaires placés dans la chaîne de commandement du renseignement algérien, mis en cause dans l’affaire Amir Boukhors, ou bien dans la chaîne de décision liée aux refus de laissez-passer consulaires.

En théorie. Car comme toute mesure de dissuasion, le but du gouvernement français est surtout… de ne jamais publier cette liste de vingt dignitaires, tant cette décision porterait la marque d’une cassure profonde entre les deux pays.



Source link : https://www.lexpress.fr/societe/exclusif-algerie-la-france-songe-a-geler-les-avoirs-de-vingt-dignitaires-du-regime-R2GLJXY3EBDERM6R3ISLGWXXPE/

Author : Etienne Girard

Publish date : 2025-05-28 17:15:00

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