« Je me nourris de la lumière, de l’instant présent, de méditation, de relations, de couleurs et d’odeurs », affirme Gabriel dans une vidéo sur YouTube. Comme lui, de nombreux autres « respiriens » témoignent de leur initiation à la nourriture faite d’air et de lumière qui permettrait de ne pas manger pendant des années ! « Le respirianisme est une pratique charlatanesque qui présente de graves dangers pour la santé des personnes », résume pour sa part la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
Mais derrière ces dérives, une interrogation scientifique demeure. Peut-on absorber certains nutriments par le nez, et cela peut-il être bénéfique pour la santé ? Flávia Fayet-Moore, nutritionniste à l’Université de Newcastle (Australie) et son collègue Stephen Robinson, de l’Université RMIT à Bundoora (Australie), ont voulu répondre à ces questions. Leur étude, publiée dans Advances in Nutrition, propose des hypothèses jusqu’ici inexplorées, rapporte NewScientist. « Les preuves que nous avançons montrent que nous pouvons absorber des micronutriments présents dans l’air et essentiels au bon fonctionnement de notre corps, mais aussi de ‘bonnes’ bactéries. Nous les avons appelés aéro-nutriments et aéro-microbes », résume Stephen Robinson, interrogé par L’Express.
Du nez au sang et au cerveau
Chaque jour, un être humain respire environ 12 000 litres d’air contenant principalement un mélange d’azote, d’oxygène, d’argon, de vapeur d’eau et d’effluves d’autres gaz. Tous ces éléments passent par la cavité nasale, où un dense réseau de vaisseaux sanguins filtre, réchauffe et humidifie l’air avant de l’envoyer dans les voies respiratoires. Ce qui explique pourquoi certaines drogues pénètrent dans le sang après avoir été aspirées par le nez. La cavité nasale offre également un accès direct au cerveau via le bulbe olfactif, raison pour laquelle la recherche biomédicale se penche sur des moyens d’administrer des médicaments par le nez afin de mieux cibler le cerveau. L’air inhalé termine dans les poumons, eux aussi capables de transférer des molécules de l’air vers le sang, dont certaines drogues – nicotine, cannabinoïdes et opioïdes -, mais aussi des anesthésiques et des molécules thérapeutiques comme l’insuline, la vitamine B12 et l’acide rétinoïque (un dérivé de la vitamine A).
« Tout cela suggère que, s’il y a des nutriments dans l’air, ils peuvent être absorbés par le sang, le cerveau ou les deux, indiquent les deux chercheurs australiens. Or l’air que nous respirons contient de nombreux micronutriments, dont des oligo-éléments tels que l’iode, le manganèse et le magnésium, ou encore des vitamines (A, B, C et D) ». Bien sûr, tous les micronutriments dont nous avons besoin peuvent être absorbés par l’estomac et les intestins grâce à une alimentation équilibrée. « Mais cela n’est pas toujours possible pour tout le monde. Les aéro-nutriments pourraient donc compléter nos apports alimentaires habituels, voire pallier des carences », estime Stephen Robinson.
Iode, manganèse et acide rétinoïque
Les preuves les plus convaincantes dans la littérature scientifique concernent l’iode, nécessaire à la synthèse des hormones thyroïdiennes et dont la carence, qui affectait 60 % de la population mondiale en 1960, peut provoquer une hypertrophie de la thyroïde. Si ce problème a en partie été corrigé ces dernières décennies grâce à la mise en place du sel de table iodé, la situation n’est pas entièrement résolue, notamment en Europe, comme le rappelle un rapport de l’OMS publié en 2024. Or, des travaux ont démontré que l’inhalation d’air riche en iode peut fournir environ 7 % de l’apport quotidien recommandé pour un adulte, estimé à 150 microgrammes. Une étude de 2011 montre par exemple que les personnes vivant près de plages où il y a beaucoup d’algues souffrent moins de carences en iode.
Le manganèse, un métal qui peut être dispersé dans l’air sous forme de minuscules particules par l’érosion des sols ou les processus industriels humains, a un effet bénéfique sur la santé à petite dose (et négatif à trop haute dose). Selon les chercheurs australiens, il serait possible de respirer une partie de nos apports quotidiens de manganèse, même s’il semble difficile d’en aspirer plus de 100 nanogrammes par jour, alors que l’apport quotidien recommandé est d’environ 2 milligrammes. « Les quantités de nutriments dans l’air sont effectivement infimes, mais nos voies respiratoires sont bien plus efficaces pour absorber les molécules que notre intestin », rappellent les deux scientifiques. D’ailleurs, les soudeurs exposés à des niveaux élevés de manganèse dans l’air présentent plus de risques d’accumuler des quantités neurotoxiques pouvant entraîner des déficiences cognitives et des symptômes similaires à ceux de la maladie de Parkinson.
Un autre candidat prometteur est l’acide rétinoïque, que l’on trouve dans les aliments contenant du bêtacarotène (carottes, patates douces). Il est essentiel au développement embryonnaire, ainsi qu’à la régénération cellulaire et à la fonction immunitaire. « Des recherches suggèrent qu’il pourrait se trouver dans l’air en quantités significatives », souligne Stephen Robinson. Deux autres micronutriments, le zinc et le fer, peuvent également entrer dans le cerveau via le bulbe olfactif. Mais les preuves de leur concentration dans l’air en quantités significatives font cette fois défaut.
Outre les aéro-nutriments, les deux scientifiques ont aussi découvert que les bactéries présentes dans l’air sont capables d’ensemencer les microbiomes de nos voies respiratoires et de nos intestins. « Il existe des preuves scientifiques solides indiquant que l’exposition régulière aux espaces verts et aux zones rurales est bénéfique pour nos microbiomes parce qu’elle reconstitue les ‘bonnes’ bactéries qui nous protègent des ‘mauvaises’ bactéries à l’origine de maladies, détaille Stephen Robinson. Nous rapportons dans notre étude des travaux démontrant par exemple que le nez de personnes en bonne santé contient de grandes populations de Corynebacterium accolens, une bactérie qui permet de lutter contre le staphylocoque doré ».
Des preuves à renforcer
Des chercheurs interrogés par L’Express reconnaissent l’intérêt de ces travaux, tout en soulignant leurs limites. « Certains nutriments pourraient effectivement être aéroportés et absorbés par les voies respiratoires. Mais cette voie restera très secondaire du fait de la très faible densité de nutriments dans l’air par rapport à l’alimentation », estime par exemple Jean-François Huneau, professeur de biologie et de nutrition humaines (AgroParisTech). Son collègue François Mariotti, professeur de nutrition (AgroParisTech), confirme : « Tout cela est intéressant, mais ils ne font pas de démonstration directe pour les nutriments et surtout pas de quantification : quelles sont les concentrations de nutriments dans l’air, quels sont les coefficients d’absorption par les poumons et pour quelle contribution effective finale de cette voie ? ». Jean-François Landrier, directeur de recherche à l’Inrae et membre du Centre de recherche en cardiovasculaire et nutrition (Aix-Marseille Université, Inserm, Inrae), partage le même avis : « La quantité de nutriments présente dans l’air me semble modeste au regard des besoins en certaines molécules ». Ce dernier ajoute que le phénomène pourrait « éventuellement être intéressant » pour certains composés nécessaires en très faibles quantités.
« La faible densité aéroportée des nutriments dans l’air pourrait avoir de l’importance physiologique pour des micronutriments dont les besoins quotidiens se mesurent en microgrammes, comme l’iode, le sélénium, le molybdène, les vitamines B12, D et K, poursuit Denis Corpet, microbiologiste et professeur émérite Hygiène & Nutrition à l’Université de Toulouse. Pour ceux dont les besoins s’expriment en milligrammes, j’ai plus de doutes, sauf s’ils sont volatils… Peut-être le fer, le zinc, le chrome, le manganèse ou le fluor ? ». Le professeur émérite se montre plus convaincu par la partie sur les bactéries. « On peut attraper un rhume, la Covid-19, ou un pneumocoque par le nez. De la même manière, on peut récupérer de ‘bonnes bactéries’, même s’il est nécessaire de mieux étudier leurs potentiels impacts bénéfiques », tempère-t-il.
Les auteurs de l’étude reconnaissent ces limites, mais sont persuadés qu’il s’agit d’une piste prometteuse. « Une grande partie de la population humaine est déficiente en un ou plusieurs micronutriments, les vitamines A, D et l’iode étant parmi les carences les plus courantes, rappelle Stephen Robinson. Maintenant que nous savons que ces micronutriments peuvent être facilement absorbés par inhalation, il pourrait être possible à l’avenir de respirer des quantités dosées à partir de nébuliseurs enrichis ». Cette approche pourrait également être intéressante pour les patients qui rencontrent des difficultés à avaler des comprimés.
Sous l’eau, en forêt et dans l’espace
Pour confirmer ces nouvelles pistes, il faut maintenant mener d’autres recherches pour mieux caractériser et quantifier les composants de l’air qui peuvent avoir un effet positif sur notre santé, plaide Stephen Robinson. La deuxième piste qu’il veut explorer avec sa collègue est l’effet sur la santé de l’air filtré et recyclé, comme celui que l’on trouve dans les sous-marins et les stations spatiales, puisqu’il ne contient pas les quantités normales d’aéro-nutriments et d’aéro-microbes. « Cette question prend de plus en plus d’importance à mesure que l’humanité s’intéresse à la vie dans des bases sur la lune ou sur Mars », poursuit le chercheur.
Leur théorie sur les aéro-nutriments et microbes pourrait également expliquer en partie les mystérieux bienfaits pour la santé de passer du temps dans la nature. « Toutes les preuves qui existent sur les thérapies. ‘naturelles’ comme les ‘bains de forêt’ montrent assez clairement l’impact sur la santé : si vous passez plus de temps dans la nature, vous êtes en meilleure santé », indique-t-il. Les recherches pourraient d’ailleurs s’élargir et ne plus concerner seulement les nutriments ou les microbes, mais aussi les huiles essentielles. « On peut supposer qu’au cœur d’une forêt d’eucalyptus ou de résineux, on absorbe des terpènes bioactifs qui débouchent le nez, tuent quelques germes, et modifient certains métabolismes comme celui des stéroïdes (testostérones et autres) », propose ainsi Denis Corpet. Une réflexion qui enthousiasme Stephen Robinson, qui espère pouvoir « inspirer » de nombreux autres chercheurs.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-05-29 10:00:00
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