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Droits de douane : et si l’UE ciblait les géants de Wall Street ?

Droits de douane : et si l’UE ciblait les géants de Wall Street ?

La méthode, bien qu’erratique et imprévisible, est désormais connue dans les grandes lignes. Donald Trump menace, sévit, puis accorde un sursis, avant de pousser à la négociation pour arriver à ses fins. Alors qu’elle se croyait épargnée jusqu’à début juillet, l’Europe a vu le président américain relancer la guerre commerciale le 23 mai, spécifiquement à son encontre. Les Etats membres de l’UE risquent désormais d’être soumis à des droits de douane de 50 % au lieu de 20%. La sentence devait s’appliquer dès le 1er juin. Un coup de fil de la présidente de la Commission européenne au milliardaire républicain a permis d’obtenir un répit jusqu’au 9 juillet – date butoir de la pause de trois mois accordée aux pays du monde entier.

D’ici là, les 27 vont devoir se remettre autour de la table pour trouver un plan d’attaque afin de peser dans les pourparlers. Pas une mince affaire. « La stratégie de Donald Trump est claire : être très offensif dès le départ pour forcer la négociation. Dans un dialogue bilatéral, par exemple entre les États-Unis et un autre pays, c’est simple : il y a un interlocuteur. Avec l’Union européenne, il y a plusieurs voix, des temporalités différentes et une structure institutionnelle qui rend difficile une réaction rapide et unifiée », souligne Matthieu Wiltz, directeur général adjoint pour la région Europe Moyen-Orient et Afrique chez JPMorgan.

Un outil d’abord dissuasif

Il va pourtant falloir se mettre d’accord, et vite. Le nouveau taux envisagé par l’administration américaine ne fait que conforter Jean-Luc Demarty. Dès les premières annonces début avril, l’ancien directeur du Commerce extérieur de la Commission européenne, affirmait auprès de L’Express : « Il faut activer le règlement anti-coercition là où ça fait mal : sur les services numériques et financiers ». L’ex-conseiller de Jacques Delors n’en démord pas aujourd’hui : « La main de l’UE ne doit pas trembler même si c’est coûteux à court terme ».

Ce mécanisme, adopté en octobre 2023 par le Conseil de l’Europe, se décline en une série de contre-mesures à brandir lorsqu' »un pays tiers tente de faire pression sur l’Union ou sur un État membre pour l’inciter à opérer un choix particulier, en appliquant ou en menaçant d’appliquer, à l’égard de l’Union ou de l’État membre, des mesures qui affectent le commerce ou les investissements », précise la Commission.

« L’outil est là et ouvre un large éventail d’actions potentielles : l’introduction de taxes ciblées sur certains services financiers, des restrictions d’accès aux marchés publics européens pour certaines entreprises, y compris américaines, des mesures dans les secteurs stratégiques comme les technologies de pointe », énumère l’avocat Jan Dunin-Wasowicz, cofondateur du cabinet Bennink Dunin-Wasowicz, spécialisé en sanctions économiques. Des mesures à adopter en dernier ressort, car la vocation du règlement anti-coercition est avant tout la dissuasion. Dès lors, « il faut être crédible dans la posture qu’on adopte, ce qui suppose que la possibilité de l’activer soit réellement envisagée, et que nos partenaires – ou nos adversaires – le perçoivent », prévient Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors, spécialiste du commerce.

Une menace prise au sérieux outre-Atlantique

Du côté de JPMorgan, la plus grande banque américaine, la possibilité de se voir barrer la route des investissements en Europe est prise très au sérieux. « C’est un risque réel, et on ne le sous-estime absolument pas. Nous essayons de l’expliquer aux clients, et lors de nos échanges avec les régulateurs », explique Matthieu Wiltz. Le géant de Wall Street a élaboré plusieurs scénarios afin d’être paré à toute éventualité.

Une arme à double tranchant ? Activer – pour la première fois – cet outil aurait un effet contre-productif, assure Mathieu Wiltz. « Mettre en place des mesures d’interdiction, de surtaxation ou de blocage contre les acteurs américains pénaliserait les entreprises européennes, qui vont déjà être affectées par les tarifs douaniers. Elles ont au contraire besoin de partenaires solides à leurs côtés dans cette période. » Marie‑Agnès Nicolas, avocate associée au sein du cabinet Hughes Hubbard, s’inquiète aussi d’un retour de bâton : « Le poids des banques américaines est tel que toute mesure pourrait entraîner un effet boomerang. Il faut donc trouver le bon équilibre, doser finement les pressions ». Elvire Fabry rejette ces arguments. « Persiste l’idée que les banques américaines seraient indispensables, non substituables, et que les Européens ne seraient pas capables de faire front ou d’opposer une véritable résistance. Je pense qu’elles commencent à devenir plus nerveuses ». Reste à savoir si l’Europe sera prête à montrer les muscles.



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Author : Thibault Marotte

Publish date : 2025-05-30 05:30:00

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