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Guerre à Gaza : Benyamin Netanyahou, le grand divorce avec les Israéliens

Guerre à Gaza : Benyamin Netanyahou, le grand divorce avec les Israéliens

Pour honorer la journée de Jérusalem, le 26 mai dernier, Benyamin Netanyahou a délocalisé son conseil des ministres dans un lieu hautement symbolique : la cité de David. Située en contrebas de la vieille ville, au cœur du quartier palestinien de Silwan, cette implantation urbaine symbolise par excellence la domination israélienne sur Jérusalem Est, conquise et annexée après la victoire de la guerre des Six Jours, il y a tout juste 58 ans. « Jérusalem, notre capitale éternelle, ne sera plus jamais divisée », a juré Netanyahou en préambule de la réunion ministérielle.

Quelques heures plus tard, il s’est rendu au Merkaz Ha Rav, la yeshiva emblématique du sionisme religieux. « C’est une guerre du bien contre le mal. Une guerre pour nos valeurs, pour la justice, pour Jérusalem », a-t-il affirmé devant un parterre de rabbins et de jeunes étudiants religieux nationalistes coiffés d’une kippa tricotée. Standing ovation. « Netanyahou ne lâche rien alors qu’il subit une pression énorme du monde entier. Il a tout le monde contre lui : le Hamas, les médias, la conseillère du gouvernement, les Européens [NDLR : Bruxelles réexamine actuellement l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël]. Que Dieu le protège », lâche Itaï, un étudiant de la yeshiva, résumant le sentiment général.

Avec le petit peuple sépharade des quartiers populaires et des villes de la périphérie, les sionistes religieux forment le socle des partisans de « Bibi, roi d’Israël ». D’après les enquêtes d’opinion, ils représentent un petit tiers de l’électorat. En revanche, 70 % des Israéliens ne feraient aujourd’hui plus confiance à leur Premier ministre pour conduire la politique de l’Etat hébreu, 60 % voudraient même qu’il démissionne. Avec les familles des otages, les relations sont particulièrement tendues et en début de semaine, un énième couac a encore nourri la discorde : Benyamin Netanyahou a laissé espérer un dénouement imminent, sans que rien ne se passe. « Cela a bouleversé toutes les familles, se désole Eli Albag, le père de l’ancienne otage Liri Albag. Elles ont commencé à se réjouir, elles étaient plus heureuses que jamais, mais elles ont vite compris que ce n’étaient que des balivernes sans importance ».

La question des otages

Sur ce dossier, le Premier ministre israélien agit à l’évidence à rebours de l’opinion majoritaire. Deux tiers des Israéliens se disent favorables à un accord avec le Hamas pour obtenir la libération des 58 otages encore détenus à Gaza (dont vingt seraient vivants), fut-ce au prix d’un arrêt définitif de la guerre. Le gouvernement Netanyahou, lui, donne toujours la priorité à l’éradication totale du mouvement islamiste. « La libération des otages n’est pas l’objectif le plus important de la guerre. Nous devons d’abord détruire le Hamas pour qu’il n’y ait plus de 7-Octobre », a reconnu le ministre d’extrême droite Bezalel Smotrich, explicitant la politique de son patron.

« La question des otages souligne le divorce entre Netanyahou et les Israéliens. De plus en plus de gens se montrent convaincus qu’il sacrifie les otages pour continuer la guerre et se maintenir au pouvoir », estime le démographe et politologue Sergio DellaPergola.

Si le pays ne connaît pas de mouvement antiguerre de grande ampleur, la radicalité de l’opération militaire à Gaza commence à faire des remous au sein de la société israélienne. La gauche critique les bombardements de Tsahal qui causeraient chaque jour des dizaines de morts civils à Gaza selon les données du Hamas jugées fiables par l’ONU. « Regardez ces enfants dans les yeux, ce ne sont pas des terroristes », implore Néora Shem, cette retraitée de Tel-Aviv qui a pris la tête d’une campagne de sensibilisation à la souffrance palestinienne. Chaque samedi soir, en marge des manifestations pour la libération des otages, elle brandit avec une centaine de camarades des photos d’enfants gazaouis tués dans des bombardements israéliens. « Le message a parfois du mal à passer et nous sommes copieusement insultés. Mais nous étions une poignée quand nous avons démarré et chaque semaine des dizaines de personnes rejoignent notre groupe. Les gens réalisent que nous menons un combat moral. »

Surfant sur ce réveil des pacifistes, le chef du parti travailliste Yaïr Golan a accusé le gouvernement de tuer des enfants comme un « passe-temps ». « Israël deviendra un Etat paria, comme l’était l’Afrique du Sud, si nous ne recommençons pas à agir comme un pays sain », estime Yaïr Golan. Ses propos ont déclenché la fureur de la droite et d’une partie du centre. L’autre grande figure de l’opposition, Yaïr Lapid, lui a, en revanche, apporté son soutien.

La bataille avec la procureure générale d’Israël

En sus des attaques d’une opposition ragaillardie, Netanyahou doit affronter une adversaire redoutable installée au cœur de l’appareil d’Etat : la procureure générale de l’Etat d’Israël, Gali Baharav-Miara. Personnage institutionnellement très puissant, sans réel équivalent dans les autres démocraties occidentales, elle ferraille pied à pied avec le Premier ministre dont elle conteste la légalité de plusieurs décisions. Dernier clash en date : la nomination du nouveau chef du Shin Bet, le général David Zini, un sioniste religieux militant, partisan de la guerre totale à Gaza. « Une nomination illégale », a tonné Gali Baharav-Miara, rejoignant l’avis de la Cour suprême. La conseillère juridique et les juges contestent le renvoi du prédécesseur de Zini, Ronen Bar, alors que le Shin Beth enquêtait sur une curieuse affaire mettant en cause des proches de Netanyahou soupçonnés d’avoir touché de l’argent du Qatar pour redorer l’image de l’émirat dans l’opinion israélienne.

Ce jeudi, Benyamin Netanyahou a rencontré les représentants des familles d’otages pour leur annoncer qu’il avait accepté l’accord de trêve à Gaza prévoyant la libération de dix otages vivants et la restitution de dix-huit corps. Mais il refuse toujours de mettre fin au conflit, entraînant le refus du Hamas. Assis sur une majorité solide et pour l’instant loyale, il tient bon. Il mise sur un effondrement du Hamas à Gaza pour obtenir le retour des otages, laver l’humiliation du 7 octobre et regagner les faveurs de l’opinion. Malgré des tensions sur le dossier iranien, l’administration Trump continue de lui apporter un soutien diplomatique et stratégique indispensable. Régulièrement, il rassure ses partisans sur sa capacité à rebondir. De fait, à chaque élection depuis quinze ans – à une exception près -, « le magicien » a fait mentir les sondages et réussi à conserver le pouvoir.



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Publish date : 2025-05-31 06:45:00

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