Unis, pour une fois. Ce lundi 2 juin, Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez débarquent ensemble à Matignon. Accompagnés du patron des sénateurs LR Mathieu Darnaud, ils sont venus dire à François Bayrou tout le mal qu’ils pensent de son projet de proportionnelle aux élections législatives. Les deux ex-rivaux accusent ce mode de scrutin de tous les maux : instabilité gouvernementale, retour au régime des partis et perte d’ancrage des députés. A l’issue de l’entretien, le nouveau président des Républicains voit rouge. Il étrille une réforme source « d’impuissance publique » et assure avoir dit au Béarnais qu’il ne « porterait pas » un tel texte en tant que ministre de l’Intérieur. De là à mettre en cause la participation de la droite au gouvernement ? « Toutes les options sont ouvertes », prévient-il.
Bruno Retailleau, héraut autoproclamé du compromis, se serait-il égaré ? La rhétorique virulente est avant tout stratégique. Le Vendéen se fait porte-voix de son mouvement, farouchement opposé à cette révolution institutionnelle. Il a montré les muscles dès ce matin lors d’une visioconférence avec les députés LR, en première ligne sur ce projet. Pendant une heure, il a réaffirmé son opposition à la proportionnelle et son refus de toute « négociation » sur le sujet. Elle serait synonyme d’abdication.
« Il essaie de calmer Wauquiez et les jusqu’au boutistes »
Cette intransigeance a une visée interne. Le patron des Républicains doit démontrer son indépendance vis-à-vis du Premier ministre, qualité mise en doute par Laurent Wauquiez lors de l’élection interne. Alors, il la met en scène sur ce sujet institutionnel. Hausse le ton, quitte à donner le sentiment de suivre les doléances de son ancien adversaire, sceptique sur la coalition avec les macronistes. Si le « socle commun » ne tient qu’à une affaire de mode de scrutin, quelle est sa raison d’être ? Quel est l’enjeu réel de la présence de Bruno Retailleau à Beauvau pour les Français ?
Dès le 28 mai, le Bureau politique de LR a adopté à l’unanimité une résolution hostile à la proportionnelle. La première réunion de l’instance sous la présidence de Bruno Retailleau avait accouché de cette décision, décidément obsessionnelle à droite. La veille, les députés avaient donné mandat à Laurent Wauquiez pour combattre cette réforme. « Ce dossier est un test majeur pour Retailleau », confie l’un d’eux. Le premier d’une longue série.
Plus qu’un test, Bruno Retailleau va être soumis dans les prochains mois à une forme de contrôle continu. Sa liberté de ton va être interrogée par ses pairs. A commencer par Laurent Wauquiez, qui ne cesse d’agiter le spectre d’une dilution de la droite dans le macronisme en raison de sa participation au gouvernement.
L’argument n’a pas séduit les adhérents LR ? Qu’importe. L’ex-patron de région compte creuser ce sillon stratégique pour se différencier de son rival. Ainsi le député de la Loire Jean-Pierre Taite, fidèle de l’ancien ministre, a rappelé ce lundi à Bruno Retailleau sa discrétion lors de la nomination de Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel. Les députés LR avaient ferraillé contre ce choix, quand le Vendéen s’abritait derrière la « séparation des pouvoirs » pour justifier sa mise en retrait. « Sur le sujet de la proportionnelle, il essaie de calmer Wauquiez et les jusqu’au boutistes », note un lieutenant du ministre.
« Les Français s’en foutent »
S’opposer, jusqu’où ? La droite peut-elle quitter avec fracas le gouvernement si François Bayrou persistait ? Dès ce lundi matin, Bruno Retailleau confiait aux députés LR que toutes les « portes » étaient « ouvertes », sans s’épancher d’avantage. L’ancien sénateur entretient un flou stratégique sur ses intentions. En apparence, du moins. De nombreux élus de droite jugent en privé que LR ne peut provoquer la rupture avec François Bayrou sur un sujet électoral.
Trop loin des préoccupations des Français. « Ils s’en foutent et on passerait pour des mauvais joueurs », note un lieutenant du locataire de Beauvau. Un député, soutien de Laurent Wauquiez, complète : « On ne peut pas sortir sur un sujet institutionnel. Mais il ne faut rien s’interdire pour peser dans ce bras de fer. » En mars, Bruno Retailleau – qui n’était pas encore président de parti – confiait à L’Express sa doctrine sur les raisons d’une démission du gouvernement : « Il faudrait que cela soit sur un sujet majeur, qui heurte mes convictions et l’intérêt national. Que ce soit un sujet compréhensible par le grand public. » Loin, alors, des conditions d’élection d’un député dans la circonscription de Haute-Garonne.
Ainsi, Bruno Retailleau lui-même combine intransigeance et détachement. Lors de son échange avec les députés, il s’est montré réservé sur le lancement d’une opération de communication de LR sur la proportionnelle. Avec deux arguments : les Français approuvent cette réforme ; LR prendrait le risque d’apparaître comme une formation politicienne surtout préoccupée par ses intérêts propres. Pas idéal, deux ans avant l’élection présidentielle. Virulence rhétorique et prudence tactique. Le ministre joue cette partition dans son poker menteur avec François Bayrou. Ce jeu est à double tranchant : il le distancie du chef du gouvernement mais peut lui accoler l’image de ministre velléitaire, au verbe haut sans traduction immédiate.
Car les faits sont têtus. Bruno Retailleau mesure combien lui apporte son installation au ministère de l’Intérieur. Huit mois à Beauvau ont transformé le sénateur en présidentiable et donné un nouveau souffle à la droite. Faut-il vraiment retourner la table pour une réforme du mode de scrutin, au destin bien flou ? Lui-même a reconnu ce lundi matin qu’il fallait 18 mois pour qu’elle voit le jour, avec deux textes distincts. La lourdeur de la procédure, conjuguée à l’opposition d’une partie du socle commun, rend bien hypothétique le projet de François Bayrou. Une ministre LR confiait récemment : « Notre intérêt est de rester au gouvernement jusqu’au jour où on constatera un écart trop grand avec nos convictions. » Ce jour n’est pas encore arrivé.
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Author : Paul Chaulet
Publish date : 2025-06-02 18:53:00
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