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Cancer du sein : les femmes diplômées plus à risque ? La réalité derrière les chiffres qui ont fait le buzz

Cancer du sein : les femmes diplômées plus à risque ? La réalité derrière les chiffres qui ont fait le buzz

Les femmes les plus diplômées seraient aussi les plus à risque de développer un cancer du sein. Ce constat, tiré d’une vaste étude épidémiologique, a été largement commenté ces dernières semaines. Publié dans la revue International journal of cancer, ce travail est tout à fait sérieux : il porte sur plus de 300 000 femmes à travers neuf pays, dont la France, suivies pour des durées allant quatre à quatorze ans. Parmi elles, 14 432 ont eu une tumeur mammaire sur la période. En croisant les données relatives au cancer avec le niveau d’éducation des participantes, les chercheurs ont montré que les diplômées du supérieur avaient un risque plus élevé de 39 % de présenter une forme localisée (in situ) et de 19 % pour les formes invasives, par rapport à celles qui n’étaient pas allées à l’école, ou qui s’étaient arrêtées à la fin du primaire.

Ces résultats en apparence surprenants – habituellement ce sont surtout les populations les moins favorisées qui sont le plus exposées au risque de cancer – peuvent sans doute expliquer la large médiatisation de cette publication. Pourtant, présentées de cette façon, sans analyses complémentaires, ces données risquent à la fois d’induire une inquiétude exagérée chez les femmes concernées, tout en passant à côté de questions cruciales pour une prévention pertinente de ces tumeurs, encore à l’origine de plus de 12 000 décès chaque année en France.

« Personnellement, cette publication ne m’empêche pas de dormir, et pourtant, je suis très diplômée », lance l’épidémiologiste Dominique Costagliola, directrice de recherche émérite à l’Inserm. A l’évidence, un parcours universitaire n’explique pas, en lui-même, l’apparition de ces tumeurs en excès. « Il s’agit d’une association, pas d’un lien de causalité direct », indique Simone Mathoulin Pélissier, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’Université de Bordeaux. En revanche, les femmes qui ont poursuivi le plus longtemps leurs études présentent souvent des caractéristiques connues de longue date pour favoriser les cancers du sein : âge plus élevé à la première grossesse, nombre d’enfants réduit, peu ou pas d’allaitement, consommation d’alcool plus importante, traitement substitutif de la ménopause plus fréquent… « Cette étude confirme qu’il est nécessaire de continuer à les informer sur les risques liés à ces comportements », insiste Catherine Hill, ancienne épidémiologiste à Gustave-Roussy. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, et la réalité s’avère, comme souvent, un peu plus complexe.

Un effet faible, des données anciennes

L’effet constaté se révèle d’abord assez faible. « Avec une différence de risque de 19 % pour les cancers invasifs, les plus nombreux dans cette publication, nous nous trouvons dans des ordres de grandeur où l’interprétation causale reste complexe », assure Dominique Costagliola. Pour les auteurs de l’étude, cela n’enlève toutefois rien à l’intérêt de leur travail : « Cette différence est certes modeste, mais statistiquement significative. Elle se trouve peut-être faible dans l’absolu, mais elle demeure pertinente en termes de santé publique, car même un écart modeste peut se traduire par un nombre substantiel de cas à l’échelle de la population », souligne Margherita Pizzato, chercheuse à l’université de Milan et première auteur de l’article.

Les données portent par ailleurs sur une période déjà un peu ancienne – les participantes ont été incluses dans les cohortes dans les années 1990, et le suivi a pris fin entre 2004 et 2010 selon les pays. Depuis, la société a évolué, et avec elle les comportements des femmes : « Il semble que le gradient social de l’incidence du cancer du sein se soit réduit, et même inversé dans certains contextes, les taux d’incidence devenant plus élevés chez les femmes ayant un faible niveau d’éducation », reconnaît Margherita Pizzato. Pour la scientifique, les résultats présentés confirment toutefois la nécessité de prendre en compte les différences socio-économiques dans les recherches sur les causes des cancers.

Le dépistage pourrait expliquer en partie les différences

Mais pour en tirer des leçons pertinentes en termes de prévention, encore faut-il ne pas se tromper sur l’origine des différences entre les groupes étudiés. Or, en analysant les facteurs de risque déjà connus de cancer du sein pour lesquels ils disposaient de données, les auteurs de l’étude se sont rendu compte que ceux-ci expliquaient moins de la moitié de l’écart constaté selon le niveau d’éducation. Il leur manque en revanche une information essentielle : la participation au dépistage du cancer du sein. « Nous savons que les femmes les plus aisées font plus souvent des mammographies que les autres. Ce facteur n’a pas pu être pris en compte, alors qu’il pourrait expliquer une part importante de la différence observée », souligne Dominique Costagliola.

Plusieurs éléments viennent conforter cette hypothèse. Les scientifiques ont pu étudier plus en détail les types de cancer du sein contractés par les participantes à l’étude, et croiser ces données avec le niveau d’éducation des patientes. Et de fait, ils montrent que l’incidence des tumeurs dites « in situ » ou « à récepteurs hormonaux positifs » est plus importante chez les femmes les plus éduquées. Or ces formes de cancer ont généralement une croissance lente et sont plus susceptibles d’être détectées à un stade précoce par une « mammo » de routine. « Cela montre que le dépistage joue bien un rôle important dans les différences mises en lumière dans cette publication », indique Catherine Hill.

Autre argument de poids, les femmes les plus défavorisées sont aussi celles qui meurent le plus de leurs cancers. Faut-il en déduire que les femmes les plus éduquées, qui participent plus au dépistage, n’ont en réalité pas un risque très augmenté, mais qu’elles font plus souvent l’objet d’un « surdiagnostic », avec la détection de tumeurs qui n’auraient sinon jamais fait parler d’elles ? « Ce serait une conclusion hâtive, relativise la Pr Simone Mathoulin Pélissier. Nous n’avons pas de données permettant d’aller dans ce sens. Le taux de surdiagnostic reste très discuté, mais on ne peut pas dire en l’état que ce phénomène explique à lui seul les différences entre les groupes ». D’autres facteurs encore inconnus pourraient en effet aussi rentrer en ligne de compte, insiste cette experte : « Beaucoup de pistes sont aujourd’hui à l’étude, notamment autour des expositions environnementales ».

Facteurs psychosociaux

Spécialiste des inégalités sociales de santé et coauteur de l’étude, Cyrille Delpierre s’intéresse lui à une autre question : les raisons pouvant expliquer le taux de mortalité plus élevé constaté dans les populations les plus défavorisées. S’il est souvent attribué à un moindre recours au dépistage (et donc à la découverte des tumeurs à des stades trop tardifs) et à des difficultés d’accès aux soins, les données qu’il a rassemblées avec ses collègues indiquent que ce ne sont pas forcément, là non plus, les seules explications. « Nous montrons que les plus modestes présentent un risque plus élevé de développer une forme de cancer plus agressif. Nous voulons essayer de comprendre pourquoi », explique cet épidémiologiste.

L’hypothèse qu’il étudie aujourd’hui avec ses équipes : le rôle des conditions de vie dans la survenue de tumeurs. « Il ne s’agit pas seulement des comportements, comme le tabagisme, mais bien du milieu dans lequel on vit, qui agit sur la biologie. On parle dans notre jargon d’incorporation biologique du social », indique Cyrille Delpierre. Avec, dans sa ligne de mire, les expositions professionnelles aux polluants, mais aussi les facteurs psychosociaux : « Le fait de se trouver fréquemment en situation de stress pourrait favoriser une inflammation de bas grade, elle-même propice aux pathologies chroniques, dont les cancers ». Un sujet à la fois sensible et polémique, qui reste à ce stade, insiste-t-il, une question de recherche. Ces données montrent en tout cas qu’il ne faut surtout pas négliger les mesures de prévention à destination des populations les plus défavorisées…



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Author : Stéphanie Benz

Publish date : 2025-06-07 14:00:00

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