C’est l’heure de l’aggiornamento. Depuis plusieurs années, l’Organisation des Nations unies traverse une crise profonde, à la fois financière, structurelle et identitaire. Le retrait progressif des Etats-Unis de la scène multilatérale, couplé aux coupes budgétaires drastiques imposées par plusieurs pays européens, met en péril son fonctionnement. Face à ce défi, le secrétaire général António Guterres a lancé, le 11 mars dernier, une ambitieuse initiative de réforme baptisée « ONU 80 », en référence au 80e anniversaire, en ce juin 2025, de cette institution clef de la gouvernance mondial. « Nous vivons une période d’incertitude et d’imprévisibilité intenses », a déclaré António Guterres le 12 mars.
L’objectif affiché est clair : repenser l’immense machine diplomatique de l’intérieur afin d’assurer sa pérennité. Sauf que derrière cette volonté de dépoussiérage se dessine un chantier complexe et délicat. De quoi susciter de nombreuses inquiétudes au sein du personnel onusien.
Relocalisation des activités de l’ONU ?
L’axe principal d’ONU 80 consiste en une série de mesures destinées à réduire les coûts de fonctionnement de l’organisation. Le site de l’Organisation explique que c’est Catherine Pollard, responsable du département de gestion stratégique, qui pilote un groupe de travail chargé d’identifier des pistes d’économies. Est envisagée la relocalisation d’activités hors des grandes capitales coûteuses comme New York ou Genève.
A ce sujet, le Qatar et le Rwanda ont déjà avancé leurs pions pour concurrencer Genève. Courant mai dans la ville suisse, selon les informations du quotidien suisse la Tribune de Genève, « une délégation d’une quarantaine de personnes, menée par le frère de l’émir [Tamim ben Hamad Al Thani] » a en effet proposé à l’ONU d’accueillir son pôle humanitaire. De son côté, le Rwanda a proposé de « reprendre des activités associées jusqu’ici au palais des Nations genevois ». « Des bureaux régionaux situés à Addis-Abeba, Panama, Damas ou Bangkok. Le symbole est fort », a ajouté la Tribune de Genève.
Parmi les pistes d’économie, est aussi envisagée l’automatisation de certaines fonctions administratives. Cette démarche vise à faire des « gains d’efficacité » dans un contexte où la crise de liquidités est devenue chronique depuis 2022.
Pour le secrétaire général, il s’agit de transformer radicalement l’organisation en modernisant sa structure et en ajustant les mandats qui pèsent sur ses épaules. Lors d’une réunion au siège new-yorkais, António Guterres a reconnu la gravité de la situation, évoquant une « période de turbulences » sans précédent. Mais il a aussi insisté sur l’urgence d’un « sursaut collectif » afin de relever les défis globaux qui attendent l’ONU, tant pour la décennie à venir que pour les 80 prochaines années.
Un chantier de simplification
Le deuxième volet de la réforme porte sur la révision des mandats confiés par les Etats membres. Ces derniers, au nombre de 3 600, sont souvent redondants et parfois en décalage avec les moyens réels de l’ONU. Une analyse datant de 2006 avait déjà souligné ces problèmes de « lourdeurs bureaucratiques » et d’ »inadéquations » entre ressources et missions, a rappelé le Secrétaire général. Aujourd’hui, selon Antonio Guterres, ces difficultés se sont amplifiées et pèsent lourdement sur la capacité de l’ONU à remplir son rôle. C’est donc un chantier de simplification qui s’ouvre, avec l’espoir de concentrer les efforts sur les priorités et de mieux aligner les mandats avec les ressources disponibles.
Le troisième pilier d’ONU concerne la réorganisation structurelle de l’ensemble du système onusien. Près de 50 propositions ont déjà été soumises par les hauts responsables, répartis dans sept groupes thématiques. Parmi les mesures envisagées, une réforme majeure du département des affaires politiques et des opérations de paix pourrait entraîner une réduction d’environ 20 % de leurs effectifs. Ces suppressions de postes, accompagnées de relocalisations, risque d’être particulièrement douloureuses pour les fonctionnaires et agents, dont beaucoup vivent dans un climat d’incertitude.
Dans les pages de nos confrères du Temps, plusieurs employés témoignent d’ailleurs d’un « climat irrespirable » au Palais des Nations. En effet, la peur du licenciement est omniprésente. C’est ce que raconte l’un d’eux, sous couvert d’anonymat : « De nombreux collaborateurs de l’ONU ne savent pas si dans une, deux, trois semaines, ils seront encore là. Certains sont convoqués sur Teams par les ressources humaines. Ils s’attendent à être virés. »
L’OIM sévèrement amputée
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’une des agences spécialisées de l »ONU basée à Genève, illustre à elle seule la brutalité de ces coupes budgétaires. « Cela signifierait plus de 200 employés. Je crois que c’est plus », a déclaré vendredi un des employés à l’AFP sous couvert d’anonymat. Quelque 1 000 personnes travaillent au siège genevois. Ces nouvelles suppressions d’emplois arrivent quelques semaines seulement après que l’OIM a licencié environ 3 000 employés. Ils travaillaient pour le programme de réinstallation des réfugiés des Etats-Unis, stoppé par l’administration du président Donald Trump.
L’OIM, qui œuvre pour plus de 280 millions de personnes migrantes à travers le monde, dépendait en effet des Etats-Unis pour plus de 40 % de son budget annuel. La porte-parole de l’agence a reconnu la nécessité de « réaliser des gains d’efficacité », mais souligne que l’impact sur le personnel et les populations aidées reste une grande préoccupation.
Mais dans le fond, la crise financière de l’ONU est surtout le symptôme d’un mal plus profond : la remise en question du système multilatéral lui-même, avec la montée des nationalismes et le désengagement des grandes puissances. Les diplomates ne s’y trompent pas. L’un d’entre eux, interviewé par le Temps, est lucide sur le sujet : « Nous sommes actuellement au milieu d’une tempête de sable. Difficile d’y voir très clair. Mais ne nous y trompons pas: le système multilatéral construit au cours des 80 dernières années est menacé. Nous devons le défendre même si nous ne savons pas ce qu’il sera dans cinq ans. »
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Author : Audrey Parmentier
Publish date : 2025-06-08 15:20:00
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