Le rendez-vous a tout d’une prise de pouls de la diplomatie climatique. Plus de cinq mois après le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et à autant de temps de la prochaine COP, qui se tiendra en novembre à Bélem (Brésil), une réunion majeure sur les océans – l’Unoc – est coorganisée à Nice, du 9 au 13 juin, par la France et le Costa Rica. Lors de ce sommet, Paris souhaite accélérer l’adoption de politiques concrètes pour la sauvegarde de ces grands espaces. Et empêcher les visées prédatrices sur le deuxième poumon de la planète.
« Personne n’est propriétaire ni agent immobilier de la mer », fustige le diplomate et écrivain Olivier Poivre d’Arvor, qui travaille depuis deux ans à l’organisation de l’événement. L’ambassadeur en charge des pôles et des enjeux maritimes estime que la France « peut tracer le chemin à suivre pendant quatre ou cinq ans » en matière de protection des océans. Encore plus à l’heure où les Etats-Unis, première puissance maritime mondiale, « donnent un mauvais exemple ».
L’Express : Organiser l’Unoc est-il le moyen pour la France de montrer qu’elle dispose d’un leadership mondial en matière de protection de l’océan ?
Olivier Poivre d’Arvor : La France est le deuxième domaine maritime au monde. Si on peut tracer le chemin à suivre pendant quatre ou cinq ans, on le fait volontiers. Surtout dans un moment de crise du multilatéralisme. Le président de la République n’est pas le seul engagé sur le sujet : les Français, les ONG et les scientifiques le sont aussi. Juste avant le sommet, l’Ifremer et le CNRS ont organisé le plus grand congrès scientifique jamais tenu sur ce thème à l’échelle internationale.
La mer a besoin d’être connue, partagée, équitable. Les petits pays, insulaires notamment, sont beaucoup plus au rendez-vous de l’océan que les grands, avec une très forte envie de protéger cette maison commune. Notre diplomatie et notre poids peuvent entraîner les plus hésitants sur une pente vertueuse. La France peut jouer ce rôle mais pas, comme d’autres, dans l’optique d’avoir un leadership économique ou stratégique. Nous ne sommes ni les propriétaires ni des agents immobiliers de la mer.
Justement, Donald Trump veut dynamiter l’exploitation des grands fonds marins. D’autres pays pourraient-ils suivre son chemin ?
La première puissance maritime au monde donne là un mauvais exemple. C’est surtout, à mes yeux, une grosse erreur stratégique. Il y en a eu un certain nombre de la part de ce pays : la désindustrialisation, la disparition des ports américains ou des grands chantiers navals. Ainsi, les Etats-Unis possèdent un grand domaine maritime, des scientifiques de haut vol, mais pas de grands transporteurs.
Sur les grands fonds marins, Donald Trump commet d’abord une erreur sur le plan de la légalité, puisqu’il existe une autorité qui délivre des permis, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM). On fait ce qu’on veut dans sa propre zone exclusion économique mais pas en dehors, car on entre dans le jardin des autres. Il réalise ensuite un très mauvais calcul économique : le besoin de ces minerais n’est pas du tout prouvé et le modèle économique n’existe pas. Quand il déclare qu’il prévoit en dix ans 100 milliards de dollars de recettes et 100 000 emplois, je pense que ce sera plutôt 100 milliards de dettes et aucun emploi à la clé.
Le gouvernement américain travaille notamment avec une entreprise, The Metals Company, qui a déposé la première demande d’exploitation minière dans les eaux internationales. Comment réagissez-vous ?
C’est une petite PME douteuse. Il n’est pas du niveau des Etats-Unis de s’associer avec des pilleurs d’abysses.
Au-delà des Etats, le secteur privé a-t-il aussi un rôle à jouer dans la protection des océans ?
Absolument. L’océan, c’est un pacte entre les populations, les leaders politiques et tous ses exploitants – pêcheurs, industriels, câbliers, transporteurs maritimes, etc. A Nice, il y aura entre 70 et 80 chefs d’Etats et une vingtaine de patrons de grandes organisations internationales comme les Nations Unies. Un tel accompagnement politique est inédit pour l’océan. Et ce pacte qu’il faut signer entre les nations les plus ambitieuses, ou en tout cas les moins prédatrices, doit être éclairé par la science.
D’une certaine manière, cette conférence tombe à un bon moment. Donald Trump, en refusant le travail de la science, la dramatise et en fait un sommet de combat plutôt qu’un objet de consensus mou, où tout le monde dirait que l’océan est beau, profond et bleu. Non. Il est en mauvais état et menacé par l’homme. La production d’énergies fossiles continue d’être très importante. Un rapport de l’OCDE vient de sortir sur « l’économie bleue » : l’extraction d’énergies fossiles en représente un tiers ! C’est folie que de continuer à aller en chercher en grattant le fond des océans.
Y aura-t-il une délégation des Etats-Unis à Nice ? Et Donald Trump ?
On a un principe : on veut les chefs d’Etat en personne. Le président brésilien Lula, le vice-président chinois ou le Premier ministre du Vietnam vont venir. Pour le moment, on n’a pas de nouvelles d’une délégation physique des Etats-Unis. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’Américains. Des gouverneurs et des maires de grandes villes – La Nouvelle-Orléans, Los Angeles, New York – viendront témoigner sur la question de l’élévation du niveau de la mer. Il y aura aussi de grands scientifiques, beaucoup d’ONG, des entrepreneurs, des philanthropes, des explorateurs.
On peut voir ce sommet comme une copropriété d’immeuble. Si celui qui a l’un des plus grands lots n’est pas là, cela fait mauvais effet. Et c’est surtout dommage pour lui si l’on prend des décisions qui ne vont pas dans son sens…
Peut-on vraiment espérer de grandes avancées sans la première puissance mondiale ?
Oui, définitivement. Par exemple sur la décarbonation du transport maritime. En avril, à l’Organisation maritime internationale, les Etats se sont mis d’accord sur un engagement de zéro émission nette en 2050. Et ce malgré tout un travail des Américains – c’est leur droit – pour décourager les pays de l’endosser. Sur le développement des aires marines protégées, on peut le faire sans les Etats-Unis. Comme pour la ratification du traité international de protection de la haute mer.
D’autant que Washington n’a pas reconnu la Constitution de la mer. Autre exemple : plusieurs pays, notamment à l’échelle européenne, ont décidé de lancer une grande mission d’exploration nommée Neptune. De très bons groupes océanographiques américains en seront partie prenante : on n’a pas besoin de la Maison-Blanche pour la faire.
La France réclame aussi un moratoire sur le sujet de l’exploitation des grands fonds marins, avec une trentaine de pays. Allez-vous en convaincre d’autres de rejoindre cette alliance ?
J’en suis certain. On n’en démordra pas. Notre position est la plus radicale : celle de l’interdiction. On se l’applique à nous-mêmes et on voudrait que d’autres l’acceptent. Cela s’accorde aussi avec l’idée d’un moratoire ou d’une pause de précaution avant toute signature d’un code minier. D’une certaine manière, le décret de Donald Trump sur l’exploitation des grands fonds marins va renforcer notre position. C’est-à-dire de négocier au sein de l’organisme qui existe déjà, l’AIFM.
Le traité sur la gouvernance de la haute mer n’a pas encore été ratifié par suffisamment de pays pour entrer en vigueur. Ne pas y arriver lors de l’Unoc serait-il un échec pour la France ?
L’Unoc est une réunion de pays de bonne volonté sous l’égide des Nations Unies. Mais il n’existe pas aujourd’hui, comme pour le climat ou la biodiversité, de Conférence des parties (COP) sur l’océan. L’entrée en vigueur de ce traité lancerait le processus de sa mise en place. C’est très important. Pour reprendre la métaphore immobilière, cela permettrait de décider d’un règlement de copropriété. Et d’ensuite décider s’il faut faire des travaux ici ou là, investir ou non.
On a mis vingt ans pour arriver à cet accord sur la gouvernance de la haute mer. Mais la ratification, en effet, traîne. Il y a une certaine paresse des Etats. Et probablement aussi, chez les plus grands, la crainte de perdre une forme de monopole qu’ils exercent aujourd’hui librement sur cette haute mer, y compris en termes d’exploration et d’exploitation des ressources. Ces deux éléments font que l’on n’est pas encore arrivé au seuil minimal des 60 ratifications. Mais notre engagement est la mise en œuvre de ce traité à partir de la fin de l’année. Si le compte n’est pas atteint à Nice, on demandera un mandat pour continuer ce travail diplomatique.
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Author : Baptiste Langlois
Publish date : 2025-06-08 06:00:00
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