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Derrière l’amitié « inébranlable » entre la Chine et la Russie, la suspicion du FSB envers Pékin

Derrière l’amitié « inébranlable » entre la Chine et la Russie, la suspicion du FSB envers Pékin

En façade, l’axe Moscou-Pékin a l’air solide. Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, la Russie s’est définitivement coupée de l’Occident, bien décidé à faire de la Chine sa nouvelle alliée. Il faut dire que Vladimir Poutine a courtisé Xi Jinping pendant des années, à l’occasion de plus de 40 rencontres personnelles, afin de créer un partenariat étroit. Ce qui a fini par porter ses fruits, à en croire les images de la parade militaire du 80e anniversaire de la victoire russe dans la Seconde Guerre mondiale, le 9 mai dernier, événement où le président chinois était présent, assis à côté de Vladimir Poutine.

Mais derrière les sourires affichés lors des sommets bilatéraux et les poignées demain immortalisées par les caméras, les renseignements russes, eux, ne sont pas dupes. Un document secret de leurs services, obtenu par le New York Times, trahit une inquiétude croissante face à l’activisme chinois. Ce rapport confidentiel de huit pages, rédigé fin 2023 ou début 2024, dépeint une Chine intrusive, représentant une menace sérieuse pour la sécurité russe.

Dans les couloirs de la Loubianka, siège du FSB à Moscou, le ton est sans ambiguïté : Pékin chercherait à recruter des espions russes, à mettre la main sur des technologies militaires sensibles, et à tirer profit de l’effort de guerre russe en Ukraine pour mieux avancer ses pions. Et ça ne s’arrête pas là : les agents du renseignement affirment également que la Chine espionne les opérations militaires de son voisin en Ukraine afin d’en savoir plus sur les armes et les méthodes de guerre occidentales.

La méfiance se cantonne pas aux questions militaires. Le rapport évoque également les craintes de revendications territoriales voilées. La Chine, affirment les agents russes, chercherait à réécrire l’histoire dans l’Extrême Orient russe, en menant des recherches sur la présence ancienne de populations chinoise dans la région. Une façon, peut-être, de poser les bases d’un discours géopolitique qui remettraient en question les traités du XIXe siècle, ces derniers ayant permis à la Russie de s’approprier d’immenses territoires aujourd’hui frontaliers de la Chine. En 2023, Pékin avait publié une carte officielle incluant les noms chinois historiques de villes et de régions de Russie, rappelle le New York Times.

Une méfiance de longue date

Par ailleurs, le document du FSB alerte aussi sur les activités chinoises dans l’Arctique. Pékin utiliserait des sociétés minières et des centres de recherche universitaires comme couverture pour collecter des informations sur les infrastructures stratégiques russes dans la région. Même l’Afrique n’est pas en reste : la Russie soupçonne l’empire du Milieu de vouloir récupérer le savoir-faire militaire des mercenaires du groupe Wagner, actifs sur le continent africain, pour le répliquer au sein de ses propres forces ou compagnies de sécurité privées.

Cette méfiance ne date pas d’hier. Trois jours avant l’offensive contre l’Ukraine, en février 2022, le FSB lançait un nouveau programme de contre-espionnage baptisé « Entente 4 » dont le nom, ironique, illustrait déjà l’ambivalence du partenariat sino-russe. Le but : endiguer les infiltrations chinoises pendant que l’essentiel des moyens russes était mobilisé à l’Ouest. Depuis, le dispositif a été renforcé : Les agents du FSB ont été priés d’avertir personnellement les citoyens russes collaborant avec la Chine, de limiter la circulation d’informations sensibles et de ne jamais qualifier publiquement Pékin de menace.

Un jeu d’équilibriste

Car, c’est là toute la complexité de la situation. Malgré les soupçons et les frictions souterraines, la Russie ne peut pas se passer de son puissant voisin. La Chine reste le premier débouché du pétrole russe, ainsi qu’un fournisseur essentiel de composants électroniques et de puces et de matériel militaire. Depuis le retrait des entreprises occidentales, les marques chinoises ont envahi les vitrines russes. Et selon le même rapport, Pékin aurait proposé de mettre en place des chaînes d’approvisionnement pour contourner les sanctions et de participer à la production conjointe de drones de combat.

Pour les services russes, l’équilibre est fragile : il faut contenir l’influence chinoise, sans compromettre l’alliance stratégique. Le document, validé par plusieurs agences occidentales comme authentique, précise que toute action sensible contre des agents chinois doit recevoir l’aval des plus hautes instances sécuritaires du pays. Même quand il s’agit de défendre les secrets d’Etat, la Russie ne peut plus se permettre de froisser Pékin. Si les deux capitales s’accordent pour affaiblir l’Occident, leur coopération repose, elle, sur une base fragile.



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Author : Audrey Parmentier

Publish date : 2025-06-08 12:38:00

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