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« Elon Musk, c’est le Prigojine de Donald Trump » : pourquoi le président a remporté le premier round

« Elon Musk, c’est le Prigojine de Donald Trump » : pourquoi le président a remporté le premier round

Hyperviolente, la lutte entre Elon Musk et Donald Trump ressemble à un match en cage de MMA, cet art martial disputé sur un ring grillagé où tous les coups sont permis. Désormais, la bagarre entre ces deux amateurs de MMA se mène à coups de main, à coups de pied, à coups de boule : le président a qualifié son ancien allié de « grand toxicomane » devenu « fou » tandis que le patron de Tesla, SpaceX et Starlink a laissé entendre sur son réseau X que Trump est impliqué dans le dossier Jeffrey Epstein, du nom de l’homme d’affaires qui s’est suicidé en prison avant son jugement pour trafic sexuel avec des jeunes femmes mineures (Musk a ensuite effacé ses deux tweets à ce propos).

La rixe a commencé sans prévenir en raison d’un différend sur le « BBB », le Big Beautiful Bill, une loi qu’Elon Musk qualifie de « dégoûtante abomination » parce qu’elle creusera de 2,4 trillions de dollars supplémentaires la dette américaine déjà phénoménale.

En réponse à cette critique, vécue comme une trahison, Donald Trump a fait savoir qu’une manière efficace d’économiser de l’argent serait d’annuler les contrats d’Etat signés avec SpaceX et Starlink, deux sociétés de Musk. Au chapitre des amabilités, celui qui était encore récemment qualifié de First Buddy (le « premier pote ») a de son côté indiqué que le candidat Maga n’aurait jamais pu accéder à la Maison-Blanche sans son aide (Musk a contribué au come-back du républicain en versant 280 millions de dollars à sa campagne). Autre crime de lèse-majesté : toujours sur X, l’homme le plus riche du monde a menacé de démanteler DragonX, le vaisseau qui ravitaille la station spatiale internationale. En dépit des efforts de médiation par l’entourage des deux hommes, le point de non-retour semble atteint.

Dévastateur pour les deux mâles alpha, le pugilat l’est plus encore pour Elon Musk. « Il s’est trompé en s’imaginant que la Maison-Blanche pouvait fonctionner en double commande : au sommet, le pouvoir ne se partage pas et le clash était écrit d’avance », estime l’américaniste Georges Ayache, fin connaisseur des présidences américaines qui vient de publier Cuba 1962 (Perrin), un ouvrage sur la crise des missiles vue depuis Washington.

La spécialiste du Parti républicain Françoise Coste abonde : « Cette affaire démontre qu’aux Etats-Unis, le pouvoir du politique l’emporte encore sur le pouvoir de l’argent, ce qui est un peu rassurant. Certes, Elon Musk est dans le vrai lorsqu’il alerte sur le creusement de la dette que causera la loi BBB. Mais il faut bien comprendre que, de Reagan à Trump en passant par les Bush, ce sujet n’a jamais été la priorité des républicains. Ce qui compte avant tout à leurs yeux, c’est baisser les impôts sur les sociétés. »

« L »expérience Musk témoigne de la déliquescence des institutions américaines »

L’irruption d’Elon Musk en politique a considérablement détérioré son image de patron génial. « Les Américains n’ont pas compris en vertu de quoi le boss de Tesla, qui n’a été élu par personne et est né en Afrique du Sud, pouvait entrer dans le bureau Ovale comme dans un moulin, participer à des visites d’Etat et décider seul de fermer des agences étatiques alors que son statut et sa légitimité au gouvernement étaient des plus vagues », poursuit Coste. « L »expérience Musk témoigne de la déliquescence des institutions américaines », conclut-elle. Loin d’avoir amélioré l’efficacité de la bureaucratie, son sinistre bilan à la tête du Doge (département de l’Efficacité gouvernementale) peut se résumer à la fermeture de l’Usaid, l’agence américaine de développement dont le travail de coopération à travers la planète permettait de sauver des vies. Très engagé dans l’aide à l’Afrique, le fondateur de Microsoft Bill Gates a eu ce commentaire cinglant et désabusé : « L’image de l’homme le plus riche du monde prenant des décisions qui tuent les enfants les plus pauvres du monde n’est pas une chose très plaisante à regarder. »

Entre Trump et Musk, c’est le président qui a remporté le premier round. Lui est solidement installé à la Maison-Blanche tandis que Musk a perdu tout crédit politique et semé une sacrée pagaille dans ses propres affaires, à commencer par Tesla – ses véhicules électriques étant boycottés par de nombreux acheteurs potentiels. En six mois, sa fortune serait passée de plus de 450 à environ 350 milliards de dollars. Mais le natif de Pretoria (Afrique du Sud) n’entend pas en rester là. Alors que l’Amérique se tourne déjà vers les élections de mi-mandat 2026 (midterms), il laisse entendre qu’il pèsera sur le vote. « Il est temps de créer un troisième parti », a-t-il écrit l’autre jour sur X. La chose n’a rien d’anodin. « Car, comme le rappelle Georges Ayache, aux Etats-Unis, la création d’un tiers parti divise toujours le camp d’origine du dissident qui en prend l’initiative. » En 1912, la candidature du républicain Theodore Roosevelt avait permis la victoire du démocrate Woodrow Wilson. En 1992, la candidature de l’homme d’affaires texan Ross Perot avait précipité la défaite du républicain George H. W. Bush au bénéfice de Bill Clinton.

Tel le scorpion de la fable, Elon Musk ne peut s’empêcher de piquer mortellement la grenouille, indépendamment des conséquences pour lui-même. Dans l’incapacité de se présenter lui-même à une présidentielle (parce qu’il n’est pas américain de naissance), le multimilliardaire pourrait s’amuser à affaiblir le président, y compris en appuyant des candidats démocrates dans certains Etats. Une idée que, dès ce week-end, Trump a pris au sérieux. Si « Elon » se prête à ce vilain jeu, il y aura « de très sérieuses conséquences », a-t-il menacé.

« Au-delà des midterms, l’enjeu est de savoir si la Silicon Valley triomphera, à terme, de l’establishment de Washington, pointe, à Washington, l’analyste Jacob Heilbrunn. De fait, la mouvance des « tech bros », dont Musk et Peter Thiel (son ancien associé chez PayPal) font partie, voudrait voir accéder au pouvoir celui dont ils ont financé la carrière : le vice-président J. D. Vance. » C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre cet autre tweet, un brin insultant, de Musk rappelant qu’il a encore quarante ans devant lui tandis que le président n’en a plus que trois et demi. Une manière, aussi, de mettre en garde le locataire de la Maison-Blanche contre l’idée (illégale) d’un troisième mandat après 2028.

Trump en a vu d’autres. Résilient comme personne, il a déjà résisté à deux impeachments, une tentative d’assassinat, une série d’enquêtes, plusieurs mises en examen et une condamnation judiciaire dans l’affaire Stormy Daniels en mai 2024. Coriace mais erratique (et, selon le New York Times, dopé à toutes sortes de substances), le patron de Tesla paraît moins bien armé pour résister à la machine Trump. Au cas où les choses tournent vinaigre, le président pourrait sortir l’artillerie lourde.

Porte-parole de la base Maga, son ancien conseiller Steve Bannon a parlé de retirer à Musk son passeport américain (il lui en resterait deux : un canadien et un sud-africain), de nationaliser ses sociétés en vertu de la loi de Défense nationale qui date de l’époque de la guerre de Corée (1950) et de l’expulser. Un scénario peu réaliste dans la mesure où la Nasa et le Pentagone dépendent en partie de SpaceX et du savoir-faire de Musk. L’Etat et lui se tiennent par la barbichette.

Moins radicale, une autre option consisterait à mettre Musk sur la paille en annulant les contrats de ses sociétés avec l’Etat américain et en relançant les multiples enquêtes administratives et judiciaires contre Tesla, SpaceX ou Neuralink, sa start-up dédiée aux neurotechnologies. Des dizaines de procédures en cours avaient été stoppées net par l’élection de Trump à la Maison-Blanche. « Elon Musk, c’est le Prigojine de Trump : il se rebelle à ses risques et périls, conclut Jacob Heilbrunn qui fait allusion au mercenaire russe, longtemps proche de Poutine. L’avion de Prigojine avait ensuite été abattu par un missile. Elon Musk va-t-il à son tour « exploser » en vol ?



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Author : Axel Gyldén

Publish date : 2025-06-09 15:17:00

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