Il fallait bien réunir la quasi-totalité des dirigeants de l’extrême droite européenne à Mormant-sur-Vernisson (Loiret) pour révéler toutes leurs divergences. Ce lundi 9 juin, le Rassemblement national et ses alliés fêtent l’anniversaire de leur élection et l’avènement du groupe Patriotes pour l’Europe (PFE), troisième force du Parlement européen, présidé par Jordan Bardella. Thomas Ménagé, député du coin, s’est démené pour organiser l’événement.
Au milieu des champs, le vaste terrain, gracieusement prêté par l’ancien maire du village (où le Rassemblement national a réalisé 89,5 % des voix, son meilleur score aux dernières élections législatives), héberge une large scène noire, une quinzaine de food trucks locaux et de grandes tentes blanches qui accueillent peu à peu les quelque 5 000 militants venus assister à la fête. Disséminés dans la foule, députés et eurodéputés commencent à prêcher la bonne parole : un message d’unité. A savoir : c’est une vision commune de l’Europe et de la nation que défendent ici les différents leaders européens.
Dans un mélange polyglotte (qui ne sera traduit qu’en français), treize dirigeants alliés se succèdent sur l’estrade pour évoquer ce qui les rassemble. L’Estonien Martin Helme ouvre le bal, pour exposer sa conception de la nation qui serait mise en péril par l’immigration. « Je viens d’un pays qui a subi le remplacement de sa population sous l’occupation soviétique, débute-t-il. […] Un pays est ce que sont ses habitants. Et vous ne pouvez pas avoir une France sans que les Français en soient la nation dominante. L’immigration de masse va transformer votre pays en autre chose, vous perdrez votre patrie, vous deviendrez un étranger dans votre ville natale sans jamais avoir déménagé. Pour être un nationaliste français, il faut avoir la France dans vos os, et les os de vos ancêtres en France ! C’est quelque chose de si profond et de si puissant qu’on ne peut l’introduire artificiellement, tout comme on ne peut vous l’arracher. » Le sang, rien que le sang. Loin de la maxime officielle frontiste, souvent répétée par ses dirigeants, qui considère que « la nationalité française s’hérite ou se mérite ».
Grand remplacement et fierté chrétienne
Sur scène, le Hongrois Viktor Orbán, allié et ami de Marine Le Pen, invoque, lui, le « grand remplacement » (cette théorie raciste popularisée par l’écrivain Renaud Camus), – une expression que refusent d’employer la députée du Pas-de-Calais et Jordan Bardella (qui reconnaît, lui, « la réalité du phénomène »). « Ce qui se passe n’est pas une migration, c’est un échange organisé d’une population pour remplacer le socle culturel européen », assure le Premier ministre magyar.
Au tour du Flamand Tom Van Grieken, leader du Vlaams Belang, de prendre la parole. Pour parler, cette fois, d’identité européenne, et cibler directement l’islam. « On n’est pas seulement contre l’islam, on est fiers d’être chrétiens. On n’est pas seulement anti-woke, on est fiers de nos racines européennes, de notre identité. On n’est pas simplement contre l’immigration, on est pour la sécurité, la défense de la famille traditionnelle et de notre nation. » Un discours à contre-courant de ceux de Marine Le Pen, qui soutient que l’islam est « compatible avec la République » et préfère se concentrer sur la « lutte contre l’islamisme » ; et de celui de Jordan Bardella, plus prudent, qui assurait en avril 2024 : « C’est aux musulmans de dire si l’islam est compatible avec la République. »
Les racines et valeurs chrétiennes du continent – lors ce grand raout organisé un jour de Pentecôte – ont été l’un des fils rouges de cet enchaînement de mini-discours, dans des proportions qui dépassaient sensiblement les positions officielles du Rassemblement national. Il en va du conservatisme de l’Autrichienne Susanne Furst, membre du FPÖ, lorsqu’elle explique que « là où la tradition est vivante, le vrai conservatisme a sa place » et que « le cœur de chaque nation est la famille, et le cœur de chaque famille est la mère ». Ou encore des saillies de Viktor Orbán, Premier ministre de l’autoproclamé « dernier bastion des chrétiens », qui déclare : « En Hongrie, tous les organes de l’État ont pour obligation de protéger notre identité culturelle chrétienne. Qu’un homme est un homme et qu’une femme est une femme ! » A contrario, dans son propre discours, Marine Le Pen a plusieurs fois répété, à dessein, qu’elle comptait aller de l’avant et ne pas « vouloir restaurer un passé révolu »…
Le Premier ministre hongrois, qui n’a visiblement pas traversé l’Europe pour modérer ses positions face à une foule française lui lançant à l’unisson des « Viktor ! Viktor ! Viktor ! », a pris soin de consacrer une partie de son discours à la guerre en Ukraine. Sujet ô combien sensible, tant Orbán a démontré ses inclinaisons pro-Kremlin depuis le début du conflit et tant le RN s’évertue, lui, à les faire oublier. Moment critique, donc… Et moment choisi par le Hongrois pour vilipender les « hommes et femmes politiques bellicistes qui nous font croire que la guerre doit continuer ». « Il est impossible de gagner cette guerre, a-t-il clamé dans une longue tirade de plus en plus critique à l’égard du pays envahi. Nous ne voulons pas mourir pour l’Ukraine ! Nous ne voulons pas que nos fils reviennent d’Ukraine dans des cercueils ! Nous ne voulons pas d’une nouvelle Afghanistan à nos portes ! Nous ne voulons pas que l’Ukraine contracte des prêts colossaux ! Nous ne voulons pas que l’Ukraine entraîne nos pays dans une course à l’armement ! Je vous en prie, arrêtons-les ! »
Bien malin celui qui devinera qui se cache derrière ce « les ». Quand c’est flou… Celui en revanche qui ne l’était pas, c’est bien le vice-président du conseil italien Matteo Salvini, quelques minutes avant son allié Magyar. Le dirigeant de la Lega a affirmé sans broncher que « pour nos enfants, la menace ne vient pas d’une improbable invasion de chars soviétiques à l’Est mais bien davantage du sud, des immigrés et de l’islam. »
« On cherche des alliés, pas des clones »
Unis sur la photo de famille, non alignés sur le fond. Devant la radicalité des discours, certains élus frontistes peinent à cacher leur malaise. « Je n’ai pas pu tout écouter », évacue l’un d’eux, tendance plutôt progressiste, interrogé sur les allocutions hongroises et estoniennes. « On ne cautionne pas, on ne dé-cautionne pas… », balaie quant à lui le député de Moselle et porte-parole du parti Laurent Jacobelli. Là-dessus, le parti a trouvé la parade, et son élément de langage favori : « On cherche des alliés, pas des clones. »
Au Parlement européen, on a réglé le problème en mettant en place une règle simple : pas de consigne de vote commune au sein du groupe. Résultat : sur des sujets variés, les alliés, en raison d’intérêts et de positions divergentes, votent parfois différemment. Mais les différents représentants de l’extrême droite européenne y tiennent : « Nous sommes réunis ici, pas malgré nos différences, mais grâce à elles, parce que ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous distingue », répète le Belge Tom Van Grieken. Et ce n’est pas Marine Le Pen qui dira le contraire : « Ce groupe est uni comme les doigts de la main, par les liens fraternels, une vision commune de la vie et du monde, et par un grand projet politique pour nos pays. »
Sur scène, la députée se livre à une démonstration populiste digne de ses grands jours, louant « l’Europe, la vraie, celle de l’Atlantique à l’Oural », travestie par « ce projet présenté comme européen, qui s’est mué en une religion sans transcendance, où le commerce remplace la culture, où la libre marchandisation remplace le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Des peuples venus de partout, mais surtout d’ailleurs. »
Et Jordan Bardella, manifestement inspiré par ses prédécesseurs, d’embrayer, se livrant à son tour à une envolée identitaire : « Quand Rome s’effondra, l’Europe chrétienne s’est levée, quand les nations furent broyées par les empires, elles ont retrouvé leur chemin. Aujourd’hui cette renaissance nous appelle, il nous appartient à nous de faire honneur à ceux qui nous ont précédés », scande-t-il en appelant à une « Europe des identités, qui assume ses traditions, ses valeurs, ses langues, une Europe fière d’elle-même ».
« Notre heure est venue », scandent à l’unisson les différents leaders européens rassemblés pour la première fois dans le Loiret. Et cette certitude vaut bien d’outrepasser quelques différences de degré plus que de nature. Un élu frontiste conclut, pragmatique : « De toute façon, une fois qu’on sera au pouvoir dans nos pays, chacun fera bien ce qu’il veut de son côté. »
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Author : Marylou Magal, Erwan Bruckert
Publish date : 2025-06-09 17:41:00
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