Emmanuel Macron a failli récidiver. Invité mardi 10 juin sur France 2 d’une émission spéciale à l’occasion de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, le président a lâché cette phrase : « On devrait avoir une forme de discipline collective qui est évidemment de commenter l’actualité, mais aussi de parler comme on le fait ce soir des sujets de fond. » D’un côté, l’actualité, avec la mort de cette surveillante de 31 ans tuée par un collégien, de l’autre le fond ; d’un côté les faits divers, de l’autre l’écologie : dangereuse typologie qui semble mépriser, ou ignorer, ou sous-estimer l’impact de certaines violences sur la société toute entière.
Sur la défensive après avoir regretté ce week-end que « certains préfèrent, pendant ce temps-là, brainwasher (opérer un lavage de cerveau) sur l’invasion du pays et les derniers faits divers », le chef de l’Etat marche sur un fil, cherche ses mots, se trompe même, ce qui est rare chez lui – évoquant « les puces de lit » qui, pas plus que les punaises de lit, n’avaient rien à faire dans le propos. De son côté, François Bayrou, qui refusait toute invitation à un journal télévisé de 20 Heures depuis sa nomination à Matignon il y a six mois, participe immédiatement à celui de TF1.
De la parole en politique. En 2020, alors que c’était le sujet le plus évoqué sur Facebook, Emmanuel Macron n’avait rien dit, lors de la longue interview du 14 juillet, du meurtre à Bayonne d’un chauffeur de bus frappé par deux passagers, après un contrôle de titre de transport ayant mal tourné. Quelques jours plus tard, dans une séance de rattrapage, toujours à la télévision, il avait tenté de rectifier : « Ecoutez, là-dessus, je l’ai toujours dit et je le redis avec fermeté, c’est la tolérance zéro. » Puis, une phrase malheureuse : « Je n’accepterai pas dans notre pays que ces incivilités deviennent une habitude. »
Que peuvent dire, que peuvent faire les responsables publics, à commencer par le premier d’entre eux ? Mercredi 4 juin, sans en faire écho, Emmanuel Macron a reçu la famille d’Elias, ce garçon de 14 ans tué à coups de machette par deux individus parfaitement connus de la justice et de la police. Le témoignage, mardi 10 juin sur BFMTV, de la mère du collégien doit aussi être entendu comme un réquisitoire contre l’impuissance publique. Dans les années 1980, le chômage symbolisait l’incapacité de l’Etat à résoudre ce qui était alors le problème numéro 1 du pays. Aujourd’hui, les faits de violence ne peuvent être renvoyés à une actualité passagère et deviennent un scandale d’Etat quand, comme c’est le cas pour Elias, semblent avérés des dysfonctionnements de la machine judiciaire, à commencer par la présence dans la même résidence des deux mineurs qui avaient pourtant interdiction d’entrer en contact entre eux depuis qu’ils avaient, déjà, été déférés pour vol avec violence.
L’impuissance publique
Que peuvent dire, que peuvent faire les responsables publics ? La mère d’Elias a ciblé la maire écologiste du 14e arrondissement de Paris, Carine Petit, dont l’attitude ne mériterait même pas qu’on perde du temps à la commenter. Elle a dit également sa colère d’avoir lu les déclarations d’Elisabeth Borne dans Le Parisien quelques jours plus tôt : « Le rapport sur le frérisme, la mort d’Elias ou les violences en marge du match du PSG choquent à juste titre les Français. Mais on ne doit ni légiférer à chaud, ni dans l’émotion. Ce serait bien d’éviter la surenchère de mesures éculées, qu’on trouve sur l’étagère à chaque actualité dramatique. On doit s’attacher à identifier les causes qui conduisent à ces faits, à apporter avec sang-froid des réponses cohérentes, efficaces, et réalistes. » La ministre de l’Education a elle aussi été rattrapée par l’actualité. Comment ne pas donner l’impression de se résigner ainsi à l’impuissance publique ?
Mais comment a contrario ne pas donner l’impression de récupérer politiquement une affaire ? Le silence mardi d’Eric Zemmour, habituellement si prompt à dénoncer dans la minute un « francocide » (comme pour Elias), s’explique-t-il par le fait que le meurtrier de la surveillante s’appelle Quentin ? Les réponses simplistes colportées ici et là, si elles satisfont peut-être l’émotion de l’instant, contournent la réalité d’une situation. Il y a moins d’homicides en 2025 qu’en 1995, mais plus qu’au début des années 2010. La France n’a pas le monopole de la violence en milieu scolaire, la preuve par l’Autriche, où une attaque perpétrée par un ancien élève a fait dix morts dans un établissement de Graz. La défaillance de la réponse pénale peut être invoquée pour la mort d’Elias, pas pour celle de Mélanie, la surveillante de Haute-Marne. Un responsable politique ne peut se résigner à sa propre impuissance. Au moins devrait-il avoir ce qu’on pourrait appeler un devoir de complexité.
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Author : Eric Mandonnet
Publish date : 2025-06-11 09:50:00
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