Il n’est pas nécessaire de gravir l’Everest pour ressentir cette sensation d’oreilles qui « poppent » provoquée lors d’une ascension trop rapide, quand la pression empêche le tympan de s’adapter à l’altitude. Pour en faire l’expérience, il nous a suffi de prendre l’ascenseur. Cap sur le trente-neuvième étage de la plus haute tour de Bonn, en Allemagne, au siège du groupe DHL, l’un des géants mondiaux de la logistique et du transport de colis. Le comité d’accueil, un bolide de Formule E aux couleurs de la maison trônant au rez-de-chaussée s’était déjà chargé de nous rappeler qu’ici, la vitesse n’est pas qu’un slogan. C’est une signature.
Celui qui nous accueille ce jour-là, l’impeccable Thomas Ogilvie, chef des ressources humaines du groupe, donnerait pourtant l’impression d’avoir tout son temps. Ici, la petite histoire de ces employés célébrant chaque année leurs « noces d’or » avec l’entreprise, cinquante ans de service. Là, l’anecdote d’un salarié basé en Côte d’Ivoire qui, défiant les lois de la physique, aurait parcouru 20 kilomètres à pied pour assurer la livraison d’un colis contrariée par une panne d’électricité et une pénurie de carburant. Cette histoire folle – a-t-elle jamais eu lieu ? – a vingt ans, et se transmet pourtant de génération en génération, raconte Thomas Ogilvie avec tout l’allant de ceux qui se savent exemplaires.
Car le groupe DHL, à la tête d’un chiffre d’affaires titanesque de 84,2 milliards d’euros et d’une équipe de plus de 600 000 employés répartis dans plus de 220 pays et territoires, n’est pas seulement l’un des leaders mondiaux de la livraison express internationale et de la logistique. Il est aussi l’un des grands champions des classements managériaux. En 2024, la firme a ainsi reçu le label « Top Employer Global », décerné par le Top Employers Institute en reconnaissance de l’excellence de ses pratiques en matière de ressources humaines. Chaque année, différentes divisions du groupe se disputent également les faveurs du non moins prestigieux classement Great Place to Work, qui récompense les entreprises où il fait bon travailler. À ce jeu, DHL Express – son service de livraison rapide internationale mais aussi l’une de ses branches les plus rentables (plus de 25 milliards de revenus) – fait figure d’élève modèle. Elle a été sacrée numéro un mondial du classement tant convoité l’an dernier, de même que pour l’Europe pour la quatrième année consécutive. A croire que vitesse ne rime pas toujours avec stress.
Reconnaissance
Disons-le d’emblée : la clef de cette prouesse n’est pas à chercher dans le fameux « modèle allemand », un mélange souvent jalousé d’autonomie, de dialogue social et d’équilibre entre vie personnelle et professionnelle. L’entreprise née aux Etats-Unis, a beau avoir été rachetée il y a vingt ans par la Poste allemande, devenue depuis DHL Group, et essaimer ses 36 000 Paketshops (points de dépôt et de retrait de colis) dans chaque recoin du pays, Thomas Ogilvie, lui-même allemand, tue le mythe d’entrée de jeu : « la compétitivité est universelle ». On croirait presque entendre une variante du slogan maison : « Excellence. Simply Delivered ». Mais il existe bel et bien une méthode DHL. Son ADN ? Allier exigence de résultats et respect de ses collaborateurs.
Ne pas se fier à la réputation bancale du secteur de la logistique en matière de considération de ses travailleurs. Ici, le « respect » se traduit par des mesures concrètes. Depuis plusieurs années, DHL déploie différentes initiatives, comme le programme de l’employé de l’année ou encore la « semaine de la reconnaissance », dont l’objectif est de remercier et valoriser le travail accompli. « Chaque être humain porte en lui un besoin d’accomplissement. Or travailler dans un réseau comme DHL offre beaucoup d’opportunités pour accomplir des choses, aussi de façon rapide, détaille Thomas Ogilvie. « Tout commence par-là : donner aux gens la possibilité de ressentir à quel point ils sont importants pour le réseau, et que la rapidité a son importance. Cela passe par la reconnaissance, un bon leadership, et de bonnes conditions de travail. Si vous parvenez à équilibrer tout cela correctement, alors la rapidité devient quelque chose de positif et non une source de stress ».
Il y aurait pourtant de quoi s’angoisser, à l’énoncé de la partition chronométrée que joue chaque jour l’équipe de DHL Express à Benrath, un quartier du sud de Düsseldorf. Ici, une quinzaine de personnes s’active chaque matin et chaque soir, pour assurer montre en main la livraison et la collecte de centaines de colis aux quatre coins de la ville, soit potentiellement 50 à 60 arrêts par jour pour chaque coursier. Certains paquets achèveront leur voyage en Allemagne. Pour d’autres, le point de chute n’est qu’une étape avant d’être envoyés dans un autre pays. « Le soir, nos livreurs sont le premier maillon de la chaîne de livraison. Quelques minutes de retard, et si le colis doit continuer sa route, nous risquons de manquer l’étape suivante, insiste le taciturne responsable de centre d’exploitation, Nils Gervens. Si nous ne récupérons pas le colis, c’est toute la chaîne de livraison qui peut dérailler. Tout doit fonctionner du premier coup ».
Un esprit « boy-scout »
On n’a pas compris tout de suite pourquoi une photo de ruche d’abeilles trônait façon toile de maître dans les bureaux. On n’avait pas encore expérimenté la recette unique qui caractérise, jusque dans les plus petits échelons, la culture de l’entreprise. L’Express a identifié au moins deux ingrédients essentiels. D’abord, la proximité, incarnée par des briefings et échanges quotidiens pour les équipes situées sur le terrain. Ce sont les « performance dialogues ». Mais aussi et surtout l’entraide. « Si un coursier nous prévient qu’il ne pourra pas livrer tous ses colis dans le temps imparti, par exemple à cause du trafic, une partie de l’équipe se charge de contacter un collègue à proximité sur la tournée pour que celui-ci prenne une partie de sa cargaison et l’aide ainsi à atteindre son objectif », explique Mohabeldin Mahmoud, superviseur des opérations.
C’est une chose bien connue : la qualité d’une partition se révèle souvent à sa mise en musique. L’après-midi, dédié à la réception des colis collectés pendant la journée, L’Express verra ainsi plus d’un employé passer de poste en poste, tantôt l’inspection des colis dangereux, tantôt la vérification des fichiers clients, quand bien même sa fiche de poste ne le prévoit pas noir sur blanc. « Je ne suis pas un superviseur qui dit ‘ça n’est pas ma partie’. Non seulement aider rend chaque journée unique puisque nous pouvons toucher à tout, mais en plus, c’est gratifiant et cohérent avec notre ambition de connecter les gens à travers le monde, confie Mohabeldin, désignant les destinations lointaines inscrites sur les cartons. Ici, nous avons vraiment conscience de la force de l’unité, du collectif et du travail d’équipe pour atteindre un objectif ».
Un passeport
En réalité, cet esprit « boy-scout » irrigue l’ensemble de l’organisation chez DHL. Pendant la crise sanitaire, les collaborateurs dont l’activité avait ralenti ont prêté main forte à ceux confrontés aux équipes confrontées à une surcharge de travail. De même que chaque année, en période de haute saison, les salariés de tous les services, y compris les fonctions support (ressources humaines, comptabilité, marketing, service client…), rejoignent les équipes opérationnelles pour prêter main forte aux opérations de tri et à la préparation des colis.
Derrière cet esprit d’équipe, une stratégie RH bien huilée, reposant sur des dispositifs de formation innovants que le groupe développe depuis plusieurs années. Parmi lesquels le Certified International Specialist (CIS), lancé en 2010 pour la branche Express. À ce jour, plus de 130 000 collaborateurs ont suivi ce programme, conçu pour renforcer l’expertise, faire connaître les valeurs de l’entreprise, booster la camaraderie, l’engagement et les performances des équipes. Et les résultats sont là : en 2024, le groupe affichait un taux de satisfaction globale de ses employés de 82%, bien au-dessus de la moyenne du secteur.
Soudain, Nils Gervens farfouille dans son cartable en cuir, l’œil pétillant des bons élèves qui s’apprêtent à dégainer leur bulletin de notes. Il en sort un passeport. Mais pas n’importe lequel. Celui-ci est estampillé ‘CIS’, pour Certified International Specialist. L’entreprise, longtemps partenaire logistique de la saga James Bond, ne le sait que trop bien : les gadgets les plus efficaces sont aussi les plus simples… A l’issue du programme désormais emblématique de l’entreprise, chaque employé se voit ainsi remettre un petit livret dans lequel sont consignées sous forme de tampons toutes les formations et étapes franchies au cours d’une carrière. La couverture de celui-ci craque encore mais l’intérieur est déjà bien noirci. Le gaillard n’a pourtant rejoint l’entreprise qu’il y a deux ans. « Il faut plus de tampons ! », lance-t-il dans un sourire. Preuve que chez DHL, la vitesse n’empêche pas de se projeter loin.
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Author : Alix L’Hospital
Publish date : 2025-06-13 09:45:00
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