En Europe et aux Etats-Unis, les craintes d’une attaque imminente d’Israël contre l’Iran grandissaient depuis plusieurs jours. L’Etat hébreu est passé à l’acte, en bombardant, dans la nuit du 12 au 13 juin, la République islamique, soupçonnée de vouloir se doter de l’arme atomique. Les frappes ont notamment visé la capitale Téhéran et Natanz, l’un des principaux sites d’enrichissement d’uranium, ainsi que plusieurs cibles militaires. Au moins deux dirigeants des Gardiens de la Révolution ont été tués dont leur chef, le général Hossein Salami, et le général Gholam Ali Rachid, ainsi que six experts nucléaires, affirment les médias locaux. Le chef d’état-major iranien, le général Mohammed Bagheri, a également été tué, selon la télévision d’Etat.
Cette attaque d’une ampleur inégalée « depuis les années 1980 » a pour but de montrer à l’Iran qu’Israël est capable de frapper « le coeur du programme nucléaire à tout moment », estime Alex Vatanka, spécialiste de la République islamique au Middle East Institute de Washington.
L’Express : Avez-vous été surpris par le timing de l’attaque ?
Alex Vatanka : Oui. Il s’agissait manifestement d’une attaque longuement préparée et soigneusement planifiée. En ce qui concerne le moment choisi pour l’opération, il est difficile à l’heure actuelle de savoir si les récentes déclarations du Premier ministre Benyamin Netanyahou – selon lesquelles Israël n’envisagerait pas d’action contre l’Iran tant que les négociations américano-iraniennes se poursuivraient – relevaient d’une stratégie de désinformation destinée à tromper Téhéran et à le pousser à relâcher sa vigilance.
Israël a mené des frappes sur des installations nucléaires et des sites militaires dans plusieurs endroits du pays. L’ampleur de l’attaque est-elle sans précédent dans l’histoire récente ?
Il faudrait remonter à la guerre Iran – Irak des années 1980 pour voir Téhéran frappée à une telle échelle. Certes, l’Iran a été visé l’année dernière par des attaques, mais pas à cette intensité. Selon Tsahal, l’attaque sur l’Iran a mobilisé près de 200 avions de combats et visé une centaine de cibles.
Le site d’enrichissement d’uranium de Natanz dans le centre du pays a été visé « plusieurs fois », selon la télévision d’Etat iranienne. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le gendarme nucléaire de l’ONU, a confirmé que le site avait été touché. Quel message Israël veut-il faire passer ?
Natanz est une cible stratégique plus exposée que celle de Fordo, l’autre usine d’enrichissement d’uranium qui se trouve dans les montagnes. Natanz a toujours été l’une des cibles clés évoquées dans le cadre d’une éventuelle attaque militaire contre le programme nucléaire iranien. On supposait donc que ce site était bien protégé, notamment par des missiles antiaériens ainsi que d’autres systèmes de défense. Cette frappe envoie un message sans ambiguïté de la part d’Israël : « Nous sommes capables de frapper cet objectif à tout moment. » L’Etat hébreu vient de le démontrer.
L’Iran a déclaré hier qu’il allait construire un nouveau site d’enrichissement d’uranium après l’adoption par l’AIEA d’une résolution le condamnant pour « non-respect » de ses obligations nucléaires. Où en était exactement Téhéran dans ce dossier ?
La communauté du renseignement américain affirme depuis des années que l’Iran n’a pas encore pris la décision de militariser son programme nucléaire, qu’il n’a pas choisi de se doter de l’arme nucléaire. Mais la réunion de l’AIEA ce jeudi a montré qu’il existe une pression internationale croissante sur l’Iran pour qu’il s’explique sur les objectifs de son programme. En d’autres termes, il subsiste un soupçon selon lequel les Iraniens maintiennent l’option de militariser leur programme. Pour Israël, le fait que l’Iran soit un Etat au seuil nucléaire – comme l’a de nouveau souligné Benyamin Netanyahou – est tout simplement inacceptable. Cette attaque très puissante va-t-elle anéantir totalement le programme nucléaire de l’Iran ? J’en doute encore.
Les agences de presse iraniennes Mehr et Tasnim ont annoncé que le chef des Gardiens de la Révolution, Hossein Salami, a été tué. Quel était son rôle au sein du régime ?
Il était l’une des figures les plus haut placées du régime. C’était le chef de l’organisation politico-militaire la plus importante de la République islamique. Les Gardiens de la Révolution sont chargés de défendre le régime contre tous ses opposants intérieurs, mais aussi de superviser le programme nucléaire iranien, le programme de missiles ainsi que de préparer toutes les opérations de l’Iran dans la région. C’était donc une figure extrêmement importante. Il n’était peut-être pas aussi charismatique ou aussi connu que Ghassem Soleimani, mais il était au même niveau.
Le secrétaire d’Etat américain a indiqué qu’Israël avait dit aux Etats-Unis que frapper l’Iran était « nécessaire pour sa défense » et a précisé que Washington n’était pas impliqué dans l’attaque. Mais Donald Trump assure qu’il a été prévenu à l’avance. Quel est le niveau d’implication américaine ?
Il est important que Marco Rubio insiste sur le fait que les Etats-Unis ne sont pas impliqués, du moins cela doit être la ligne officielle. Donald Trump ne veut pas un changement de régime en Iran. Mais d’un autre côté, il a aussi toujours répété que si la voie diplomatique échouait avec Téhéran, cela pourrait être la seule manière de régler le problème nucléaire iranien.
Israël affirme depuis des mois, notamment après la chute du régime d’Assad en Syrie, que le contexte est propice pour frapper l’Iran, jugé affaibli. Pourtant, les prises de position du président Trump, favorable à la voie diplomatique plutôt qu’à l’escalade militaire avec l’Iran, m’avaient fait penser qu’Israël hésiterait : fallait-il agir vite face à un Iran supposé vulnérable, ou au contraire patienter pour ne pas risquer de se heurter à Washington ? Je pensais qu’Israël se rangerait à la ligne de Trump, et pourtant nous en sommes là.
L’Iran a-t-il la puissance suffisante pour riposter ?
Les options sont limitées, à l’image de ses forces aériennes qui ne peuvent pas survoler le ciel israélien. Les Iraniens ont en leur possession quelques milliers de missiles balistiques, des missiles de croisière et des drones. Mais leur stock s’épuise. En avril et en octobre de l’année dernière, ils ont déjà utilisé quelques centaines de missiles balistiques et tactiques à chaque attaque, dont certains ont atteint Israël. Mais à ce rythme-là, ils se retrouveront rapidement à court de munitions.
Ils pourraient aussi faire appel à certains alliés de l’Iran, comme les Houthis au Yémen. Mais c’est à peu près tout. Je ne crois pas que le Hezbollah va rompre le cessez-le-feu et commencer à tirer sur Israël à ce stade, car il est désormais très fragilisé.
L’Iran peut-il prendre des mesures politiques ou diplomatiques plus radicales ?
Je suis curieux de voir si cette attaque israélienne va pousser le régime à se retirer du Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP), à militariser son programme et ouvertement vouloir devenir une puissance nucléaire. Ce serait une façon pour eux de « se venger » d’Israël. Mais le risque est de se mettre à dos les Américains, les Européens et tous ceux qui refusent de voir l’Iran devenir une puissance nucléaire. C’est donc l’inconvénient diplomatique majeur pour eux s’ils choisissent cette voie. Mais cela reste une option envisageable.
Israël va-t-il continuer son opération ?
La manière dont Israël a frappé l’Iran n’est pas une première. Les Israéliens ont démontré à plusieurs reprises leur capacité à infiltrer l’appareil d’Etat iranien au plus haut niveau, leur supériorité en matière de renseignement, ainsi que la précision de leur force aérienne pour mener des frappes ciblées sur des objectifs stratégiques.
Mais on parle aujourd’hui d’une campagne de plusieurs jours ou semaines. L’avenir nous dira si ce qu’Israël a fait au Hezbollah au Liban est une chose qu’ils peuvent reproduire et faire contre les dirigeants de la République islamique d’Iran. Si Israël parvient à éliminer des chefs des Gardiens de la Révolution ainsi que d’autres membres clés du régime en une seule opération, il ne faut pas écarter la possibilité que le Mossad puisse mener une opération d’envergure dans les jours ou semaines à venir. Cela soulève toute la question de savoir si le régime pourra vraiment tenir face à Israël.
L’autre grande question est de savoir combien de temps Israël pourra continuer à ce rythme. Car l’Iran est à environ 1 600 kilomètres. Ce n’est ni Beyrouth, ni Gaza, ni la Cisjordanie, ni la Syrie… L’Iran est une destination lointaine.
Voyez-vous une similitude avec ce qu’il s’est passé avec le Hezbollah ?
L’élimination d’Hassan Nasrallah a changé la manière dont le Hezbollah percevait Israël. Au Liban, les chefs de guerre de la milice chiite ont accepté de se replier, et depuis, il y a plus ou moins un cessez-le-feu. C’est peut-être ce qu’espèrent les Israéliens en Iran. Il ne faut pas affirmer non plus trop vite que l’Iran ne fera jamais ce que le Hezbollah a fait et qu’il choisira forcément de se battre. Cela dépendra de ce qui se passe au sommet de la direction du régime : si trop de responsables importants sont tués, peut-être que ceux qui survivront décideront de se mettre en retrait.
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Author : Charles Carrasco
Publish date : 2025-06-13 16:19:00
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