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Surveillante tuée à Nogent : interdire les couteaux, c’est s’interdire de réfléchir, par Pierre Bentata

Surveillante tuée à Nogent : interdire les couteaux, c’est s’interdire de réfléchir, par Pierre Bentata

Mardi 10 juin, un adolescent de 15 ans poignardait à mort une surveillante, lors d’un contrôle des sacs effectué devant son collège par des gendarmes. La victime s’appelait Mélanie. Elle rejoint Agnès, assassinée par un de ses élèves durant son cours à Saint-Jean-de-Luz le 22 février 2023 et Lorène poignardée de 57 coups de couteau dans son lycée de Nantes, le 24 avril dernier. Toutes deux tuées par des garçons de 16 ans.

Elles font partie des quelque 120 victimes d’homicides perpétrés chaque année depuis 2022 par des mineurs. Et devant la stupeur qui saisit légitimement l’opinion publique confrontée à ces horreurs, les politiques se sentent contraints de réagir. Ainsi, moins de 48 heures après ce dernier meurtre, tout le monde y est allé de sa brillante idée.

Fidèles à leurs aveuglements idéologiques et leurs petites stratégies politiciennes, les partis populistes ont ânonné leurs habituels slogans. A l’extrême droite, on a réclamé une « réponse ferme et rapide », à l’extrême gauche, on a rappelé l’importance de « veiller à la santé mentale » des jeunes. Rien que du performatif, ou la performance d’exister sans rien proposer.

Evidente vanité

Parmi les partis plus constructifs, certains ont proposé de mettre en place des portiques de sécurité à l’entrée des établissements scolaires, d’autres d’augmenter la présence des forces de l’ordre pour y effectuer des contrôles. Le Premier ministre envisage d’interdire les couteaux. Quant au président, il voudrait limiter l’accès aux réseaux sociaux au plus de 15 ans.

Autant de propositions dont l’apparente simplicité masque difficilement l’évidente vanité. Aucune étude sérieuse n’établit de lien entre réseaux sociaux et violence. L’introduction de portiques de sécurité et la présence de forces de l’ordre ne sauraient être d’aucune utilité lorsque les meurtres ont lieu lors des contrôles, en présence de gendarmes. Et l’interdiction de la vente de couteaux sera sans effet (à moins qu’elle ne s’accompagne d’une suppression pure et simple des moyens de cuisiner ?). Comment croire que celui qui veut tuer abandonnera son projet faute d’une lame aiguisée ? Comme si l’arme faisait l’assassin.

Extrême complexité

Ainsi, l’empressement de la classe politique pour répondre à la pression de l’opinion révèle une stratégie de diversion : s’agiter pour éviter de cogiter. Il faut dire que pour qui voudrait réellement endiguer cette épidémie de violence, le problème est d’une extrême complexité. Selon les statistiques de la sécurité intérieure, si le taux d’homicides a augmenté de 3 % par an depuis 2016 – après avoir baissé sur la période 1990-2015 –, la part des homicides commis par des mineurs est restée stable, entre 7 % et 9 % selon les années. Sur la même période, les vols sans violence ainsi que les viols violents commis par des mineurs ont diminué de 50 %. En revanche, les violences sexuelles commises par des mineurs ont plus que doublé (117 %), suivant la tendance des plus âgés (109 %).

Il n’y a donc pas d’ensauvagement de la société, mais un surcroît d’homicides et de crimes sexuels qui frappe toutes les générations sans distinction. Reste que cette tendance est intolérable. On n’éradiquera jamais le crime, mais il faut tout faire pour empêcher que l’auteur soit un mineur. Sauf que pour y parvenir, il faut regarder les faits et les prendre pour ce qu’ils sont. Les meurtres commis par les plus jeunes augmentent partout : au Royaume-Uni, les attaques au couteau sont devenues un fléau, en Autriche, un adolescent a tué dix personnes dans un lycée de Graz le jour même où Mélanie a été assassinée. La pulsion meurtrière d’une jeunesse en déshérence n’est plus l’apanage d’une Amérique surarmée. Par conséquent, on ne l’étouffera pas sans s’interroger sur ce qui, dans toutes ces sociétés, pousse ces adolescents à commettre l’irréparable.

Atmosphère délétère

Et les causes sont certainement nombreuses, inextricablement liées et emmêlées. Sans doute y a-t-il une crise de l’autorité, provoquée par les mutations de la structure et du rôle de la famille. Le maître est sûrement moins craint et respecté, tout comme le père et le policier. Mais l’argument n’épuise pas la question de la violence. Après tout, les modèles diffèrent d’un pays à l’autre. Peut-être qu’à cela s’ajoute une atmosphère délétère. Bercé par un pessimisme généralisé, l’adolescent finit par croire que tout va mal et rien n’a d’importance. Né aux alentours de la crise Internet, il n’a entendu parler que de faillite du capitalisme, de corruption de la démocratie, de catastrophe écologique et de bombe démographique. Trop rarement, il aura eu l’opportunité d’entendre un discours rassurant et bien plus réaliste que ces propos déclinistes.

Sans figure tutélaire et privé d’avenir, le mineur vit peut-être plus qu’avant dans une période de flou ; d’autant plus invivable qu’elle n’en finit plus de s’étendre. Car au-delà du manque d’autorité et du défaitisme ambiant, il est probable que cette jeunesse souffre d’une crise d’identité qui tient à ce statut nouveau d’une adolescence qui n’est plus un moment transitoire entre l’enfant et l’adulte mais la cible d’injonctions contradictoires autant qu’un fantasme pour une majorité des plus âgés. Ne parle-t-on pas d’adulescence pour qualifier les immatures et de seconde jeunesse pour définir les têtes grises ? Et ne demande-t-on pas simultanément à l’ado d’être un élève et un copain ? Que croit-on faire lorsqu’on lui impose d’étudier ses leçons et de noter ses professeurs ? Qu’on attend qu’il soit discipliné mais qu’on l’invite à nous faire la morale ? Qu’on le considère comme trop jeune pour voter mais suffisamment mature pour choisir sa carrière future ?

Bien sûr, tout cela n’excuse en cas la violence et les assassinats. Peut-être même qu’aucun de ses motifs n’a la moindre pertinence. Mais avant d’apporter des solutions à l’emporte-pièce, il serait bon de s’interroger sur ce qui pousse ces adolescents à tuer. Ce qui implique de penser simultanément la violence et l’adolescence, d’aller au-delà des idées simplistes et des jugements faciles ; d’accepter qu’un enfant, car peut-être est-ce de cela qu’il s’agit, qui commet un meurtre c’est l’échec de tous. Penser véritablement ce problème abyssal implique de réfléchir à deux fois avant de faire des propositions. Et oser répondre à ceux qui voudraient tout résoudre d’un mot ou d’une loi : « je ne sais pas ».

*Pierre Bentata est économiste et maître de conférences à la faculté de droit d’Aix-Marseille Université. Il a en janvier publié La Malédiction du vainqueur (L’Observatoire).



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Publish date : 2025-06-13 06:50:00

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