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Frappes israéliennes en Iran : « Le Mossad et Tsahal ont travaillé en étroite collaboration »

Frappes israéliennes en Iran : « Le Mossad et Tsahal ont travaillé en étroite collaboration »

Une préparation minutieuse, probablement déployée sur plusieurs années. Dans la nuit du 13 juin, Israël a bombardé massivement les sites militaires et nucléaires iraniens. L’attaque a notamment visé la capitale Téhéran et Natanz, l’un des principaux sites d’enrichissement d’uranium. En parallèle, neuf experts nucléaires ont été tués, ainsi que deux dirigeants des Gardiens de la Révolution – leur chef, le général Hossein Salami, et le général Gholam Ali Rachid – et le chef d’état-major iranien, le général Mohammed Bagheri.

Cette opération d’une ampleur inédite « depuis les années 1980 », selon Alex Vatanka, spécialiste de la République islamique au Middle East Institute de Washington, interroge sur l’infiltration des services de renseignement israéliens jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. Entretien avec Clive Jones, professeur de sécurité régionale à l’université de Durham, au Royaume-Uni, et spécialiste du Moyen-Orient.

L’Express : L’ampleur de l’attaque israélienne du 13 juin démontre une connaissance très précise du terrain sur lequel elle a été menée. Comment le Mossad a-t-il pu acquérir autant d’informations sur les cibles iraniennes ?

Clive Jones : Les Israéliens ont su utiliser efficacement des groupes dissidents, des syndicats du crime et des trafiquants pour faire entrer et sortir clandestinement du matériel. Cette capacité d’infiltration à chaque niveau de la société avait déjà été démontrée en 2018. A l’époque, ils avaient volé les archives nucléaires iraniennes, en recrutant notamment des taupes dans les groupes d’opposition. L’Etat hébreu réalise que de nombreux Iraniens n’aiment pas Israël, mais détestent encore plus le régime. Ils peuvent donc les utiliser pour recueillir des renseignements sur des sites nucléaires ou attaquer des responsables de programme. C’était une opération de longue haleine, mais, dernièrement, les choses se sont accélérées.

L’année dernière, des échanges de missiles ont ciblé les systèmes de défense radars des deux pays. La défense sol-air israélienne a été une protection efficace. A l’inverse, les missiles de l’Etat hébreu ont dégradé les boucliers anti-aériens iraniens dans des zones clés. Cela leur a fourni une occasion en or d’intensifier leur collecte de renseignements. Ils ont découvert que la porte d’entrée des défenses aériennes de l’Iran restait vulnérable. Qu’il suffisait de l’enfoncer pour parvenir à infliger des dommages inédits au programme nucléaire iranien et à ses dirigeants. L’establishment militaire israélien débat depuis longtemps de cette opportunité, mais a fini par conclure qu’une telle occasion ne se reproduirait pas. Il fallait agir tant que les défenses iraniennes étaient vulnérables. Pour prendre cette décision, il fallait qu’Israël dispose de renseignements humains en temps réel, ce qui suggère que le pays avait des moyens sur le terrain. Par là, j’entends des sources de haut niveau, des très hauts gradés, qui ont dû être recrutés par le Mossad bien en amont.

Pensez-vous que l’opération Rising Lion soit de nature à rassurer les Israéliens sur les capacités du Mossad, après la faille de sécurité qui a conduit à l’attaque du 7 octobre ?

Le Mossad n’avait pas de rôle clair dans la surveillance du Hamas dans la bande de Gaza. C’était bien davantage celui du Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, de la Direction du renseignement militaire israélien, appelée Agaf Ha-Modi, et de l’Unité 8200, responsable de la surveillance électronique et cyber du pays. S’il y a une enquête sur les failles du système de sécurité, l’une des principales questions auxquelles il faudra répondre est si Israël est devenu trop dépendant de la surveillance cyber, notamment pour surveiller le Hamas. Israël s’était convaincu que l’organisation était confinée à la bande de Gaza. Qu’il pouvait y avoir des périodes de violences, mais qu’elles étaient des démonstrations de force destinées à la population gazaouie. Les analystes israéliens pensaient qu’il était donc dans l’intérêt de l’Etat hébreu d’avoir une forme de stabilité politique. Voilà l’arrière-plan politique des reproches faits à propos de la faille de sécurité du 7 octobre.

Ce n’est donc pas réellement un échec du Mossad. L’agence est une unité de renseignement extérieur, avant tout destinée à récupérer des informations et à mener des opérations à l’étranger – mais aussi à être une diplomatie parallèle. Pour répondre plus directement à votre question, si l’on s’intéresse aux opérations menées depuis le 7 octobre, ces dernières ont sans conteste restauré la confiance des Israéliens dans leurs services de sécurité. L’opération du 13 juin en fait définitivement partie.

Combien de temps a-t-il fallu à Israël pour monter une telle opération ?

J’évalue sa durée à au moins cinq ou six ans, voire plus. Elle nécessite aussi, comme l’opération des bipeurs, une parfaite coordination des services de renseignement. Le Mossad et Tsahal ont probablement travaillé en étroite collaboration. Même si le Mossad a des compétences techniques, la surveillance des positions des hauts gradés iraniens a dû en grande partie reposer sur les services de renseignement militaire, en particulier l’Unité 8200, entité de renseignement électronique de Tsahal. Il y a également la question de la logistique. Israël est parvenu à introduire des drones en Iran – une technique qui n’est pas sans rappeler celle employée par les services de renseignement ukrainiens en Russie, il y a quelques jours. Nous sommes toutefois ici sur une toute autre échelle.

Pour faire entrer les drones, il aura fallu du temps pour les prépositionner près de sites précis – probablement plusieurs mois. Le Mossad a sans doute joué un rôle dans cela. Mais pour les faire fonctionner le jour-même, je crois qu’une autre unité, cette fois dépendant du renseignement militaire, était nécessaire. Au lendemain de l’attaque, les Israéliens ont diffusé des images d’agents des forces spéciales. Certains disent qu’il s’agit de commandants du Mossad. Je ne le pense pas. Je crois plutôt qu’ils appartiennent à l’unité Shaldag, des Forces spéciales israéliennes. Ces agents ont probablement été héliportés ou infiltrés depuis les environs, depuis un État voisin, quelques jours avant l’opération.

Les hommes et les drones en Iran ont été appuyés par l’aviation militaire israélienne. Comment Israël a-t-il frappé aussi efficacement, selon vous ?

Pour répondre à cette question, il faut rentrer dans des détails un peu techniques. Israël a attaqué des sites radar mobiles. Si vous éliminez des sites radar autour des aérodromes et des centrales nucléaires où se trouvent les systèmes de défense aérienne, vous aveuglez votre adversaire. C’est précisément ce qu’ils ont fait le 13 juin : ils ont empêché les iraniens de voir venir les frappes de leur armée de l’air. Le système de détection était tellement dégradé qu’ils n’ont pas pu détecter l’approche des avions israéliens. Le plan a sans doute compté une autre étape. Après avoir bouché le système de détection, il leur a fallu désarmer les S-300. Ces missiles sol-air, d’origine soviétique, sont censés protéger les sites stratégiques des bombardements des avions de combat. Or, le système fonctionne grâce à un radar conventionnel, qui a beaucoup de mal à détecter les F-35, ces avions de chasse d’origine américaine achetés par Israël. Après avoir aveuglé les Iraniens et détruit une partie de leur système de défense sol-air, le reste des avions de chasse a pu entrer dans l’espace aérien en toute sécurité.

Une telle attaque aurait-elle pu avoir lieu sans l’opération menée contre le Hezbollah à l’automne dernier ? Attribuée au Mossad, elle a consisté à faire exploser à distance des bipeurs et talkies-walkies.

Vous remarquerez qu’après l’attaque du 13 juin, le Hezbollah a fait un communiqué indiquant qu’ils ne voulaient pas s’en mêler ! Je ne pense pas que ce qui s’est passé cette semaine aurait pu se produire sans l’opération d’explosion des bipeurs. L’organisation était perçue jusqu’ici comme le fer de lance de « l’axe de résistance » organisé par l’Iran dans la région pour lutter contre Israël. Il a fallu pénétrer des dizaines de cercles, s’introduire dans diverses chaînes d’approvisionnement pour réussir à mettre des explosifs indétectables dans les bipeurs des dirigeants du Hezbollah. C’était une opération qui a nécessité une planification à long terme et qui, à certains égards, démontre que la communauté du renseignement israélien a une approche intégrée, mêlant les capacités techniques militaires et l’audace stratégique du Mossad.

Au-delà des ravages qu’elle a provoqués dans les rangs des responsables du Hezbollah, elle a permis à Israël de récupérer du renseignement pour frapper là où se trouvait une partie de l’arsenal militaire de l’organisation. Auparavant, le Hezbollah était très confiant dans sa capacité à atteindre n’importe quelle zone d’Israël avec ses missiles. L’Iran utilisait l’organisation comme une forme de « dissuasion étendue ». Une fois ce bouclier éliminé, l’Iran est devenu vulnérable.

Les jours précédents l’opération iranienne, l’administration américaine semblait pourtant tout à fait opposée à des frappes sur le pays tant que les négociations sur le nucléaire iranien n’étaient pas terminées… S’agissait-il d’une diversion à destination des Iraniens ?

Si vous regardez les deux frappes menées par Israël auparavant, l’une contre le réacteur nucléaire irakien d’Osirak en 1981, puis contre le réacteur de recherche syrien de Deir ez-Zor en 2007, l’Etat hébreu n’avait rien dit en amont. Mais cette fois-ci, la situation est différente. Cela fait des années que Benjamin Netanyahou a fait de la destruction du programme nucléaire iranien son objectif stratégique numéro un dans la région. Peut-être même plus que ce qui avait été son unique et grand triomphe diplomatique, à savoir la signature des accords d’Abraham. Il a toujours dit ouvertement qu’Israël attaquerait l’Iran. Les Iraniens n’auraient pas dû être surpris.

Mais il y a quelques semaines à peine, Donald Trump avait effectivement dit à la Maison blanche qu’il ne fallait pas attaquer l’Iran tant que les négociations étaient en cours. Lors de son voyage au Moyen-Orient, il y a quelques semaines, il a rencontré les Qataris, les Emiratis, les Saoudiens, mais pas les Israéliens. Les Iraniens ont pu percevoir ce choix comme une volonté des Etats-Unis de snober Netanyahou et de ne pas lui apporter leur soutien. Téhéran a sans doute pensé qu’Israël ne mènerait pas de frappes dans ces conditions.

Au-delà des frappes contre le programme nucléaire, l’opération israélienne risque-t-elle de fragiliser plus largement le régime ?

Ce n’est pas un coup fatal, mais c’est très dommageable pour le régime iranien. Ensuite, regardez le discours de Netanyahou après les frappes. Il précise bien qu’elles ne visent pas le peuple iranien mais le programme d’enrichissement d’uranium. De nombreux Iraniens vont se demander pourquoi un régime qui a investi autant d’argent dans un programme nucléaire et dans les Gardiens de la Révolution, ressemble maintenant à un tigre de papier. Cette opération intervient à un moment où l’inflation et le chômage sont élevés, où les troubles s’intensifient dans le pays, et ce, alors même que nous parlons d’un Etat riche en pétrole. Que se passe-t-il réellement ici ? Je pense qu’implicitement, les Israéliens espèrent que l’attaque suscitera des interrogations parmi le peuple iranien. Qu’elle entraînera peut-être des troubles dans la rue. Mais pour l’instant, ce ne sont que des suppositions.



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Author : Alexandra Saviana

Publish date : 2025-06-14 11:00:00

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