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Transition écologique : mais où est passé l’avion électrique ?

Transition écologique : mais où est passé l’avion électrique ?


Tous les deux ans, des dizaines de milliers de visiteurs se pressent au salon du Bourget pour y découvrir les dernières technologies aéronautiques et signer des contrats. Depuis déjà plusieurs éditions, l’immense défi de la décarbonation de l’aviation occupe une place de choix dans les allées du salon, où les start-up aux projets d’avion révolutionnaires bas-carbone côtoient les immenses stands des géants Airbus, Boeing ou Safran.

Le secteur n’a pas d’autre choix que de se décarboner à tout prix, puisqu’il s’est engagé en 2021, par la voix de l’Association du transport aérien international (IATA), à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Parmi les leviers explorés par cette industrie très dépendante du pétrole, l’avion électrique constitue une rupture technologique majeure. Les constructeurs y travaillent depuis bientôt deux décennies. L’idée n’est donc pas nouvelle, mais elle tarde à se concrétiser : dès 2011, Airbus annonçait par exemple travailler sur un avion 100 % électrique, avant d’abandonner ses plans six ans plus tard. D’autres projets ont vu le jour avant d’être abandonnés ou mis en pause.

En 2015, l’IATA évoquait bien la propulsion électrique pour s’affranchir du kérosène… Tout en admettant que l’électrification des flottes n’était pas une perspective réaliste à moyen terme. Elle ne s’est pas trompée. A ce jour, un seul avion électrique est certifié par les autorités : le Velis Electro du slovène Pipistrel, un avion de tourisme de deux places utilisé par les écoles de pilotage. Il est entré en service en 2020 et reste à ce jour le seul aéronef entièrement électrique à être commercialisé.

« Il serait tellement lourd qu’il ne pourrait pas décoller »

Alors, pourquoi le développement de l’avion électrique est-il si laborieux ? C’est une rupture technologique complète, qui demande de mettre au point de nouveaux systèmes d’alimentation du moteur et de distribution d’énergie. Par exemple, les constructeurs ont dû travailler sur la fiabilité et la masse des circuits électriques, qui doivent véhiculer de la très haute tension.

L’obstacle principal reste le poids des batteries. « La quantité d’énergie détenue dans un kilo de kérosène est cinquante fois plus élevée que dans un kilo de batterie », explique Nicolas Meunier, responsable du pôle Transport pour le cabinet de conseil Carbone 4. Avec les batteries actuelles, un avion électrique moyen-courrier ne pourrait même pas décoller.

Une fois ces barrières technologiques franchies, les constructeurs doivent ensuite faire certifier leur appareil, c’est-à-dire obtenir le feu vert des autorités aériennes qui attestent de la sûreté de l’avion. Un processus habituellement long et exigeant, qui l’est encore plus lorsqu’il s’agit d’une technologie nouvelle.

L’espoir de l’avion régional hybride

Plusieurs sociétés européennes tentent actuellement de faire certifier un avion de loisir et d’entraînement, à l’image du français Aura Aéro ou de l’autrichien Diamond Aircraft. Début 2025, le motoriste Safran a quant à lui signé une avancée notable en faisant certifier le premier moteur d’avion électrique pensé pour les avions commerciaux – des exigences différentes de celles appliquées au Velis Electro de Pipistrel, le seul avion électrique au monde autorisé à voler. Il équipera notamment l’avion de loisir à deux places et 1h30 d’autonomie d’Aura Aéro, que l’entreprise veut commercialiser dès 2026, ou encore la gamme d’avions hybrides d’un autre français, Voltaero, qui promettent 5 à 12 places. Aura Aéro prépare également un avion hybride de 19 places.

Le Français Aura Aéro prépare un avion régional hybride de 19 places, qui pourrait voler vers la fin de la décennie.

La combinaison de l’énergie thermique et électrique reste pour le moment la seule technologie envisageable pour ce type d’avions. « La formule hybride, qui consiste en un pack de batteries et un turbo-générateur, permet de faire voler des avions plus gros – jusqu’à 19 places avec plusieurs moteurs électriques sur les deux ailes. Ceux-ci volent dès aujourd’hui et pourraient entrer en service dès 2029 », détaille Bruno Bellanger, président de Safran Electrical & Power.

Quelle place pour l’Europe ?

Le chemin est encore très long pour voir voler ne serait-ce qu’un avion régional entièrement électrique. Les industriels qui y travaillent restent malgré tout optimistes : « Il est évident que l’avion électrique fonctionne », assure Jérémy Caussade, président et cofondateur d’Aura Aero. « Il faut simplement oser faire le travail d’industrialisation et de recherche de clients, et accepter que toutes les technologies dont on a besoin ne sont pas encore matures. » La mise sur le marché du moteur de Safran nourrit leurs espoirs, malgré les retards et les échecs encaissés par le secteur depuis les années 2010 : « Nous savions dès le début que certains projets d’avions allaient mourir », reconnaît Bruno Bellanger, de Safran, qui a attiré « beaucoup d’entreprises » depuis la certification de son moteur. « ll suffit que quelques-uns réussissent pour enclencher une dynamique. »

L’industrie gagnerait également à s’organiser au niveau européen, estiment certains observateurs. Le Vieux Continent pourrait ainsi miser sur son important savoir-faire dans l’aéronautique pour tirer son épingle du jeu dans la transition du secteur – non seulement sur l’avion électrique, mais aussi sur les innovations liées à la sobriété des avions actuels. Et ainsi créer un avantage concurrentiel. La réussite d’Airbus, qui a livré en 2024 plus d’avions que le géant américain Boeing, est un remarquable exemple de réussite européenne. « Nous travaillons à créer des partenariats pour atteindre une taille critique. Il faut que nous soyons plus nombreux en Europe à travailler sur l’avion électrique pour éviter de se faire dépasser par la Chine et les Etats-Unis, comme pour la voiture électrique », plaide Jérémy Caussade.

Les carburants durables, la véritable solution

Pour l’heure, malgré les dernières avancées technologiques, le secteur se rend à l’évidence : l’avion électrique n’existera pas avant 2050, si ce n’est pour de très courtes liaisons. L’industrie ne compte clairement pas dessus pour atteindre la neutralité carbone promise à cet horizon, comme en témoigne la feuille de route de l’IATA : les nouvelles technologies, à savoir les avions électriques, hybrides et à hydrogène n’y contribueront qu’à hauteur de 13 %. L’objectif paraît encore ambitieux, puisque l’aviation régionale ne représente que 6 % des émissions de CO2 du secteur, selon le rapport de l’ONG International Council on Clean Transportation. « Il faudrait en plus les produire en série, de manière efficace, pour avoir une flotte significative en 2050, ce qui serait aussi un grand défi », relève Nicolas Meunier (Carbone 4). L’avion à hydrogène aussi se fait encore attendre. Airbus a lancé en 2020 son projet d’appareil de 100 places, le ZEROe. L’avionneur européen a annoncé à ses salariés en début d’année qu’il reportait le projet, initialement prévu pour 2035, sine die. En 2022, Boeing avait également annoncé travailler sur cette technologie.

Le meilleur espoir pour le secteur de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, ce sont les carburants durables (les SAF, Sustainable Aviation Fuels). Ces alternatives au kérosène sont fabriquées à partir de déchets alimentaires, agricoles, ou issus d’un mélange de synthèse et sont compatibles avec les avions commerciaux déjà sur le marché. Ils doivent contribuer à 65 % à la neutralité carbone du secteur en 2050, avance la fameuse feuille de route de l’IATA… mais représentent actuellement 0,3 % de la consommation mondiale de carburant. Les investissements manquent, la production patine et les prix sont encore trop élevés pour généraliser leur usage.

Le danger de l’avion électrique est de faire croire que l’on peut continuer à voler autant qu’avant

Nicolas Meunier, responsable du pôle Transport pour le cabinet de conseil Carbone 4

L’industrie peut-elle mener de front le défi des SAF et celui des avions électriques ? « 25 ans, c’est court pour développer de nouvelles technologies. L’industrie travaille déjà à rendre les moteurs des avions actuels plus efficaces et cherche à développer l’usage des carburants durables. Les avionneurs ne peuvent pas multiplier les projets », tranche Nicolas Meunier. Les deux chantiers ne s’excluent pas forcément, car les technologies déployées pour l’avion électrique servent aussi à électrifier les avions actuels. Airbus travaille par exemple sur des « solutions hybrides électriques » intégrées aux successeurs de l’A320.

Il reste donc un quart de siècle à l’aérien pour résoudre une équation complexe : absorber la croissance annuelle de 3,6 % du trafic mondial que prédit Airbus d’ici 2044, tout en verdissant le secteur. « Le danger de l’avion électrique est de faire croire que l’on peut continuer à voler autant qu’avant », avertit Nicolas Meunier. Selon les calculs de Carbone 4, malgré les évolutions technologiques du secteur, il faudra limiter la croissance du trafic aérien mondial à 0,75 % par an d’ici 2050 pour respecter les engagements de l’Accord de Paris. Une gageure.



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Publish date : 2025-06-15 07:00:00

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