Le temps que l’on passe à un poste ou au sein d’une entreprise varie selon les choix de carrière et ne se pose pas de la même manière pour tous les actifs. Ainsi, les fonctionnaires peuvent le rester tout au long de leur vie professionnelle, même s’ils changent de poste ou d’administration. Il en va de même pour les dirigeants qui ont monté ou racheté une entreprise, qu’ils dirigent souvent jusqu’à la retraite, bien que la question du changement puisse également se poser pour eux. Mais qu’en est-il des autres ? Certes, nous sommes tous soumis à la pression du temps qui surveille l’évolution de notre CV. Mais cette logique est-elle encore pertinente à l’heure où la génération Z (née à la fin des années 1990) bouscule les codes en enchaînant les embauches et les départs et alors que la « rétention de talents » représente un défi pour les services RH qui craignent un turn-over ingérable ?
Selon le rapport mondial sur le déplacement interne 2022 (GRID), 85 % des membres de la génération Z estiment que l’ensemble du processus de recherche d’emploi et de recrutement est obsolète. Trois sur quatre déclarent avoir abandonné une opportunité d’emploi prometteuse en cours de route. Pour cette génération, la notion de carrière n’est plus une équation avec le temps, l’expérience et la compétence : 80 % des répondants souhaitent que leurs recruteurs les contactent au moins deux fois par mois, et 55 % désirent avoir de leurs nouvelles au moins une fois par semaine.
Quid de la lettre de motivation et du CV ? 89 % des 18-24 ans postulent à la suite d’une annonce postée sur un réseau social, soit 29 points de plus que la moyenne des actifs. Instagram est particulièrement plébiscité (72 % des répondants), suivi de près par Facebook (70 %), avec un écart de 35 points par rapport à la moyenne des postulants. (« Le recours aux réseaux sociaux dans le cadre de recrutements », Ifop pour Hippolyte RH, 2022). C’est donc une génération qui fonctionne à l’impulsion. Elle ne semble ni paralysée par le « syndrome de l’imposteur » (ce doute quant à ses capacités qui conduit à penser que ses succès sont dus au hasard), ni préoccupée par le « principe de Peter » (Laurence J. Peter et Raymond Hull ont théorisé en 1969 le fait que tout employé finit par atteindre son niveau d’incompétence dans une hiérarchie).
Oublier la rigidité de la doxa
La génération Z marque une rupture avec ses aînées, façonnées par une doxa professionnelle selon laquelle il convient de rester entre 18 mois et 3 ans sur un premier poste, puis entre 3 et 5 ans sur les suivants, sous peine d’être perçu comme instable en cas de trop grande mobilité, ou sclérosé au-delà de 10 ans dans la même fonction. Deux formes de « péchés professionnels » en résultent : multiplier les postes et les expériences, ou au contraire, posséder une spécialisation si parfaite qu’elle exclut de la compétition, l’ultra-compétence devenant un handicap. Un cahier des charges aussi millimétré qu’angoissant pour les carriéristes soucieux de ne rater aucune marche, et qui redoutent l’accident de parcours.
Mais pour Valérie Duez-Ruff, avocate en droit du travail et auteure de Quitter son job et négocier son départ (Eyrolles, 2025), l’attitude décomplexée de la « Gen Z » permet de s’affranchir de ces normes établies. Ainsi, la question de partir ou de rester dans un poste est d’abord très personnelle : ceux qui vivent un « mal job » — insomnies, signaux corporels, etc. — doivent prendre au sérieux ces signes, quelle que soit l’étape de leur carrière. « Posez-vous franchement la question : êtes-vous aligné sur votre travail ? Partagez-vous encore les valeurs de l’entreprise ? Faites un tableau avec les avantages et les inconvénients et regardez-le à travers votre focale », recommande-t-elle. Sans vous laisser influencer par vos obligations financières ou la proximité géographique du bureau.
Mais peut-on vraiment faire abstraction de l’imbrication entre vie professionnelle et vie personnelle ? « Il y a bien sûr un principe de réalité, et c’est vous qui écrivez la suite de votre carrière », analyse l’experte. Prendre la liberté de décider. Et parfois, en cherchant ailleurs et autre chose, la tendance s’inverse : c’est la colonne des « plus » actuels qui l’emporte sur celle du « potentiellement mieux ». Est-ce vraiment un problème d’oublier le timing parfait et de renoncer à ce poste qui pourrait être le graal ? « Rejette l’opinion et tu seras sauvé », répond Marc Aurèle (Pensées). Et si, finalement, on ne ressentait pas le besoin de partir ? Valérie Duez-Ruff sourit : « c’est comme dans un couple. Quand on se sent bien dans un travail, inutile de se compliquer la vie et de s’interroger. Il faut rester ».
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Author : Claire Padych
Publish date : 2025-06-17 09:30:00
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