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Langues régionales : pourquoi l’accusation de communautarisme n’est pas fondée

Langues régionales : pourquoi l’accusation de communautarisme n’est pas fondée

Il est une accusation portée régulièrement contre les défenseurs des langues dites régionales : ils seraient « communautaristes ». Or, ce raisonnement me paraît largement erroné et je voudrais ici le démontrer. Qu’appelle-t-on en effet, le communautarisme ? La « tendance à faire prévaloir les spécificités d’une communauté, des communautés (ethnique, religieuse, culturelle, sociale…) au sein d’un ensemble social plus vaste », nous dit Le Robert.

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Examinons donc ce réquisitoire à l’aune de cette définition. Les Corses, pour prendre un exemple souvent cité, cherchent-ils à imposer la langue corse à Paris, à Strasbourg ou à Lille ? Aucunement. Ils demandent simplement à pouvoir continuer à parler corse en Corse – et ce, à côté, et non à la place du français. Les Basques cherchent-ils à imposer leur langue à Brest, à Bordeaux ou à Dijon ? Non plus. Ils demandent eux aussi à parler basque au Pays basque. Je pourrais poursuivre l’énumération avec les Occitans, les Catalans, les Picards, les Martiniquais et tous les autres, mais vous m’avez compris : aucune de ces communautés ne cherche à imposer sa culture aux autres. Il n’existe donc pas de communautarisme régional en France.

Précisons notre propos. Historiquement, une seule communauté minoritaire a bel et bien cherché à imposer sa culture aux autres. Mais cette communauté, c’est la communauté francilienne ! Rappelons en effet que, selon les spécialistes, la langue française n’était parlée que par 10 % à 20 % des sujets de François Ier au XVIe siècle, et par 20 % à peine de la population sous la Révolution.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Ce même pourcentage dépasse les 90 %, le solde étant constitué par des immigrés de fraîche date. Les seuls que l’on peut donc accuser de communautarisme, ce sont les Parisiens et les Franciliens, comme le remarque l’essayiste Juan Milhau-Blay. « De la langue à l’accent en passant par l’hypercentralisation et le drapeau français qui porte les couleurs parisiennes, la communauté d’Ile-de-France fait prévaloir ses spécificités culturelle et politique au sein d’un ensemble social plus vaste », écrit-il dans Je suis catalan mais je me soigne (éditions Héliopoles).

Le plus piquant, dans toute cette histoire, c’est que ce sont les mêmes ou leurs descendants qui, aujourd’hui, viennent accuser les défenseurs des langues régionales de « communautarisme » alors que ces derniers ne font que défendre leurs droits linguistiques. Une telle imputation relève donc, si l’on est gentil, d’un art consommé de la rhétorique, ou, pour dire les choses plus directement, d’une forme de malhonnêteté intellectuelle. « Les personnes qui parlent des langues régionales ne réclament aucun droit particulier. Elles demandent simplement l’accès aux mêmes droits que les citoyens monolingues de langue française », résument Rozenn Milin et Philippe Blanchet dans Langues régionales. Idées fausses et vraies questions, (éditions Héliopoles).

La vision « universaliste » repose pourtant sur une idée juste, qu’avait résumée dans une formule célèbre le comte de Clermont-Tonnerre en 1789 : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation et tout accorder aux juifs comme individus. » Autrement dit, chaque individu doit pouvoir se libérer de sa communauté d’origine et être considéré comme un citoyen libre. J’approuve entièrement cette vision… à condition de ne pas diaboliser toutes les communautés. Prenons un exemple extrême : sachant que la première communauté d’appartenance d’un individu est sa famille, faudrait-il renoncer à être un bon père, une bonne mère, un enfant affectueux ? Non, évidemment, car chérir ses proches n’est en rien du communautarisme. Il en va selon moi de même des « petites patries » : aimer sa région et sa langue n’empêche en rien d’aimer la grande. Les centaines de milliers de poilus morts pour la France tout en parlant provençal, breton ou flamand l’ont démontré.

Dès lors, si je devais formuler une ordonnance dans ce domaine, celle-ci tiendrait en une phrase : dé-ten-dons-nous ! Notre pays, depuis son origine, a toujours abrité en son sein de multiples langues. Dans L’Identité de la France, Fernand Braudel écrivait : « La France se nomme diversité. » L’historien y soulignait l’incroyable variété de notre territoire, qu’il s’agisse de paysages, d’architectures, de peuples ou de cultures. D’où cette question taquine : les meilleurs patriotes sont-ils ceux qui veulent conserver cette diversité ou ceux qui s’emploient à la détruire ?

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Amor d’Aussau

Paroles : Marcel Abbadie – Musique : Bernard Boué

1) Oei que soi jo (Aujourd’hui je suis)

Embarrat hens l’ostau (Enfermé à la maison)

Dab lo flaquer (Fatigué)

Lheu ua malaudia (Peut-être suis-je malade)

Lo mei qui poish (Le mieux que je puis faire)

Qu’ei d’anar tau portau (Est d’aller jusqu’au portail)

Alavetz escota ô ma miga ô Maria (Alors écoute ô ma mie, ô Marie)

Repic (Refrain) :

Amor d’Aussau (Amour d’Ossau)

Lo temps passat (Le temps a passé)

Amor d’Aussau (Amour d’Ossau)

Que t’ei goardat (Je t’ai gardé)

2) Parla per jo a l’ausèth lo mei haut (Parle pour moi à l’oiseau tout là-haut)

Que l’as sovent (tu le trouves souvent)

De cap a Pèiralua (Du côté de Peyrelue)

Que’u diseràs (Tu lui diras)

Que soi hèra malaut (Que je suis très malade)

Que baishe lèu shens esperar la lua. (Qu’il descende vite, sans attendre la Lune)

3) E l’esparvèr (Et l’épervier)

Autanlèu arribat (Aussitôt arrivé)

Suu linçou blanc (Sur le linceul blanc)

Pausarà l’immortèla (Posera l’édelweiss)

S’emportarà mon amna au bordalat (Il emportera mon âme au hameau)

A l’endret on viscom ue vita tan bèra. (A l’endroit où nous vécûmes une vie si belle.)

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Author : Michel Feltin-Palas

Publish date : 2025-06-17 04:15:00

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