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Keir Starmer – Marine Le Pen : l’Europe tiraillée entre « BrexINeurs » honteux et Frexiteurs masqués

Keir Starmer – Marine Le Pen : l’Europe tiraillée entre « BrexINeurs » honteux et Frexiteurs masqués

A trois semaines d’intervalle se sont tenus, d’un côté de la Manche, le premier sommet bilatéral entre le Royaume-Uni et l’Union européenne depuis le Brexit, et, de l’autre, le deuxième rassemblement des figures de l’extrême droite antieuropéenne.

Le 19 mai, plus de cinq ans après la sortie officielle du Royaume-Uni de l’Union européenne, Keir Starmer a reçu à Londres les dirigeants de l’UE. Une sorte de sommet de rattrapage de la part d’un Premier ministre travailliste qui hérite des dégâts économiques, culturels et sociaux causés par le Brexit sur un pays stupidement coupé de la plus grande zone de libre-échange du monde, son premier partenaire et son plus proche voisin, ce que d’éventuels traités avec des pays tiers ne peut compenser. Pour un référendum gagné au terme d’une campagne populiste de désinformation et de promesses mensongères, l’inventaire est lourd : baisse du PIB de 2 à 4 % par rapport à une situation sans Brexit, croissance économique encore plus ralentie que celle des autres pays européens, baisse des échanges commerciaux, chute des exportations, stagnation de l’investissement, baisse des recettes fiscales, hausse de l’inflation, tensions sur le marché du travail, prolifération de la bureaucratie, de la paperasserie et des files d’attente aux frontières, baisse du pouvoir d’achat… et, last but not least, augmentation de l’immigration extra-européenne : le motif fédérateur par excellence, pourtant, de tous les europhobes réunis.

Et puisqu’on parle d’eux, les voilà justement qui se sont retrouvés le 9 juin, à l’invitation de Marine Le Pen. A Mormant-sur-Vernisson, un village du Loiret symbolique d’une France profonde sans élites cosmopolites et où le Rassemblement national est massivement élu, la députée et présidente du groupe RN a organisé un meeting de « Patriotes », du nom de leur groupe commun au Parlement européen. Parmi les invités, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, le dirigeant d’extrême droite néerlandais Geert Wilders, le vice-président du Conseil italien Matteo Salvini. « Je ne laisserai pas les migrants détruire nos villes, violer nos filles et nos femmes ou tuer des citoyens pacifiques », a déclaré Orban dans une envolée trumpienne, accusant l’entité « Bruxelles », dont son pays fait pourtant partie, d’en être le grand manipulateur : « La politique migratoire européenne est un échange organisé de populations pour remplacer le socle culturel de l’Europe. »

Marine Le Pen, elle, semble avoir renoncé à la dédiabolisation pour renouer avec la rhétorique du temps récent où elle militait pour le Frexit et la sortie de l’euro. Elle a changé d’avis depuis, mais la radicalité enterrée a ressuscité contre « l’empire », cet avatar d’URSS qui vous annexerait à coups de tanks et de missiles : « L’Union européenne est un empire marchand, wokiste, ultralibéral. […] C’est un empire contre nos nations. C’est un empire qui manipule et menace des désordres, impose et opprime. »

Marine Le Pen flirte à nouveau avec le Frexit

Le Brexit ayant encore accentué l’impopularité des Frexit et autres Dexit, les discours de détestation à l’égard de l’UE sont d’autant plus virulents que ceux qui les prononcent sont éloignés du pouvoir ou qu’ils ne craignent pas d’en être chassés. Marine Le Pen flirte à nouveau avec le Frexit – tout en prenant soin d’en écarter l’idée et le mot – maintenant que la perspective de sa candidature semble compromise par ses affaires judiciaires. Viktor Orban, jusqu’ici bien accroché au pouvoir, ne franchit les lignes rouges du club européen qu’insuffisamment pour ne pas s’en faire exclure, suffisamment pour se faire valoir comme un héros de la résistance, dans son pays et auprès de ses homologues nationalistes.

A l’inverse, Keir Starmer reste un « BrexINeur » honteux, désireux de remettre un pied dans le marché unique sans pouvoir le faire ni oser le dire, alors que 55 % des Britanniques en rêvent. « Rétrospectivement, pensez-vous que le Royaume-Uni a eu raison ou tort de voter la sortie de l’UE ? » A cette question posée par l’institut YouGov de 2016 à 2025, les « oui » dépassent les « non » d’année en année, mais personne ne veut revenir sur ce suicide politique qui a déchiré le pays jusqu’à l’intérieur des familles. Même Nigel Farage, en pleine ascension dans la droite britannique, évite de mentionner le Brexit dont il fut le moteur.

L’Europe tangue entre ces vents contraires, entre « sommet de rattrapage » de Starmer, première étape timide d’un rapprochement avec Bruxelles, et hostilité affichée de Le Pen – entre ouverture pragmatique et divorces déguisés.

Marion van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure du “Piège Nord Stream” (Arènes)



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Author : Marion Van Renterghem

Publish date : 2025-06-18 06:00:00

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