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Finissons-en avec la « fast fashion » de nos politiques industrielles, par Olivier Lluansi

Finissons-en avec la « fast fashion » de nos politiques industrielles, par Olivier Lluansi

Ces dernières années, nous avons multiplié les priorités successives pour nos politiques industrielles : l’innovation de rupture et les start-up, puis la relocalisation des médicaments critiques après le Covid, suivies de l’industrie verte avec la loi du même nom, et maintenant la défense… Quatre priorités en cinq ans, presque une chaque année. Elles collent certes à l’actualité, mais un cycle industriel, c’est dix ans au minimum… Alors cette valse donne d’abord le tournis !

Il y a évidemment nécessité de mettre un terme à cette « fast fashion » de nos politiques industrielles. Il est dès lors légitime de se demander si la dernière priorité en date, celle de la défense, est la bonne… Pouvons-nous être un arsenal pour l’Europe et une partie du monde ? Qu’en attendons-nous en termes de réindustrialisation, d’emplois ou même d’exports ?

L’industrie de l’armement est « diffusante », elle mobilise une chaîne de valeur industrielle qui irrigue l’ensemble de la France. Ainsi, chaque région est en train de constituer sa propre carte de sa filière. Ensuite, elle constitue aussi une base « flexible », capable d’incorporer assez rapidement les compétences issues de l’automobile, de l’aéronautique et d’autres secteurs. Ainsi nombre de PMI de la mécanique ont commencé à basculer leur activité en déclin liées à l’automobile. Enfin, nous disposons en France de dix donneurs d’ordre majeurs [1], leaders dans leur domaine.

Toutes ces caractéristiques sont favorables pour en faire un élément tracteur de notre réindustrialisation, à condition toutefois qu’on ne limite pas cette politique industrielle aux « 1 000 entreprises stratégiques » classifiée dans la BITD – base industrielle et technique de défense –, mais qu’on l’ouvre bien à toute la filière, y compris aux entreprises de rang 3 ou 4 ou 5, soit 4 à 5 000 entreprises environ qui sont souvent multisecteur.

« Il n’y a pas d’argent, il n’y a pas de commande »

Pourtant ces atouts sont assortis de questionnements. D’abord celui des alliances. Le choix du fournisseur d’un équipement militaire est d’abord le choix d’une alliance. Nous pouvons juger durement les pays européens ayant opté en faveur des F35 au lieu du Rafale. A la vérité, ce n’est pas un avion qui est acheté, mais une alliance. Chacun peut apprécier à sa propre aune la fiabilité des positions américaines aujourd’hui, mais la question fondamentale reste : quelle alliance la France offre-t-elle pour adosser sa prétention à vendre des équipements militaires ?

Ensuite, il faut s’interroger sur notre capacité. Comme souvent pour nos politiques industrielles, nous souhaitons être « bons partout, en tout ». Or vouloir tout faire, tout produire, des canons aux avions de chasse, c’est prendre le risque de ne pas avoir les moyens nécessaires, pour de trop nombreux programmes de développement puis pour l’acquisition de ces équipements afin que nos industriels disposent d’un premier marché de la taille suffisamment critique. C’est le cinglant rappel récent du sénateur Cédric Perrin : « Il n’y a pas d’argent, il n’y a pas de commande » dans la défense. Or choisir, c’est renoncer : avons-nous ce courage qui semble aux antipodes de la déferlante d’annonces, souvent sans les ressources indispensables, à laquelle nous assistons ces temps derniers ?

Enfin, qu’en attendre pour notre économie ? Entre le milieu des années 2000 et aujourd’hui, la balance commerciale du secteur automobile en France est passée de + 15 milliards à -17 milliards d’euros. Tandis que sur les dix dernières années, le solde des équipements de défense est lui passé de 4 milliards à 8 milliards d’euros environ, la série connaissant des fluctuations marquées. Autrement dit, il faudrait presque 10 fois la croissance de notre industrie de défense de sa dernière décennie pour compenser la perte de notre industrie automobile…

De la sorte, notre industrie de l’armement peut effectivement contribuer au redressement de notre balance commerciale, juge de paix de notre réindustrialisation. Toutefois ce potentiel reste dans des proportions modestes pour combler notre désindustrialisation. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faire… mais plutôt qu’il est urgent de commencer, d’accélérer tout en ayant conscience que cela prendra du temps, sans doute plusieurs décennies. Et que cela ne suffira pas pour reconstituer le socle industriel français.

[1] Airbus, Ariane Group, Arquus, CEA/DAM, Dassault, MBDA, Naval group, KDNS France (Nexter), Safran, Thales notamment.

Olivier Lluansi est professeur au CNAM et auteur de « Réindustrialiser, le défi d’une génération » (édition Les Déviations).



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Publish date : 2025-06-19 09:00:00

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