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La Villa Médicis ouvre ses portes aux jeunes des lycées pros : « Cela peut agir comme un révélateur »

La Villa Médicis ouvre ses portes aux jeunes des lycées pros : « Cela peut agir comme un révélateur »


Y a-t-il un endroit plus propice à l’inspiration que la Villa Médicis ? En ce printemps 2025, l’une des hautes fenêtres des chambres généralement occupées par des artistes en résidence offre une vue plongeante sur ses magnifiques jardins, sa fontaine centrale, son « labyrinthe » végétal… mais aussi sur des centaines de jeunes qui se rafraîchissent à l’ombre des allées boisées. En mai dernier, l’imposante bâtisse blanche du XVIe siècle, établie sur la colline du Pincio à Rome, a fait baisser la moyenne d’âge de ses hôtes en accueillant 750 lycéens issus des voies professionnelles.

Des élèves des régions Pays de la Loire, Grand Est et Sud-Provence-Alpes Côtes-d’Azur, s’y sont succédé pendant trois semaines. Le programme de leur séjour ? Présenter leurs projets sur lesquels ils ont planché toute l’année et découvrir les trésors de la Ville éternelle. « Depuis la rentrée de septembre, nos professeurs nous initient à l’art des drapés dans la culture romaine. Ils nous ont guidés dans la réalisation d’une œuvre sculptée », explique Shun, avant de se lancer dans la description des outils utilisés. Originaire de La Fare-les-Oliviers, un petit village près de Marseille, le jeune garçon de 16 ans, qui rêve de devenir tailleur de pierre, se définit comme « quelqu’un de timide ». Pourtant, lorsqu’il parle de sa passion, ses yeux s’illuminent, il devient intarissable.

« Je suis persuadé que ce type d’expérience peut agir comme un révélateur. La beauté du patrimoine qui nous entoure provoque parfois un effet de sidération, surtout chez cette tranche d’âge », confie Sam Stourdzé depuis son bureau niché dans les étages et auquel on accède par le magistral escalier central. Dès sa nomination, en mars 2020, le nouveau directeur de la Villa Médicis s’est attaché à mettre en musique ce projet baptisé « Résidence pro ». « Il faisait partie de mon programme visant à rendre la villa plus agile en misant sur une mobilité artistique, sociale et européenne », explique ce spécialiste de la photographie. La plupart des lycéens avouent qu’ils n’avaient jamais entendu parler de la Villa Médicis avant d’y être invités. Fondée en 1666 par Louis XIV, l’Académie de France y est abritée depuis 1803. Il s’agit du seul établissement public français sous tutelle du ministère de la Culture situé à l’étranger. Ouvert toute l’année à la visite, le site abrite aussi un centre d’art, en plus des résidences d’artistes. « Notre institution est connue dans les milieux artistiques et chez les CSP+ mais les habitants des territoires ont tendance à penser que les palais de la République ne sont pas pour eux. Il nous faut lutter contre cette idée », insiste Sam Stourdzé.

« La ferronnerie, c’est vraiment mon truc »

3860_Résidence Pro Provence Alpes Côtes d’Azur_© Margherita Nuti

L’accueil de ces lycéens nécessite une organisation bien huilée entre la préparation des buffets, l’exposition de leurs œuvres, mais aussi les visites à travers la ville. Chaque semaine, 20 « médiateurs » ou guides référents sont chargés d’accompagner une cohorte de 250 élèves jusqu’aux sites incontournables comme les jardins de la Villa Borghèse voisine, le Colisée, la Fontaine de Trévi, le Panthéon… Autant de sources d’émerveillement pour certains qui n’ont jamais eu l’occasion de s’aventurer hors de leur région. « Lors de la première édition, un jeune a repéré un sigle représentant des vagues dans le métro. La guide a proposé de faire un détour par la mer qu’il n’avait jamais vue. Depuis, on l’a rajouté dans la liste des endroits à voir », explique Isabelle Giordano, déléguée générale de la Fondation BNP Paribas, principal mécène du projet. « L’idée était de reprendre le concept des humanités tel qu’il était enseigné au XVIIIe siècle : parfaire sa culture générale et son apprentissage grâce au voyage. Notre vocation est aussi d’aider certains jeunes, qui parfois ont été broyés par le système scolaire, à reprendre confiance en eux », poursuit-elle.

Depuis la grande esplanade de la Villa Médicis, trois adolescentes énumèrent les églises et musées déjà visités. « Vous avez là le plus beau point de vue de Rome, souligne la guide Marie Delaunay. Le 8 mai dernier, le groupe que j’encadrais et qui venait des Pays de la Loire a eu la chance de voir la fumée blanche s’échapper de la chapelle Sixtine. Signe annonçant l’élection du nouveau pape ». Ce 22 mai, c’est elle qui se charge d’accompagner le groupe du lycée Paul Langevin, de la Seyne-sur-Mer, au Vatican. « Peut-être qu’on va apercevoir Léon XIV ! », s’amuse l’un des élèves en foulant les pavées de la place Saint-Pierre. Alors que la foule observe avec curiosité les gardes suisses assurant leur service, ces futurs ferronniers d’art dissertent sur les matériaux avec lesquels a été confectionnée la lourde porte derrière eux. « La ferronnerie, c’est vraiment mon truc. Notre projet consistait à confectionner un ‘siège curule’ qui était réservé aux personnalités importantes dans la Rome antique. J’ai adoré », explique Lilian. « Malheureusement, tout le monde n’a pas cette vocation. Le système nous oblige à accueillir beaucoup de jeunes orientés chez nous contre leur gré, au détriment des plus motivés ! Résultat, beaucoup s’arrêtent au niveau CAP. Un vrai gâchis », regrette Philippe Castillo, leur professeur d’atelier. « Cette semaine, certains CAP ont eu le déclic et m’ont confié leur envie de s’inscrire en BMA [NDLR : brevet des métiers d’art]. On voit ça comme une petite victoire », ajoute sa collègue Virginie Carré-Renner.

Certains parcours sortent de l’ordinaire comme celui de cette ancienne professeure de mathématiques, titulaire d’un diplôme d’ingénieur en génie civil. « L’année dernière, mes élèves du lycée professionnel Les Alpilles, à Miramas, m’ont fait découvrir l’activité de tailleur de pierre. J’ai trouvé ça tellement fabuleux que j’ai décidé d’arrêter l’enseignement pour suivre cette formation à leurs côtés », raconte Fanny Belloeuvre, âgée de 27 ans. Non loin d’elle, Aurélien, inscrit en 2e année de BMA d’ébénisterie à Marseille, présente un cabinet de curiosités qui fourmille de références aux jardins romains. Dans le même temps, une autre classe du lycée Les Coteaux de Cannes raconte aux visiteurs comment elle a reproduit des costumes historiques portés par des femmes de la famille Médicis. « Cette expérience nous a beaucoup rapprochés de nos élèves et nous a permis d’établir d’autres liens avec eux », se félicite leur professeure Laurence Clec’h. Comme ses collègues, celle-ci s’est occupée de monter le lourd dossier qui leur aura permis d’être sélectionnés parmi des dizaines d’établissements candidats.

« Leur enthousiasme va à l’encontre des clichés négatifs »

Le 22 mai, dernier jour de leur aventure, tous les jeunes participants montent sur scène pour présenter leur travail chacun à leur façon, aidés en amont par des comédiens. « Leur enthousiasme va à l’encontre des clichés négatifs trop souvent véhiculés à leur encontre. Savoir ce que l’on souhaite faire de sa vie à 15-16 ans vous donne une maturité exceptionnelle », salue Richard Gally, conseiller de la région Sud-Provence-Alpes-Côte-d’Azur qui consacre 350 000 euros au projet. Ce séjour est également l’occasion de rencontrer l’un des 16 pensionnaires à l’année de la Villa Médicis, comme l’historien de l’art Nicolas Sarzeaud. Ou encore de faire venir d’autres artistes spécialement pour l’occasion comme la chanteuse de jazz Marion Rampal.

Cette dernière, originaire de Marseille, revient sur son parcours au cours d’une masterclass. Lançant entre deux chansons de sa composition : « Vous avez tous travaillé collectivement sur vos chefs-d’œuvre. Le jazz, c’est pareil : la musique se joue en groupe et s’inspire de ceux qui nous ont précédés ». Une dernière soirée pizza clôt l’escapade romaine. Marion Rampal s’approche discrètement d’Olivier qui fête ses 18 ans, lui chante un joyeux anniversaire. Fêter le passage à sa majorité à la Villa Médicis. « Au moins, c’est sûr, tu t’en souviendras ! », lance une de ses camarades.



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Author : Amandine Hirou

Publish date : 2025-06-21 06:45:00

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