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Taxe Zucman et fuite des ultrariches : ce que nous enseigne l’exemple du Royaume-Uni

Taxe Zucman et fuite des ultrariches : ce que nous enseigne l’exemple du Royaume-Uni

Adoptée par l’Assemblée nationale en février dernier grâce aux députés de gauche, la taxe dite « Zucman » n’a, sans surprise, pas survécu à son passage au Sénat. Celle-ci est, pour autant, loin d’être enterrée. Bien au contraire, cette mesure instaurant un impôt de 2 % sur les fortunes disposant d’un patrimoine supérieur à 100 millions d’euros a toutes les chances d’être remise sur la table à l’automne au moment des débats sur le budget 2026. Ses défenseurs, allant de La France Insoumise au Parti socialiste, en sont convaincus : ce nouvel impôt ultra-ciblé permettrait de renflouer de quelque 20 milliards d’euros les caisses de l’Etat.

Un chiffrage qui ne tient pas compte du risque de fuite des capitaux, estime la droite et même Emmanuel Macron. Le 13 mai dernier sur TF1, face à la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, le président de la République avait demandé, l’air faussement ingénu : « Est-ce que vous pensez que si la France toute seule met une taxe sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, les gens vont gentiment rester pour être taxés ? ». Derrière son téléviseur, l’économiste Gabriel Zucman avait instantanément répliqué depuis un thread X : « l’exil fiscal en réponse à l’imposition de la fortune est un phénomène négligeable ».

Ce n’est pourtant pas ce que disent les premiers chiffres sortis après l’entrée en vigueur de la loi supprimant le statut de non-résident au Royaume-Uni. Pour rappel, ce régime, en place depuis deux siècles, permettait à quiconque résidait au Royaume-Uni de n’être imposé que sur ses revenus et plus-values britanniques, tout en conservant un domicile fiscal déclaré à l’étranger. Les gains réalisés hors du pays n’étaient taxés par le fisc londonien que s’ils étaient rapatriés. Ce n’est désormais plus le cas depuis le 6 avril dernier.

Londres face aux premiers effets de la fin du statut non-dom

L’économie britannique commence déjà à ressentir les effets de cette réforme fiscale. Certes, il n’existe pas encore de chiffre macro-économique officiel sur les conséquences de l’abolition du statut de « non-dom » au Royaume-Uni, mais plusieurs indicateurs sectoriels publiés depuis avril brossent déjà un tableau des tendances à venir, estime l’économiste Pascal de Lima, chef économiste Business Knowledge Management Consulting BKMC : « Le lien entre la réforme fiscale et la chute des indicateurs observée ces dernières semaines ne fait guère de doute. À ce titre, le Royaume-Uni fait figure de laboratoire fiscal, donnant un avant-goût de ce que pourrait entraîner une taxation accrue des ultra-riches en France comme la taxe Zucman ».

Mi-juin, le quotidien spécialisé Financial Times tirait la sonnette d’alarme : « Les nouvelles règles concernant les’non-doms’ont provoqué une chute du nombre de transactions sur le marché immobilier haut de gamme de Londres le mois dernier, alors que l’intérêt des acheteurs internationaux fortunés s’est refroidi ». Selon la société immobilière LonRes, les ventes de biens de luxe ont chuté de 35,8 % en mai par rapport à l’année précédente, et de 33,5 % par rapport à la moyenne d’avant la pandémie. En outre, les ventes de biens au-delà de 5 millions ont dégringolé de près de 15 %. Résultat : le Trésor britannique se retrouve privé de quelque 401 millions de livres de droits de timbre.

Côté Bourse, les chiffres publiés début juin par l’Investment Association racontent la même défiance : le compartiment « UK Equity » – les fonds investis exclusivement dans les actions britanniques – a subi 817 millions de livres de retraits nets. Ce désamour tranche avec la tendance générale : l’ensemble des autres catégories de fonds a, au même moment, accueilli 1,1 milliard de livres d’entrées nettes. Pour faire simple, alors que l’argent recommence à irriguer les marchés, il continue de fuir tout ce qui est directement exposé à la Bourse de Londres.

Instauration d’un climat de défiance fiscal

De façon plus générale, le Center for Economics and Business Research (CEBR) estime que la réforme abolissant le statut de résident « non-domiciled » pourrait coûter plus qu’elle ne rapporte si une personne concernée sur quatre quitte le pays. Or, l’Office for Budget Responsibility (OBR) estime également que 12 % des 74 000 non-doms pourraient quitter le Royaume-Uni à la suite de ce changement. Une analyse conduite par Bloomberg portant sur cinq millions de documents d’entreprises révèle que plus de 4 400 chefs d’entreprise déclarent avoir déménagé à l’étranger au cours de l’année écoulée. Le groupe américain spécialisé dans l’information financière et économique affirme également que plusieurs études démontrent que cette réforme fiscale pourrait faire perdre au Royaume-Uni plusieurs milliers d’emplois et jusqu’à 12,2 milliards de livres sterling au cours des quatre prochaines années.

Pour l’heure, certains des plus gros portefeuilles du Royaume-Uni envisagent déjà de partir. C’est le cas déjà de Richard Gnodde, vice-président de Goldman Sachs ainsi que Ian et Richard Livingstone, co-directeurs de London & Regional Properties, une société immobilière familiale qui gère quelque 9 milliards de livres d’actifs. Comment ne pas penser à l’avertissement de Bernard Arnault fin janvier 2025 ? De retour d’un déplacement aux États-Unis, le patron de LVMH avait jugé « incroyable » l’augmentation envisagée de 40 % des impôts dans le budget 2025 « des entreprises qui produisent en France », estimant qu’il s’agissait de « la meilleure façon d’encourager la délocalisation ». Et d’aller jusqu’à confier envisager « sérieusement » d’ouvrir de nouvelles usines outre-Atlantique, là où souffle, selon lui, « un vent d’optimisme » absent en France.

S’il est vrai que les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets, prétendre que « le risque de fuite des capitaux relève du fantasme tient davantage de la posture idéologique que de l’analyse purement économique », décrypte Pascal de Lima. Londres en fait déjà l’amère expérience. Et le ras-le-bol exprimé publiquement, en janvier, par le premier patron tricolore pourrait bien avoir fait école.



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Author : Ambre Xerri

Publish date : 2025-06-25 17:15:00

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