Tout l’été, L’Express raconte la fabrique des élites européennes à travers neuf lieux emblématiques où se forment les futurs leaders du Vieux Continent : écoles de business, universités prestigieuses, laboratoires de recherche, pépinières de talents dans la mode, le design ou l’hôtellerie… Une autre manière de redécouvrir l’Europe à travers ses pépites de l’enseignement supérieur, que le monde entier nous envie.
Ce dimanche 15 juin, Stefano Caselli, le directeur de la Bocconi School of Management, n’a pas hésité une seconde. La nouvelle était vieille de quelques minutes que ce professeur de finances était déjà en train de pianoter sur son smartphone. « Bravo, Luca, tu es le meilleur ! » Message d’un bocconien à l’un de ses condisciples. Sur le campus de l’université Bocconi à Milan, Luca de Meo, qui prendra à la mi-septembre les rênes du groupe de luxe Kering après avoir laissé celles de Renault, pourrait presque avoir sa statue. Il y a déjà son rond de serviette. L’Italien, diplômé en 1992, revient parfois donner quelques leçons de marketing, son sujet de prédilection, à des étudiants ébaubis par son parcours. Nul doute qu’il est aujourd’hui l’un des meilleurs ambassadeurs de cette institution transalpine capable de façonner aussi bien des PDG de multinationales que des gourous de la Bourse ou des nobélisables.
Dans les palmarès internationaux scrutés à la loupe par les chasseurs de têtes, la Bocconi se distingue. Le dernier classement des meilleurs MBA du Financial Times place l’université italienne en quatrième position, à égalité avec l’INSEAD et devant la London School of Economics, Harvard Business School ou encore HEC. Ses masters en finance, management ou affaires publiques trustent les meilleures places dans les « rankings » européens. Au point de faire aujourd’hui de Bocconi une pouponnière de l’élite économique et financière mondiale.
Ici, il n’y a pas la place pour le moyen ni même le bon. On vous pousse à l’excellence, la compétition entre élèves est féroce
A Bruxelles, Mario Nava, élu « bocconiano de l’année 2023 » et dans la vraie vie big boss de la Direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion de la Commission européenne, a fait ses comptes. « Les instances dirigeantes des institutions européennes dénombrent pas moins de 140 bocconiens », souligne ce pilier bruxellois, avançant les noms de Valéria Miceli, responsable de la coordination des politiques au sein du cabinet d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, ou encore celui de Debora Revoltella, la chef économiste de la Banque européenne d’investissement. A New York ou Londres, c’est dans la finance que les têtes bien faites de Bocconi, affûtées aux mathématiques de haute voltige, font des miracles. Les grandes maisons de luxe parisiennes les accueillent aussi à bras ouverts, comme Francesca Bellettini, la directrice générale adjointe en charge du développement des maisons de Kering, Simona Cattaneo, à la tête de la division beauté de Chanel, Alessandro Valenti, propulsé PDG de Givenchy l’an passé, ou encore Gaetano Sciuto, aux manettes de la maison Margiela.
La PDG de Vodafone, fait partie des personnalités passées par l’université milanaise (voir plus bas)
Pas de passe-droit
Des bocconiens disséminés partout sur la planète et qui se regroupent au sein de « chapters », des associations d’alumni très organisées. Pékin, Boston, Kuala Lumpur, Budapest, Los Angeles… « Dès que j’arrive dans une ville, je contacte le responsable du réseau, c’est presque devenu un réflexe », confie Mario Nava. Le « chapter » parisien – le plus étoffé du monde – compte près de 2 500 abonnés à sa newsletter mensuelle. Organisations d‘évènements festifs, conférences… et surtout réseautage. « On a mis en place un système de mentorat où des bocconiens seniors aident des plus jeunes dans leur plan et leur transition de carrière », explique Sarah Bartesaghi Truong, la responsable de l’association parisienne.
Vu de France, Bocconi est un ovni. Le mariage de la carpe et du lapin. La rigueur académique et le formalisme de l’université alliés à la mise en pratique et à l’élitisme du système des grandes écoles de commerce. Mais l’originalité de l’institution italienne tient d’abord à sa géographie. Rien à voir avec l’un de ces campus nord-américains, certes très verdoyants mais éloignés du poumon de la cité. Là, au cœur de la ville, un immense bâtiment en béton, aux lignes brutalistes, enchâssé entre des immeubles d’habitations néoclassiques, abrite l’université. Immense dédale de couloirs vitrés. Dégradé de gris perle à anthracite. Un peu plus loin, comme pour trancher avec la rectitude des lieux, les lignes courbes du siège flambant neuf de la business school accueillent les élèves. Toujours du béton brut, mais dans l’entrelacs d’un jardin japonanisant. « Pour bien apprendre, il faut être dans du beau », justifie Francesco Billari, le recteur de l’université.
L’université Bocconi à Milan.
Ici, pas de passe-droit, quels que soient la position ou le portefeuille des parents. « On défend la méritocratie et l’effort », soutient Andrea Sironi, le président de l’université. « Même mon fils a été recalé, il n’avait pas les notes suffisantes », plaisante-t-il, le sourire un peu jaune.
Dans son bureau tout en longueur, Alireza Aghaee, chemise blanche à col mao, acquiesce. « Ici, il n’y a pas la place pour le moyen ni même le bon. On vous pousse à l’excellence, la compétition entre élèves est féroce », confie-t-il posément. Dans une poignée de jours, cet Iranien soutiendra sa thèse en finance avant de s’envoler pour Londres et l’Imperial College, où il a décroché un poste de professeur assistant. « A l’instar des business schools anglo-saxonnes, Bocconi a développé une recherche de très haut niveau, comme l’atteste son nombre de bourses prestigieuses du Conseil européen de la recherche », abonde le prix Nobel d’économie Jean Tirole, qui s’en est inspiré pour créer la Toulouse School of Economics.
350 millions d’euros de budget
Dans un « marché » mondial de l’éducation hypercompétitif, la percée de l’université italienne sur la scène mondiale est assez récente. Pendant des décennies, cette institution, créée en 1902 par l’industriel Ferdinando Bocconi, est restée dans l’entre-soi de la péninsule. Ce n’est qu’au début des années 2000 et sous l’impulsion de son président Mario Monti, commissaire européen puis Premier ministre italien, que l’université prend une nouvelle dimension. Internationalisation des professeurs, chasse aux meilleurs étudiants étrangers… Le gouvernement italien de Matteo Renzi donne aussi un gros coup de pouce : 90 % des revenus des chercheurs étrangers recrutés seront exonérés d’impôts pendant six ans, et jusqu’à douze ans s’ils viennent en famille. En parallèle des nombreux masters exécutifs créés, la business school, elle, met au point des programmes de formation sur-mesure spécifiquement calibrés aux besoins des entreprises qui les demandent. Le tout avec l’appui des professeurs de l’université. Succès garanti. « Ces programmes customisés représentent aujourd’hui 40 % de notre budget », reconnaît Stefano Caselli, le directeur de l’école.
Une étudiante de l’Université Bocconi à Milan.
Un budget qui approche au total 350 millions d’euros. Les subventions publiques atteignent à peine 6 % du total. « Nous sommes une institution privée. Ce qui veut dire libre », ajoute Andrea Sironi. Libre de pouvoir défendre un engagement européen et une vision libérale de l’économie. Dans l’Italie de Giorgia Meloni, Bocconi apparaîtrait presque comme une forme de contre-pouvoir. « Nous ne faisons pas de politique. Seule compte la véracité des faits. Et si nous défendons l’immigration qualifiée, c’est parce qu’elle est utile à la croissance européenne », précise Andrea Sironi.
L’université pilotée par une fondation a mis en place un système de bourses – 12,5 % des élèves ne payent aucun droit d’inscription – et tous les profits sont réinvestis dans le développement de nouveaux programmes. Il y a trois ans, Marc Mézard a posé son ordinateur à Milan. Juste à côté de son bureau vitré, deux étudiants noircissent un mur d’équations mathématiques. Ce physicien français a longtemps été le directeur de l’Ecole normale supérieure. Jusqu’à ce que la Bocconi lui fasse une offre qui ne se refuse pas : la création de toutes pièces d’un département d’intelligence artificielle, avec recrutement des chercheurs et des professeurs assistants et mise au point d’un corpus d’enseignements théoriques pour les élèves dès la sortie du secondaire. « Nous avons eu carte blanche sur tout. Une telle liberté, c’est très rare », reconnaît Marc Mézard. D’ici la fin du mois, les premiers étudiants devraient décrocher leur licence en IA et le master devrait être créé dans la foulée. « Leur niveau est bluffant », ajoute-t-il. Excellence et compétition, toujours. Encore faut-il mettre toutes les chances de son côté. Une légende court parmi les étudiants. Pour décrocher son diplôme à la Bocconi, mieux vaudrait ne pas passer entre les deux statues de lions en grès vert bouteille qui encadrent l’entrée du bâtiment historique. A quelques jours des examens de fin d’année, la vérification est faite. Ce corridor maudit est désert.
Droits d’inscription :
16 000 euros par an en première année
Ils sont passés par Bocconi :
Margherita Della Valle, PDG de Vodafone
Silvia Candiani, vice-présidente de Microsoft
Nouriel Roubini, professeur à la Stern University
Giancarlo Giorgetti, ministre de l’Economie italien
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Author : Béatrice Mathieu
Publish date : 2025-06-28 10:00:00
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