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Comment Israël recrute ses taupes en Iran : « Certains ignorent qu’ils travaillent pour le Mossad »

Comment Israël recrute ses taupes en Iran : « Certains ignorent qu’ils travaillent pour le Mossad »

Plus de 700 arrestations et six exécutions. Depuis treize jours, l’Iran chasse ses taupes, accusées d’avoir aidé Israël le 13 juin 2025. Cette nuit-là, 200 avions militaires pénètrent son espace aérien, effectuant des frappes sur une centaine de sites – dont des installations nucléaires. L’offensive, épaulée par des drones armés introduits clandestinement dans le pays, conduit à l’assassinat de plusieurs cadres de la République islamique. Comble de l’humiliation, au moins huit membres des Gardiens de la révolution, réunis dans un bunker souterrain, ont été assassinés par une seule et même frappe israélienne.

Seul un long et méticuleux travail d’infiltration a rendu possible cette attaque, d’autant plus impressionnante qu’Israël ne dispose d’aucune représentation diplomatique en Iran. Comment font-ils pour recruter leurs espions ? Corruption, chantage, exploitation des divisions internes ou encore opérations sous « faux drapeau »… Chez les « Katsas », les officiers de collecte du Mossad, le service secret israélien, tout est bon pour persuader les sources de se rallier à leur cause.

Surveiller chaque manifestation

Ce réseau méticuleux est le fruit d’une décision politique. En 2002, le Premier ministre Ariel Sharon classe l’Iran comme menace étrangère n° 1, qui devient la priorité du Mossad. Chaque agent doit amasser le plus de renseignements possibles. « L’étape fondamentale est l’acquisition d’espions, à tous les niveaux : il peut s’agir d’individus lambda, de militaires, en passant par des membres des Gardiens de la révolution », liste Oded Ailam, chercheur au Jerusalem Center for public Affairs, et ancien haut cadre du renseignement israélien.

Les Israéliens cartographient d’abord leurs cibles. Leur but : comprendre qui sont les fidèles de l’ayatollah Khamenei, et qui sont les dissidents. Un travail de renseignement classique, pour lequel le Mossad est parti avec une longueur d’avance. « N’oubliez pas que jusque dans les années 1980, il y avait une grande colonie israélienne à Téhéran, rappelle Michel Bar-Zohar, historien et ancien député de la Knesset, coauteur avec Nissim Mishal des Amazones du Mossad (Saint-Simon, 2022). Après l’arrivée des mollahs, ces personnes sont devenues des critiques et nous ont aidé à nous implanter. » Bénéficiant d’une connaissance fine de l’histoire et de la politique iranienne, le Mossad a su repérer des opposants. « Cela signifie suivre chaque protestation contre le régime, cibler ceux qui sont à leur tête et les contacter pour voir s’ils sont prêts à coopérer », poursuit Michel Bar-Zohar.

Le vivier des minorités

Le vivier le plus évident est puisé au sein des minorités iraniennes, souvent en lutte contre le pouvoir. « C’est l’engagement via le levier idéologique, le terrain de jeu le plus propice pour le Mossad, qui a toujours beaucoup recruté sur cette base, souligne . Il est plutôt facile à actionner en Iran, pays vaste où les minorités sont nombreuses ». L’approche a été théorisée par les dirigeants du Mossad, notamment auprès de leurs alliés. En août 2007, Robert Burn, sous-secrétaire d’Etat américain, participe à une rencontre avec Meïr Dagan, directeur du Mossad de 2002 à 2011. L’Israélien presse les Etats-Unis : davantage d’efforts doivent être déployés pour attiser les troubles en Iran. « Parmi les mesures suggérées figuraient le soutien aux mouvements étudiants pour la démocratie et aux minorités ethniques – Azerbaïdjanais, Kurdes et Baloutches – qui représentent 40 % du pays et n’apprécient pas le régime », relatent les journalistes Ilan Evyatar et Yonah Bob dans Target Tehran, ouvrage remarqué sur la guerre menée par Israël contre le nucléaire iranien, publié en 2023.

Une fois identifiées, les cibles peuvent être approchées par des agents traitants israéliens sous couverture. « Certains ignorent toute leur vie qu’ils ont travaillé pour le Mossad », remarque Michel Bar-Zohar. En avril 2021, une attaque présumée israélienne contre le site du complexe nucléaire de Natanz a été menée de l’intérieur. D’après les informations de l’hebdomadaire The Jewish Chronicle, « jusqu’à dix scientifiques iraniens » auraient été approchés par des agents du Mossad, et ont donné leur accord pour participer à l’opération. Beaucoup pensaient qu’ils travaillaient pour des groupes d’opposants situés à l’étranger. Ils avaient glissé des explosifs dans des caisses de nourriture.

Corruption et chantage

Mais certains ne coopèrent pas par conviction. « Une fois que vous travaillez avec vos premières sources, il faut continuer à tirer le fil, reprend Michel Bar-Zohar. Au bout d’un moment, vous trouvez des gens qui s’intéressent au moins autant ou beaucoup plus à l’argent qu’à l’idéologie. » Dans son ouvrage Mossad. Les grandes opérations (Plon, 2010), coécrit avec Nissim Mishʻal, l’historien liste des cas éventés par le service de contre-espionnage iranien. En décembre 2010, Ali Akbar Siadat a été pendu après avoir espionné pour Israël. L’Iranien avait rencontré pendant six ans des agents du Mossad en Thaïlande, en Turquie et au Pays-Bas, percevant des sommes de 3 000 à 7 000 dollars à chaque fois. Ali Ashtari, autre espion iranien, avait connu le même sort deux ans plus tôt. Lors de son procès, il avait admis avoir rencontré trois agents du Mossad en Europe, rapporte Michel Bar-Zohar dans son livre. « Les gens du Mossad voulaient que je vende des ordinateurs et des équipements électroniques aux services des renseignements iraniens, sur lesquels j’aurais placé des systèmes d’écoute », a-t-il témoigné.

En cas d’opérations réussies, ces écoutes contribuent à activer un troisième levier, « psychologique », complète Oded Ailam. En utilisant par exemple la frustration personnelle ou professionnelle. « Les promotions du régime iranien sont davantage fondées sur les amitiés personnelles que sur les compétences liées au travail, observe Clive Jones, professeur de sécurité régionale à l’université de Durham, au Royaume-Uni. Cela rend le système plus vulnérable à la corruption ou au chantage. »

Le Mossad peut aussi avoir recours aux « kompromats ». Selon ce levier de recrutement inspiré des Russes, il s’agit d’utiliser l’intimité pour faire chanter. « Les agents cherchent des cibles vulnérables, en tentant de répondre à une question simple : de quoi peuvent-ils avoir honte ?, explique le journaliste Ilan Evyatar. Si quelqu’un a des dettes de jeu, ou a une relation extraconjugale ou est homosexuel, cela l’expose particulièrement dans des sociétés conservatrices, comme en Iran. Cela peut donc être utilisé contre lui. » En 2022, un ancien membre des services de renseignement iranien avait expliqué à la BBC qu’une des vulnérabilités des Gardiens de la révolution était leurs relations avec les femmes. Elles pouvaient être utilisées « pour faire chanter ces officiels et les forcer à coopérer ».

Des années d’attente

Les agents ne se limitent pas aux menaces. Ils peuvent aussi aider. « Il est arrivé au Mossad d’exfiltrer des membres très malades de la famille d’une cible, pour la faire inscrire dans un excellent hôpital à l’étranger », abonde Michel Bar-Zohar. En échange des prises de risque, le Mossad peut avancer des garanties de sécurité. Dans une interview à la télévision israélienne réalisée en février 2021 après avoir quitté son poste, Yossi Cohen, patron du Mossad, a ainsi expliqué que l’agence israélienne aurait exfiltré les scientifiques qui les ont aidés vers des lieux sûrs, probablement sous de nouvelles identités. « La clé de toute opération pour faire changer d’avis quelqu’un, quelle que soit sa nationalité, est de trouver le moyen de gagner sa confiance, a-t-il dit. Que la personne ait besoin de vous. »

De quoi sentir le souffle des espions sur sa nuque. Celui que la presse internationale surnommait « l’Oppenheimer iranien » en a été victime. En 2020, le scientifique Mohsen Fakhrizadeh était assassiné en Iran en plein jour. Dans Target Tehran, un agent anonyme explique que le Mossad « respirait avec lui, se réveillait avec lui, dormait avec lui, voyageait avec lui. Ils auraient senti son après-rasage chaque matin s’il en avait utilisé. » Cette infiltration avait cours depuis longtemps.

En 2006, le Premier ministre israélien Ehud Olmert avait fait écouter au président américain George Bush un enregistrement de Fakhrizadeh à son insu. A l’époque, les autorités semblaient partagées entre le désir de soutirer le plus d’informations possibles et celui de ralentir le programme nucléaire iranien. Le Mossad aura attendu quatorze ans pour le tuer. Une enquête du New York Times démontrera que l’arme du crime et les explosifs ont été introduits en Iran en pièce détachées, avant d’être assemblés pendant huit mois par une équipe de vingt agents sur place qui suivaient chaque mouvement de Fakhrizadeh.

IA et guerre psychologique

Cette méthode d’infiltration sur le long terme ne se limite pas à l’Iran. Elle a accouché en 2024 d’une opération spectaculaire, cette fois au Liban. L’explosion de bipeurs et de talkies-walkies de membres du Hezbollah – après la création d’une fausse société de fournisseurs à Taïwan – a décapité la tête de l’organisation. L’attaque israélienne du 13 juin a elle été préparée sur trois ans selon une enquête d’Associated Press, impliquant un écosystème industriel complexe.

Elle a aussi bénéficié du bond technologique israélien. « On insiste traditionnellement beaucoup sur le renseignement humain. Mais les succès récents du Mossad s’expliquent par la manière dont ils combinent les informations recueillies avec des logiciels ultra-performants, pointe Clive Jones. Ils excellent dans l’utilisation de l’intelligence artificielle qui trie des informations croisées sur des individus ». Ces logiciels identifient des « schémas de vie », émettant des hypothèses sur les déplacements des personnes surveillées. « Ce n’est pas un hasard s’ils ont pu attaquer autant de cibles simultanément au Liban ou en Iran. L’IA organise la masse de renseignement accumulée », poursuit le spécialiste.

Ce 23 juin, un enregistrement audio révélé par le Washington Post a dévoilé un appel passé par un agent israélien à un général iranien la nuit des bombardements. L’espion conseillait, menaçant, à un militaire visiblement hébété de fuir le pays avant d’être tué. Plusieurs appels étaient passés au même moment à d’autres gradés. « La manière dont on utilise le renseignement est encore plus importante que le renseignement lui-même, a dit Yossi Cohen en 2021. Il était crucial d’envoyer un message clair aux Iraniens ». A savoir : montrer la pénétration des services secrets israéliens au coeur du régime. La doctrine n’a pas changé.



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Author : Alexandra Saviana

Publish date : 2025-06-29 15:00:00

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