Peu disert ces deux dernières décennies, Dominique de Villepin orchestre depuis quelques mois son grand retour sur le devant de la scène politique. L’ancien Premier ministre de Jacques Chirac laisse même entrevoir sans ambages des ambitions élyséennes. L’impression se renforce fin juin, lorsqu’il annonce la création de La France humaniste, un nouveau parti politique, dont il sera le chef, et qui a tous les airs d’une rampe de lancement pour la présidentielle de 2027. Dare-dare, les observateurs de la vie politique ne tardent pas à établir des comparaisons avec En Marche ! de 2016 ou Reconquête ! de 2022. Deux autres formations politiques mises en route avec comme principal, sinon unique objectif d’installer leur fondateur au 55 rue du Faubourg Saint-Honoré.
Cette typologie de partie, différente à bien des égards de celle observée tout au long du XXe siècle, a été identifiée dès l’an 2000 par le politologue italien Mauro Calise. Dans son ouvrage Il partito personale. I due corps del leader (Laterza), l’enseignant en Sciences politiques à l’université Frédéric II de Naples dresse le portrait du « partito personale » (en français, le parti personnel). Un modèle pensé pour porter en très peu de temps au pouvoir leur fondateur, et qui, longtemps avant d’être repris par Emmanuel Macron en 2016, a été conceptualisé par un certain… Silvio Berlusconi au début des années quatre-vingt-dix, époque de fortes secousses pour la vie politique italienne enkystée dans une crise politico-judiciaire.
Quand Silvio Berlusconi réinvente le parti politique
De la démocratie chrétienne au Parti communiste et socialiste en passant par le Parti libéral italien, les partis politiques historiques s’effondrent sur l’hôtel de l’opération « Mains propres », vaste enquête judiciaire lancée en 1992 qui révèle l’ampleur de la corruption politique en Italie. Magnat des médias bien identifié et populaire, Silvio Berlusconi comprend alors qu’un espace politique s’ouvre. « En quelques semaines, il parvient à rassembler communicants, intellectuels, responsables de sensibilités diverses, et annonce le lancement Forza Italia« , se souvient Marc Lazar, professeur émérite d’histoire et de sociologie à Sciences Po et auteur de L’Italie à la dérive : le moment Berlusconi (Perrin).
Nous sommes en janvier 1994. Trois mois plus tard, Forza Italia remporte les élections parlementaires avec 42,8 % des suffrages exprimés. « Deux mois après ses débuts en politique, le milliardaire des médias Silvio Berlusconi a mené les forces de droite à une victoire sans précédent », écrit alors le Los Angeles Times. Bleu dans l’arène politique, Silvio Berlusconi devient alors président du Conseil. La fulgurance de son triomphe est inédite. L’architecture du véhicule qui l’y a conduit, aussi. « Le mode et le moment de son entrée dans l’arène politique ont été totalement exceptionnels. La structure organisationnelle et la culture politique de Forza Italia étaient elles aussi inédites », explique le politologue Francesco Raniolo dans son article Forza Italia : A Leader with a Party, publié dans la revue South European Society and Politics.
Forza Italia, parti politique ou entreprise privée ?
À l’époque, la singularité de Forza Italia tient de son fonctionnement centralisé autour de Silvio Berlusconi. « C’est un parti qui entièrement dépendant de son leader », confirme Marc Lazar. Cette logique d’hyper-personnalisation, mêlée à un usage stratégique des outils de communication et de gestion issus du monde de l’entreprise, a conduit certains chercheurs à théoriser l’émergence du « parti-entreprise ». « Il s’agit d’un parti qui fonctionne ou prétend fonctionner comme une entreprise, et qui serait appendice d’une entreprise économique déjà constituée – les premiers cadres de Forza Italia émanaient de Fininvest et de Mediaset, et les groupes de supporters partisans étaient calqués sur ceux de l’AC Milan dont il était le président », abonde Michel Offerlé, professeur à l’ENS de Paris et auteur de l’ouvrage Les partis politiques (PUF, 2022).
S’il dispose d’un véritable programme de modernisation et de rupture – libéralisme économique et politique, réforme des institutions, fierté nationale -, Forza Italia n’a pas vocation à devenir un laboratoire d’idées, ni une structure défendant un système de pensées à l’instar du Parti communiste ou du parti libéral italien. « Forza Italien ne s’active véritablement que lorsque Berlusconi en a besoin pour gagner des élections nationales. L’échelon local, lui, ne l’intéresse guère : il s’y implique peu, voire pas du tout – une approche qui n’est pas sans évoquer celle d’Emmanuel Macron », sourit le politologue Marc Lazar.
À l’image de Forza Italia, En Marche !, Reconquête et désormais La France Humaniste, ne sont pas nés de volontés agrégées d’une multitude d’acteurs désireux de voir triompher un système de pensées, mais de l’ambition personnelle d’un homme de devenir le primus inter pares. Rien à voir avec le parti politique traditionnel tel que défini en 1966 par les politologues Joseph Lapalombra et Myron Weiner comme « une organisation durable, dont l’espérance de vie politique est supérieure à celle de ses dirigeants ; une organisation locale bien établie et durable ; la volonté délibérée des dirigeants nationaux et locaux de l’organisation de prendre et d’exercer le pouvoir, seuls ou avec d’autres ; le souci, enfin, de rechercher un soutien populaire à travers les élections ou de toute autre manière ».
Des difficultés inhérentes aux partis personnels…
Si les « partis personnels » savent être de redoutables machines électorales, leurs rouages se grippent vite. Sitôt le scrutin passé, ils se heurtent quasi-systématiquement aux mêmes difficultés : implantation locale faible voire inexistante, démocratie interne fragile, et le chef comme seul porte-parole du parti ou presque. Résultat, leur durée de vie se trouve indexée sur celle de leur leader. « Peu s’aventurent à parier sur la pérennité de Renaissance après 2027, ni sur celle de La France insoumise une fois Jean-Luc Mélenchon définitivement retiré de la vie politique. Quant à Reconquête, le mouvement a rapidement perdu de l’altitude après l’échec d’Éric Zemmour à la présidentielle de 2022 », note Luc Rouban auteur du Paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018).
Pour le politologue et enseignant à Sciences po Paris Bruno Cautrès, cette fragilité tient d’abord à l’absence de socle idéologique : « Seul un corpus clair fidélise les militants, facilite la relève par les élus locaux et offre une boussole commune, permettant à chacun de s’inscrire dans un combat qui dépasse la personne momentanément à la tête du parti. » Mais également à la place centrale qu’occupeson fondateur : « Dans ces partis, tout repose sur le charisme de son leader ; une fois que celui s’envole, il ne reste plus rien ». L’exemple de Forza Italia, qui a survécu au décès de son fondateur en 2018, permet toutefois une nuance.
Alors que nombreux prédisaient l’effondrement de Forza Italia après la disparition de son chef, ses résultats électoraux commencent à remonter, et bien qu’elle soit marginale, le parti maintient sa place au sein de la coalition gouvernementale conduite par Giorgia Meloni de Fratelli d’Italia. « Il est d’ailleurs fort probable que Renaissance termine après le départ d’Emmanuel Macron de l’Elysée, avec un poids électoral comparable à celui de Forza Italia, en stabilisant sa base autour de 8 à 10 % de l’électorat », estime le politologue Marc Lazar. Contrairement à ce que nous enseigne la thèse de Mauro Calise, les partis personnels ne seraient donc pas nécessairement condamnés à disparaitre avec leur créateur. Il pourrait en revanche contribuer à accélérer leur chute.
… qui finissent par fragiliser la légitimité de leur fondateur
Pensés à leur création comme des fers de lance, ces partis politiques peuvent se muer en véritables boulets pour leur fondateur. L’incapacité d’implanter son parti localement, qui se traduit par des défaites successives aux scrutins intermédiaires, a par exemple participé à éroder la légitimité politique d’Emmanuel Macron. Au sein même de Renaissance, la personnalité du président de la République est contestée. Et le parti qui l’a conduit au pouvoir ne manque pas de lui rappeler épisodiquement. Comment en omettant de publier ses réseaux sociaux des extraits de sa grande messe du 13 mai dernier. Camouflet qui aurait passablement irrité le locataire de l’Elysée.
Directeur de recherche au CNRS, Luc Rouban décrypte : « Plus un parti dépend exclusivement de son leader, plus chaque revers électoral du parti se transforme en contestation de sa légitimité à gouverner ». En ce sens, l’histoire de Forza Italia était annonciatrice puisque ses faiblesses structurelles ont contribué à l’érosion de la légitimité de Silvio Berlusconi. Faute de réseau local suffisamment dense, Forza Italia perd six régions entre 2003 et 2005. En outre, la « fixation pathologique » sur le chef, selon la formule du politologue transalpin Francesco Raniolo, bloque toute succession ; chaque vacance ouvre une crise d’autorité et alimente le discours d’illégitimité. Lorsque survient la crise de la dette, l’absence de réseau partisan dense laisse le Cavaliere sans bouclier et précipite son départ de Palazzo Chigi en novembre 2011.
Est-ce pour autant suffisant pour présumer du destin de la nouvelle entreprise politique de Dominique de Villepin ? « Tout d’abord, nous n’avons, à ma connaissance, pas de détails qui permettent de considérer qu’il s’agit là d’une véritable organisation politique prévue pour une élection », pose, prudent, Dominique Reynié, professeur à Sciences po et directeur général de la Fondapol, qui interroge : « Un mandataire financier a-t-il été par exemple nommé ? » Si toutefois, La France Humaniste venait à se structurer en vue d’une campagne électorale, « ce parti, à l’image d’En Marche ! avec Emmanuel Macron ou de Reconquête avec Éric Zemmour, existera avant tout à travers la personne de Dominique de Villepin, sa silhouette et ses apparitions médiatiques. Il y a donc fort à parier qu’elle rencontre les mêmes difficultés que tous ces autres partis personnels », estime Bruno Cautrès. Voilà l’ancien ministre des Affaires étrangères prévenu.
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Author : Ambre Xerri
Publish date : 2025-06-29 05:45:00
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