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Que va faire l’ayatollah Khamenei ? Les scénarios de l’après-guerre entre Israël et l’Iran

Que va faire l’ayatollah Khamenei ? Les scénarios de l’après-guerre entre Israël et l’Iran

Il est encore plus redoutable lorsqu’il est acculé. L’histoire dira si l’ayatollah Ali Khamenei, au pouvoir depuis trente-six ans, prendra à un moment sa revanche sur Donald Trump et Benyamin Netanyahou à l’issue de cette « guerre des douze jours », où le régime iranien est apparu littéralement dépassé dans tous les compartiments militaires par l’axe israélo-américain.

Alors que le cessez-le-feu est entré en vigueur le 23 juin, l’Iran doit dans un premier temps panser ses plaies. Le Guide suprême a beau vanter la victoire de la République islamique, les opérations « Rising Lion » puis « Midnight Hammer » restent une humiliation pour le régime face à ses ennemis jurés. Dans cette guerre à sens unique, l’Iran a assisté passivement à l’élimination d’une partie de l’état-major des Gardiens de la révolution jusque dans leur chambre à coucher, mais aussi à la domination absolue des avions de Tsahal dans le ciel de Téhéran ainsi qu’au déclin sévère de ses capacités balistiques et nucléaires. « Si nous n’avions pas notre système de défense, l’Iran aurait pu faire des milliers de morts en Israël, tempère une source diplomatique israélienne sous le sceau de l’anonymat. Nous pensions toutefois qu’ils seraient beaucoup plus précis dans leurs frappes. L’Iran n’est pas la puissance qu’il croyait être. »

Au cœur du conflit, la riposte extrêmement limitée de l’Iran – dont l’illustration parfaite a été l’attaque « de façade » de la base américaine au Qatar – a nourri les spéculations d’effondrement du régime à Téhéran. Mais Israéliens comme Américains n’ont pas voulu aller jusqu’au bout, de peur de s’engager dans un bourbier militaire aux conséquences très incertaines. « Ce n’est pas à Israël de mettre de l’ordre en Iran », explique encore cette source diplomatique israélienne.

Ali Khamenei refuse de capituler

Aujourd’hui, le régime des mollahs, bien qu’impopulaire et déliquescent, tient encore debout. Mais jusqu’à quand ? Le Guide suprême de 86 ans, à la santé précaire, serait toujours terré avec ses proches dans un bunker ultra-sécurisé au nord de Téhéran, selon des sources iraniennes. Par peur d’être encore ciblé par les maîtres espions du Mossad, il aurait cessé toute communication électronique et ne transmettrait ses ordres à ses commandants que par un intermédiaire de confiance. Après plusieurs jours d’absence depuis la fin de la guerre, le Guide suprême est réapparu dans une vidéo le 26 juin pour faire taire les rumeurs sur une éventuelle vacance du pouvoir : Israël a, selon lui, « failli s’effondrer » et les Etats-Unis ont reçu une « gifle cinglante » de l’Iran qui menace de frapper à nouveau les bases américaines…

Un discours très déconnecté de la réalité, qui vise à montrer sa détermination à ne pas renoncer dans son combat contre l’Occident. « Toute sa stratégie a laissé l’Iran en guerre, sans défense, isolée et appauvrie. Mais c’est un régime très résilient qui vit sous sanctions depuis des décennies et qui continuera de mener ce qu’il appelle l’axe de résistance », juge Paul Salem, vice-président du Middle East Institute à Washington.

S’il fallait une preuve, son parcours personnel parle pour lui. Depuis les années 1960, Ali Khamenei vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, que ce soit lorsqu’il participe à des activités secrètes contre le shah d’Iran pour lesquelles il a été torturé ou lorsqu’il survit à une tentative d’assassinat dans une mosquée, orchestrée par le mouvement révolutionnaire des Moudjahidin du peuple iranien et le groupe Forqan. Deux de ses grandes influences idéologiques – Navvab Safavi, le fondateur des Fedayin de l’islam, un militant apocalyptique et antisémite ayant diffusé la théorie complotiste du « pouvoir du sionisme », et Sayyid Qutb, écrivain égyptien et figure majeure des Frères musulmans – lui ont aussi inculqué une vision radicale incompatible avec toute idée de capitulation.

Un régime très résilient

La Constitution de la République islamique d’Iran, qui date de 1979, permet aussi à Ali Khamenei de concentrer d’immenses prérogatives entre ses mains. Il dirige les forces armées iraniennes en tant que commandant en chef et exerce une autorité suprême sur les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. En clair, un pouvoir absolu. Il est aussi le « Vali Faqih », soit le plus haut garant de la foi chiite.

Dans la tête de Khamenei, ne pas renoncer ne signifie pas penser à l’après. Face à la perspective d’être éliminé, le leader iranien aurait déjà désigné trois hauts dignitaires religieux pour lui succéder en cas d’assassinat ou de décès. Son fils, Mojtaba a fait un temps figure de favori mais n’a pas de légitimité religieuse. D’autres noms reviennent régulièrement dans le cercle des mollahs : l’ayatollah Sadeq Larijani, président du Conseil de discernement en Iran et très proche de Khamenei, mais aussi l’ayatollah Alireza Arafi, qui fait partie de la très stratégique Assemblée des experts, composée de 88 membres de juristes et religieux élus pour huit ans. Celle-là même qui est censée désigner le nouveau Guide suprême en cas de décès. « Ils ont un plan B si le guide vient à disparaître. Ils vont rapidement combler le vide », assure Ali Ghanbarpour-Dizboni, directeur du programme d’études militaires et stratégiques au Collège militaire royal du Canada.

Les Gardiens de la révolution, le bras armé de la République islamique d’Iran, sont l’exemple criant de cette perpétuation du régime : à chaque haut gradé éliminé, un autre est immédiatement nommé à sa place. « Ce n’est pas ce que l’on appelle un ‘régime à une balle’, c’est-à-dire un système dont la chute dépend uniquement de l’élimination d’un seul homme », pointe Bernard Haykel, professeur au département des études proche-orientales à l’université de Princeton aux Etats-Unis. Mais comme à chaque grande crise internationale que traverse la République islamique, deux lignes s’affrontent au sein du régime. « Les réformateurs sont un clan mafieux et affairiste, favorables à une ouverture à l’Occident et aux partis d’opposition – y compris monarchiques et libéraux. En face, il y a les conservateurs qui croient à l’apocalypse et au grand affrontement contre les forces du mal », relève Emmanuel Razavi, journaliste spécialiste de l’Iran et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.

Une répression féroce

Avant même l’annonce du cessez-le-feu, certains Iraniens, contactés par L’Express, confiaient déjà leur crainte – une « peur absolue » pour reprendre l’expression de l’un d’eux – de voir, une fois la fin des hostilités, le régime se maintenir. Et surtout se radicaliser, en usant de moyens de répression tristement familiers à la population. Les Iraniens n’ont rien oublié de la réaction des autorités locales lors des manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini en septembre 2022. Plus de 500 personnes avaient été tuées lors de ces mobilisations.

Aujourd’hui, le régime a déjà lancé une nouvelle chasse aux « traîtres », ceux qui auraient contribué de près ou de loin à l’offensive israélienne en prêtant main-forte aux services secrets israéliens. En milieu de semaine, les médias d’Etat avaient annoncé l’arrestation de 700 personnes – plus de 900, selon l’ONG Iran Human Rights – poursuivies pour « espionnage ». Au moins six personnes ont été pendues pour ce motif depuis le 13 juin, date des premières frappes israéliennes en Iran. Et le pouvoir a promis d’accélérer les procès après l’offensive de l’Etat hébreu. « C’est une vague de répression sans précédent », souligne la sociologue Mahnaz Shirali, en contact elle aussi avec de nombreux jeunes Iraniens sur place. Certains étaient ravis de l’humiliation infligée à la République islamique car ils étaient choqués de voir leur richesse gaspillée avec les proxys et, aussi, dans le financement de ce projet d’arme atomique », pointe l’auteure de Fenêtre sur l’Iran : le cri d’un peuple bâillonné.

De plus en plus d’Iraniens songent donc à quitter le pays. « Beaucoup de mes amis veulent maintenant immigrer, témoigne Laleh*, ingénieure basée à Téhéran contactée sur Instagram. « L’idée de partir était aussi déjà dans un coin de la tête de Mohammad*, un autre trentenaire de la capitale : il en fait désormais un véritable « objectif » pour sa compagne et lui. Il leur faudra d’abord passer des concours de langue dans l’espoir d’obtenir un visa pour l’Australie, le Canada, voire l’Angleterre. Les Etats-Unis ne sont plus une option depuis que Donald Trump a décidé d’interdire aux ressortissants iraniens, et ceux de 11 autres pays, d’entrer sur le territoire américain. Reste l’aspect financier : avec leur économie en berne depuis des années, beaucoup d’Iraniens n’ont plus les moyens de prendre le chemin de l’exil. A contrario, « cette caste ne manque de rien, elle est immensément riche. Les actifs sur lesquels règne le guide Ali Khamenei sont estimés à près de 95 milliards de dollars », détaille Emmanuel Razavi.

Sortir du traité de non-prolifération ? Le pire des scénarios

Des sommes colossales qui ont notamment permis à la République islamique d’accélérer le développement de son programme nucléaire iranien, commencé sous le shah, après la guerre Iran-Irak dans les années 1980. La clef de la survie du régime. Après les frappes américaines, le président Donald Trump s’était targué d’avoir « complètement et totalement anéanti » les capacités nucléaires de l’Iran. Le 26 juin, Rafael Grossi, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a déclaré que les centrifugeuses de l’installation d’enrichissement d’uranium de Fordo, située en profondeur, n’étaient « plus opérationnelles », mais juge « excessif » de prétendre que le programme nucléaire iranien était « anéanti ». La veille, le directeur de la CIA estimait que les frappes l’avaient « gravement endommagé ».

Pour confirmer ces premières observations, il faudra encore attendre les conclusions des différentes agences de renseignement occidentales. Mais selon de nombreux experts, les dégâts très importants perçus dans les trois principaux centres – Nantaz, Ispahan et Fordo – ne vont pas annihiler la capacité de l’Iran à remettre sur pied le programme nucléaire dans les mois ou années à venir.

Désormais, la question qui obsède les experts de la prolifération nucléaire est de savoir où sont passés les 400 kilos d’uranium enrichi que Téhéran pourrait avoir déplacé avant les frappes. « L’Iran a passé six ans à refuser de coopérer avec l’AIEA, à dissimuler des informations, à nettoyer des sites pour effacer des preuves », déplore David Albright, président de l’Institute for Science and International Security. Faute d’accord contraignant, la République islamique pourrait adopter la même attitude à l’avenir. Le 26 juin, le ministre iranien des Affaires étrangères a affirmé qu’il n’existait, à ce stade, aucun plan pour une reprise des négociations sur le nucléaire. L’exact inverse de Donald Trump, persuadé qu’un accord pourrait arriver sur la table très prochainement.

Reste l’option pour l’Iran de sortir du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). « Le pire scénario », selon Emmanuel Macron qui continue activement à vouloir jouer le facilitateur entre Iraniens et Américains. Si Ali Khamenei décidait de quitter le TNP afin d’accélérer ses travaux sur une arme nucléaire à l’abri des regards indiscrets, « cela donnerait à Israël une raison supplémentaire pour intervenir militairement de nouveau », tance David Albright. Avec la crainte d’une « guerre d’usure » au Moyen-Orient qui s’étale dans la durée. « Israël pense que l’Iran a besoin d’une pause pour reconstituer ses stocks de missiles. Mais je pense que l’Etat hébreu reprendra ses attaques contre le régime dans les mois à venir. La guerre n’est pas terminée », prédit l’expert de la région, Paul Salem. Et cela risquerait même d’engendrer l’effet inverse, en accélérant la course de l’Iran vers l’arme nucléaire.

* Les prénoms ont été modifiés.



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Author : Charles Carrasco

Publish date : 2025-06-29 08:22:00

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