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Soigner par la lumière, remède de charlatans ou espoir scientifique ? Ce qu’en disent les experts

Soigner par la lumière, remède de charlatans ou espoir scientifique ? Ce qu’en disent les experts

Les caméras filment la chambre stérile, et derrière la vitre de protection, les écrans de contrôle clignotent, prêts à afficher le pouls du patient. En ce début du mois de juin, aucun malade ne se trouve sur la table d’opération du bloc expérimental de Clinatec, mais c’est tout comme : l’établissement, éminent centre de recherche basé à Grenoble, organise une démonstration de ses installations, une façon de faire connaître ses nouveaux objectifs de recherche.

Après avoir mis au point des appareils de stimulation cérébrale profonde, de petites électrodes qui envoient des décharges à l’intérieur du cerveau pour réduire les symptômes de Parkinson, les scientifiques grenoblois visent désormais beaucoup plus haut, et souhaitent le faire savoir, pour continuer à obtenir des financements. L’établissement, qui puise ses fonds dans le mécénat, espère tout bonnement « guérir » cette maladie dégénérative, qui touche 25 000 personnes chaque année.

Pour réaliser un tel exploit, le laboratoire mise sur une technologie peu impressionnante, du moins au premier abord : il s’agit de simples diodes électroluminescentes (LED), semblables à celles que l’on trouve dans le commerce, à ceci près qu’elles sont plus précises et miniaturisées. Placés en profondeur dans le cerveau à l’aide de bras robotiques et d’IRM ultra-performants, ces dispositifs doivent illuminer à intervalles réguliers les neurones des malades. De quoi, selon les chercheurs, modifier l’activité de leurs cellules, une technique appelée « photobiomodulation ».

Ce type de technologie, facile à produire, et basée non pas sur la chimie mais sur les photons (la lumière), suscite un enthousiasme grandissant ces dernières années. Exposées à certains rayons lumineux visibles à l’œil nu, les cellules malades semblent retrouver de la vigueur, comme si elles étaient dopées. Le principe a déjà fait ses preuves pour aider la peau et les muqueuses à cicatriser. De plus en plus de scientifiques, à l’image de ceux de Clinatec, le pensent applicable à de bien plus nombreuses maladies.

Des « bains de lumières » au coin de la rue

Plus de 400 études sont en cours selon le site ClinicalTrial.gov, dont une cinquantaine en phases 2 et 3, sur l’Homme, donc. Avec des cibles thérapeutiques aussi diverses que la neurodégénérescence, les troubles psychiatriques, la douleur, ou encore les problèmes articulaires. Les résultats ne sont pas encore disponibles, ce qui n’a pas empêché certains entrepreneurs peu scrupuleux de se lancer sans attendre : centres de « soin », cabinets « spécialisés », Ehpad, clubs de sport… De nombreux établissements proposent déjà des « bains de lumière » pour le visage, la tête, ou le corps entier, dans l’espoir d’améliorer la performance, de prévenir les rides ou de ralentir le vieillissement, en plus de guérir les maladies.

Le phénomène est tel que les chercheurs de Clinatec sont désormais obligés d’inonder leurs interlocuteurs de données à chaque présentation, de peur de ne pas paraître assez scientifiques. « Nous ne voulons pas passer pour des charlatans. Il y a en ce moment de très nombreux thérapeutes et industriels qui se revendiquent de la photobiomodulation, mais qui n’ont rien à voir avec la recherche. A cause d’eux, on peine à être pris au sérieux », confie Laurent Hérault, directeur du fonds Clinatec, devant une maquette explicative.

Pour le moment, et malgré une dizaine d’années de recherche sur l’animal, Clinatec n’est pas en mesure d’affirmer que son implant fonctionne. Mais les premiers essais sur l’homme, entamés en 2021, ont tout de même déclenché quelques frissons. Eclairés de l’intérieur, les malades opérés par le Pr Stephan Chabardès, le neurochirurgien de l’équipe, ont vu leurs capacités cognitives progresser au cours du temps. L’aspect de leurs cellules s’est aussi amélioré. Du jamais-vu : jusqu’ici, la maladie n’avait jamais été ne serait-ce que ralentie par les médicaments. Si l’équipe de Stephan Chabardès arrive à démontrer qu’elle agit sur Parkinson, elle pourrait ouvrir la voie à ce type d’opération pour Alzheimer ou d’autres maladies neurologiques. Une petite révolution en perspective, à condition que les recherches aboutissent.

Une découverte fortuite

Contrairement à de nombreux médicaments, élaborés sur la base d’avancées fondamentales, la lumière s’est frayé un chemin sur le tas, petit à petit. Les effets stimulants des photons sur les cellules ont été découverts par hasard, en 1967, lors d’une expérience ratée. A l’époque, les lasers inondent le marché. Les scientifiques s’interrogent sur la possibilité de les utiliser pour tuer certaines cellules, comme les tumeurs malignes. Un médecin hongrois, André Mester, se met en tête de fabriquer ses propres appareils. Il se trompe dans les réglages ; ses faisceaux lumineux s’avèrent de bien moindre intensité. Grâce à cette erreur, il se rend compte d’une chose : avec ce type de lumière, de « basse énergie », les cellules ne meurent pas, elles fonctionnent mieux.

Sur les souris, l’effet est radical, leur pilosité augmente, leur vivacité aussi. S’ensuit pourtant une longue période durant laquelle ses travaux, publiés dans la revue scientifique American Journal of Surgery, tombent aux oubliettes. Dans les années 2000, nouvelle observation fortuite : à force d’utiliser les LED tout juste arrivés sur le marché pour faire pousser des plantes dans l’espace, la Nasa se rend compte que les astronautes exposés ont moins de problèmes de cicatrisation, un des effets délétères des séjours en orbite.

Les nouvelles LED développées à cette époque, qui n’ont cessé de se perfectionner depuis, permettent de contrôler la couleur exacte des lumières, la fréquence et la durée d’exposition. De quoi standardiser les expériences, et poser les jalons des premiers essais. En parallèle, les avancées de la biologie moléculaire permettent de comprendre ce qui se passe dans les cellules. Curieusement, celles-ci ont des récepteurs à photons, et sont donc capables de réagir à la lumière. Elles peuvent même en émettre, à de très faibles quantités, une compétence présente au tout début de l’évolution, chez les bactéries, et conservée depuis. Lorsqu’elles sont exposées, les cellules malades arrivent plus facilement à travailler et à produire de l’ATP, leur carburant. Il a également été montré que l’inflammation dans les zones exposées était moindre.

Les cellules, capables de produire de la lumière

Encore aujourd’hui, les chercheurs ne sont pas en mesure d’expliquer exactement ces processus, ce qui freine les recherches pour d’autres applications que la cicatrisation. Ultra-spécialisé dans l’analyse moléculaire, le CHU de Tours a signé, mi-juin, un contrat avec Clinatec pour des recherches sur le sujet. « Nous sommes au début d’une belle histoire, mais pour le moment, nous allons devoir détailler les effets de la lumière sur les différents composants de la cellule, sur ses gènes, mais aussi son métabolisme, sa capacité à produire des protéines, en fonction de la longueur d’onde », relate Olivier Hérault, le scientifique chargé de ces travaux.

Ces recherches doivent également déterminer la quantité de photons à administrer, la « posologie » de ce type de traitement. Sans, impossible de dire avec certitude ce qui va marcher, et ce qui n’aura aucun effet. Le phénomène est plus capricieux qu’il n’y paraît. Certaines longueurs d’onde ne font rien. D’autres ont l’effet inverse de celui recherché : elles peuvent perturber certains mécanismes cellulaires. Aussi, les scientifiques ignorent le nombre précis de photons qui traverse la peau, dans les différentes parties du corps.

Autant d’incertitudes empêchent d’extrapoler les effets observés. Certaines cibles thérapeutiques semblent toutefois être en bonne voie. Utiliser la lumière contre les atteintes des nerfs causées par les traitements anticancer ou contre certaines douleurs chroniques, comme la fibromyalgie, semble soulager les patients, et des recherches sont en cours en France pour le démontrer. D’autres voudraient agir sur le microbiote, et même la dépression, où le métabolisme de la cellule et ses performances sont très impliqués.

Le Paris Saint-Germain, et même l’équipe de France

La photobiomodulation pourrait aussi être utile à la récupération après des chocs à la tête, selon la littérature scientifique. Le neurologue Jean-François Chermann, spécialiste des commotions, et Philippe Malafosse, médecin du club de rugby de Montpellier ont lancé une étude pour intégrer la lumière dans les protocoles en vigueur pour ce type d’incidents. Les résultats de ces travaux ne devraient pas arriver avant 2026. Mais déjà, la sélection nationale de football ou encore le Paris Saint-Germain se sont procuré des LED.

Les promesses ne s’arrêtent pas à la simple pratique sportive. L’entreprise canadienne Vielight, très active en Amérique, vend ainsi réduction de stress, amélioration de la mémoire et clarté mentale. Un « boost de performance » et de « bien-être cérébral », en somme. La réalité est un peu moins vendeuse : une grande partie des études sur lesquelles l’entreprise s’appuie sont financées et dirigées par ses salariés puis publiées dans des revues de seconde zone. Comme ces travaux parus en 2017 dans Photomedicine and Laser Surgery qui ne comportent ni patients témoins, ni tirage au sort, des modalités pourtant essentielles pour éviter les faux résultats positifs.

Contacté, Vielight assure que la littérature scientifique est suffisante pour faire des allégations aussi alléchantes. L’entreprise cite aussi les performances des Cougars, l’équipe de football de l’université américaine de Brigham Young, équipée d’un de leurs dispositifs, et en progression dans le classement cette saison. « On va publier un article scientifique qui le démontre dans les mois à venir, mais nous sommes très fiers de ce résultat, ce n’est pas un hasard si les sportifs l’utilisent », soutient le fondateur de Vielight, Lew Lim.

Des revendeurs pas très regardants

Si l’entreprise est surtout active outre-Atlantique, un certain Didier Silva se présente dans les médias comme le responsable de son développement en Europe. Dans ses communiqués, dont l’un a fini dans la boîte mail de L’Express, il vend les casques de photobiomodulation comme une « innovation révolutionnaire », une méthode « efficace » et « sûre », même sur les maladies neurodégénératives. L’homme, qui pratique la photobiomodulation, semble en réalité affabuler sur son rôle : selon Vielight, il ne s’agirait en réalité que d’un simple revendeur. Didier Silva n’a pas répondu à nos sollicitations.

L’entrepreneur n’est pas médecin, mais « naturopathe ». Il pratique la photobiomodulation au « centre européen du cerveau et de la mémoire », un « institut de santé » qu’il a fondé, basé à Mées, dans les Landes. Sur son site Internet, il prétend avoir guéri d’une maladie grave en arrêtant les traitements conventionnels. En plus des produits Vielight, qu’il commercialise deux fois plus cher, il préconise pour se soigner « ReCode », un programme américain basé sur des suppléments alimentaires et de l’exercice. Il n’existe aucune preuve des vertus thérapeutiques de ce protocole dans la littérature.

L’affaire illustre à quel point il est facile de se faire piéger dans les méandres du business de la photobiomodulation. « Il y a des cabinets où il y a zéro professionnel de santé, d’autres qui vous promettent la lune. C’est dangereux, car il y a des risques. On ne peut pas l’appliquer sur des peaux cancéreuses, par exemple, car la tumeur va se développer plus vite. Les personnes épileptiques peuvent aussi subir des crises à cause des flashs lumineux. Ce n’est pas magique, il y a un vrai protocole à respecter, et cela ne va pas marcher pour toutes les maladies, loin de là », précise Camelia Billard-Sandu, cheffe du département de radiothérapie à Gustave-Roussy, le premier centre européen de traitement des cancers, basé à Villejuif.

Si de nombreux médecins se sont déjà équipés d’appareils pour les indications démontrés, la cicatrisation de la peau et des muqueuses, la plupart des structures spécialisés qui fleurissent ces derniers temps ne se fondent sur aucun résultat probant. Il en va ainsi pour les lampes à led « corps entier », un reliquat de cabines à UV des années 1990, mais qui ne diffusent que de la lumière. « Pour le moment, nous ne sommes que trois en France à pouvoir réaliser ce type de traitement », illustre Jean-Philippe Wagner. Ce cancérologue, spécialiste de la douleur, a investi de plus de 200 000 euros pour être à son compte. Il en est persuadé : à l’avenir, de plus en plus d’institutions spécialisées devraient voir le jour, un peu à la manière des cabinets de radiothérapie.

Pour limiter le risque de mauvaises manipulations, le CHU de Montpellier et l’hôpital Gustave-Roussy ont lancé un diplôme universitaire en 2020. A Gustave-Roussy, l’affluence est en constante hausse : elle est passée de 8 à 40 médecins formés chaque année. Idem pour les manipulateurs et les infirmiers, autorisés depuis 2022 à pratiquer notamment pour la cicatrisation de la peau et des muqueuses : « Nous sommes passés de 17 à 140 élèves chaque année », relate Camelia Billard-Sandu. L’engouement est grand, même chez les professionnels de santé. Mais, signe qu’il va falloir encore un peu de patience, ces soins ne sont toujours pas remboursés par l’Assurance-maladie.



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Author : Antoine Beau

Publish date : 2025-06-30 12:08:00

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