« Faut qu’on prépare le prochain décennat ! » Dans ce clair-obscur élyséen surgit un rire, celui de l’auteur de la plaisanterie, qui aime autant l’humour que le pouvoir. Emmanuel Macron peut-il faire autrement ? A mesure que les jours et les années filent, l’histoire de ses deux quinquennats paraît si facétieuse. Se remémorant une fois encore les conditions dans lesquelles François Bayrou s’est imposé à Matignon six mois après une stupéfiante dissolution, un conseiller du chef de l’Etat philosophe : « La fiction aurait été bien en dessous de la réalité. » Alors, rions ! Et pendant que le président badine sur son avenir et 2032, autour de lui, on barguigne : comment compte-t-il occuper les deux ans restants ? Même le monde ne l’aide pas : remis en selle par l’élection de Donald Trump, il devient aujourd’hui commentateur de la crise iranienne. Regarder passer les bombes…
« Bayrou ne fait même pas ce que je lui demande »
Non ! Agir plutôt que subir, B.A.ba macronien. Mais voilà que depuis décembre, Emmanuel Macron se sent entravé. Il a trouvé un nom à son empêchement : François Bayrou. « Il ne fait rien ! », peste-t-il. « Raison de plus pour le garder », rétorque l’ami qui, un jour de tempête, accueille l’agitation présidentielle. Tous ses interlocuteurs notent le paradoxe : comment un Premier ministre jugé statique peut-il gêner celui qui n’aime rien tant que le mouvement ? Bien sûr, le turbulent a la réponse : « Bayrou ne fait même pas ce que je lui demande. » Et étaye volontiers en brandissant pour exemple sa commande d’un plan pour financer l’effort de réarmement en mars dernier. « Les autres se réarment, il ne faut pas qu’on soit à la traîne », répète Macron en réunion. Combien de temps devra-t-il encore attendre ? A force de ne rien voir du projet de budget pour 2026, il a fini par dépêcher Emmanuel Moulin, nouveau secrétaire général de l’Elysée, auprès de certains ministres. L’heure de reprendre la main. « Bayrou n’est pas dans l’art de l’exécution », mord un conseiller de l’Elysée. S’il n’y avait que ça…
François Bayrou n’est pas dans l’art du rebond, et c’est bien ce qui ulcère plus que tout le président. Ce dernier s’échine à organiser un sommet de l’IA : 109 milliards d’euros d’investissements en France, essentiellement promis par des acteurs privés, comment ne pas parler de franche réussite, songe-t-il ? D’ailleurs, les meilleurs spécialistes de la tech le félicitent : « J’ai vu le patron d’Nvidia [NDLR : entreprise américaine qui compte parmi les leaders de la conception de puces utilisées pour l’intelligence artificielle], il me dit que c’est vachement bien ce qu’on fait, faut y aller là ! » Mais aller où, comment ? « Il n’est plus donneur d’ordres », constate placidement l’un de ses conseillers. Effroi, qui va se rendre compte de ses succès si le chef du gouvernement n’assure pas ensuite la scansion de son action ? « Clara Chappaz (la ministre déléguée à l’IA et au numérique) aurait dû faire une réunion avec le Conseil national du numérique, se faire poser une question ou deux à l’Assemblée et au Sénat », explicite-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron. Et de ChatGPT à l’écologie, il n’y a qu’un pas : le Premier ministre ne pouvait-il pas prier Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, d’annoncer dès le lendemain de l’entretien télévisé du chef de l’Etat consacré aux océans la nomination d’un commissaire chargé de la mer ?
Cruelle position que celle de monarque sans autorité, contraint d’œuvrer dans l’indifférence. De sa situation, il tire une leçon – pour l’avenir ? – qui n’arrange rien avec François Bayrou : proportionnelle ne rime qu’avec dilution du pouvoir. Lui au moins savait raison garder, qui déclarait en mai 2024 : « Si une majorité se dégage pour introduire une part de proportionnelle, oui. C’est l’engagement que j’ai pris. Je pense que ce serait bon pour la démocratie. » Une dose, pas plus. « C’est comme la vodka dans le Bloody Mary, métaphorise un macroniste historique. Trop, ça rend le truc imbuvable. » Alors, le chef grimace devant l’amère potion servie par son Premier ministre. Pour une fois que ce dernier tente quelque chose.
« Quelles sont mes options ? »
Après les grognements, la frénésie : « J’ai encore deux ans ! » Bonheur. Terreur. Il faut que la route jusqu’à 2027 se dégage, comment se débarrasser de l’encombrant ? Au téléphone, un soir, avec un intime il questionne : « Comment tu vois ce que fait François ? » Mauvaise nouvelle : « François, s’il peut durer, il durera, sinon il choisira lui-même son champ d’honneur, la date et la chute, il est trop orgueilleux pour endurer une censure, on ne censure pas Bayrou. » Que leur compagnonnage oppresse le président… Auprès de l’un de ses visiteurs, désormais, ce dernier s’inquiète : « Quelles sont mes options ? » Tête froide, le sondé expose « les quatre scénarios : la démission (de François Bayrou, bien entendu, qui peut penser à autre chose ?), le limogeage, la dissolution, la censure ». Soudain, l’explosion en songeant aux députés : « Mais pourquoi ils ne le virent pas ? »
Au printemps, nombreux sont ceux qui ont flairé chez le patron un espoir : que l’affaire Bétharram abrège ses souffrances en abrégeant le bail du locataire de la rue de Varenne. Quelques-uns, franchement stupéfaits par la violence de ses propos privés, ont été effarés d’apprendre qu’il avait adressé des SMS de soutien chaleureux à François Bayrou avant son audition par la commission d’enquête parlementaire. L’inconstance n’épargne personne, pas même les grands hommes. Puis, avant l’été, le conclave sur les retraites. Cet objet bayrouien par excellence semble de nouveau porteur d’espoir. Son allié devenu honni fera sa rentrée des classes à Pau, le chef de l’Etat le croit. Une censure lui paraît inéluctable sur ce sujet tellement irritant et diviseur, lui-même a payé pour voir. Soulagement dans le ciel azur. « Prudence, il satisfait les oppositions », préviennent les stratèges présidentiels.
Fantômes présidentiels
Alors quoi, le limogeage ? Constat sans appel de l’un de ses proches : « Emmanuel n’a pas le pouvoir politique de le congédier, il n’a déjà pas eu celui de ne pas le nommer. » Agaçante fin de règne. Comment chasser les fantômes de François Mitterrand et Jacques Chirac qui la nuit hantent le palais de l’Elysée ? Pendant ce temps-là, à Matignon, celui de Pierre Mendès France n’en fait qu’à sa tête. Ici, plus personne, pas même le Premier ministre, n’écoute Emmanuel Macron. En dehors des frontières au moins, on entend son leadership. C’est aussi ça le macronisme, refuser l’assignation à résidence. Keir Starmer et Friedrich Merz acceptent volontiers « de se mettre dans sa roue », fanfaronne-t-on à l’Elysée, oubliant un peu vite que le Britannique a salué les frappes américaines en Iran « pour atténuer la menace », tandis que l’Allemand a déclaré ne voir « aucune raison de critiquer ce qui a été fait par les Etats-Unis ».
Mais ce ne sont pas ces quelques nuances de gris qui entameront l’autorité d’Emmanuel Macron en Europe. Enfin un endroit où le quinquennat sans lendemain devient un atout ! Pas d’ego, pas de rivalité, une certitude : Starmer et Merz resteront quand le Français, bientôt, s’en ira. Le voici donc éclaireur, qui se déploie à sa guise pour renforcer la souveraineté européenne, incarner une troisième voie face aux empires américain, chinois et russe, tenter de trouver une sortie de crise pour Gaza et Israël… Vingt-cinq jours de déplacements à l’étranger entre la dernière semaine de mai et la deuxième semaine de juin, même le Groenland a eu droit à la visite de sa parka noire, il exulte : son legs sera international.
Littérature ou musique ?
Cela ne peut suffire. Il a besoin d’une reconnaissance sur ce sol, dans cette République qui s’évertue à refuser de comprendre la pertinence et le sens du macronisme. Ecrire ? Un conseil lui a été donné par un ami, Marcheur de la première heure, dans son bureau capitonné à l’Elysée. Publier, un an avant la fin, un essai doctrinal très court. Cent pages pour lutter contre « le droit d’inventaire féroce » auquel il n’échappera pas. Pas un livre-bilan ; l’exposé des défis auxquels lui, président de la République pendant dix ans, s’est frotté et qui se dressent encore devant les Français. Surtout, ne pas oublier l’humilité, l’autocritique, sans lesquelles personne n’a envie d’écouter. Est-ce de cela que le président rêve ?
Intérieur nuit en Albanie. Le faste et le folklore d’un dîner d’Etat. Un musicien s’approche d’Emmanuel Macron et lui tend un archet. La mission présidentielle ? Le tenir à la verticale devant lui et surtout, rester impassible tandis que le joueur frotte contre l’objet les cordes de ce qui s’apparente à une cithare. Seuls les convives de ces agapes ont pu observer cette scène étonnante d’un Emmanuel Macron aussi mutique qu’immobile. Plus tard dans la soirée, un invité glisse sous les yeux de l’apprenti cithariste un cliché de cet intermède musical. Sourire et commentaire de l’intéressé : « L’art de faire tout en ne faisant rien. » Oui, c’est de cela que le président rêve.
Un invité surprise à l’Elysée
Qui peut le blâmer ? Ses gesticulations, sa fougue n’interdisent pas la lassitude. Ce quinquennat a tout d’une promenade deux fois crépusculaire. Crépuscule de la réélection et sa légitimité aussitôt contestée, crépuscule de la dissolution. Même rue du Faubourg Saint-Honoré, son aura paraît amoindrie. Il en a fait l’amère expérience le 12 décembre 2024. Alors qu’il échange à une heure tardive avec Alexis Kohler, encore secrétaire général de l’Elysée, et Sébastien Lecornu sur le poste de Premier ministre dont le dernier doit hériter le lendemain, Brigitte Macron fait son entrée. La première dame a l’habitude de rejoindre son époux après ses dîners légers dans l’aile Madame. Quels étaient les hôtes du jour ? s’enquiert le chef de l’Etat. Tiphaine Auzière, la fille de son épouse, qui, pour la première fois, souhaitait rendre visite à sa mère accompagnée de Cyril Hanouna, son nouveau compagnon. Froncements de sourcils d’Emmanuel Macron, mis devant le fait accompli. Personne n’a jugé bon de le prévenir. Le sulfureux présentateur a dîné dans ce palais aux murs si peu épais pendant que le président aiguisait à cet instant précis sa stratégie pour Matignon. Et le lendemain, sur les chaînes radio et télé du groupe Bolloré, voici qu’on annonce sans modération la nomination de Lecornu. Colère froide d’Emmanuel Macron. Aurait-on oublié qui est le patron ?
Le temps des rancœurs
Que ces dernières années paraissent longues, parfois. A qui se fier quand même votre cerveau vous quitte ? Après huit ans d’un étroit compagnonnage, Alexis Kohler s’en est allé et depuis son départ en avril dernier, le chef de l’Etat se donne peu de peine pour maintenir le dialogue. Personne ne s’en étonne, ni les intimes du président ni ceux de son « double » d’hier, et un ancien ministre qui connaît aussi bien le premier que le second conclut : « Emmanuel Macron lui en veut, il pense que s’il n’était pas parti, on n’en serait pas là. » Brigitte Macron, elle, sait devant les siens relativiser : « Ils n’ont plus rien à s’apporter. » Drôle de président qui place la loyauté au centre de tout et oublie d’entretenir ses amitiés, si rares en politique.
Un clan, ça sert pourtant. Contre les attaques, contre les critiques, contre les appels à la démission qui sifflent dans la plaine politique, qui s’insurgera sinon les fidèles ? A l’Elysée et dans son entourage immédiat, on balaie la possibilité d’une démission d’Emmanuel Macron. C’est si mal le connaître… Lui qui n’abandonne jamais, se révèle quand la situation se corse, frétille devant ceux qui lui portent les coups, ne ferait jamais ce drôle de choix consistant dans son imaginaire à capituler. François Bayrou n’a pas le monopole de l’esprit de Mendès France. Non, le président ne renoncera pas. Soudain, un éminent ministre du premier et second quinquennat éclaire le présent par un rappel historique : « J’entends ‘ce n’est pas le genre de Macron, il ne fera jamais le choix de la démission’. Mais Louis XVI non plus n’a jamais voulu monter sur l’échafaud. » Peuple, je meurs innocent.
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Author : Laureline Dupont
Publish date : 2025-06-30 16:00:00
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