Il y a quelque chose de beau dans le mode de scrutin proportionnel. C’est son effet miroir. La garantie de l’équité, avec une « vraie » France envoyée à l’Assemblée nationale. C’est d’ailleurs l’argument clé brandi par les avocats de la proportionnelle, persuadés que cette juste représentation des opinions contribuera à réparer la fracture entre le peuple et les élus.
François Bayrou en rêve depuis toujours, le Rassemblement national également, Emmanuel Macron l’a plusieurs fois promise, tout comme en son temps François Hollande. François Mitterrand, lui, l’avait habilement mise en œuvre, en 1986, masquant ainsi partiellement l’échec du Parti socialiste, au prix de l’arrivée de 35 députés d’extrême droite au Palais-Bourbon.
Aventurisme politique
C’est bien là le problème de la proportionnelle, jamais exempt de tripatouillages et d’arrière-pensées politiques. Au point que la pureté de sa représentativité dissimule mal les innombrables effets de bords et chausse-trappes politiques qu’elle produit. Fin observateur, Raymond Aron assurait qu’il n’y avait pas de mode de scrutin bon ou mauvais en soi. Celui-ci, écrivait-il en 1945 « doit tout à la fois refléter les opinions du pays, faire surgir une majorité, favoriser la qualité du personnel parlementaire. S’il faut choisir, mieux vaut sacrifier l’équité de la représentation à la création d’une majorité » (« A propos de la Constitution de la IVe République », Jus Politicum, n° 23, 2019).
Ce fut le choix du général de Gaulle, qui opta en 1958 pour le scrutin majoritaire à deux tours, pourvoyeur pendant plusieurs décennies de majorités solides, gage de stabilité ministérielle. Mais depuis 2022, la machine politique est cassée : la dissolution de 2024 n’a rien arrangé, accentuant l’émiettement des forces politiques et l’instabilité gouvernementale. Pour sortir de cette impasse, il serait urgent d’adopter la proportionnelle, nous explique-t-on. Ce serait au contraire se jeter dans un aventurisme politique qui renforcerait à coup sûr les maux actuels de notre système. D’abord, parce que la proportionnelle engendre des élus apparatchiks désignés par les partis, souvent inconnus des électeurs. Si on veut couper encore un peu plus les élus des territoires, on ne pourrait pas mieux s’y prendre.
L’argument d’une représentation plus juste ne tient guère la route : la fragmentation de l’hémicycle actuel, avec un record de 11 groupes politiques, reflète déjà parfaitement la dilution de la vie politique. Veut-on institutionnaliser celle-ci ? Surtout, la proportionnelle est la promesse d’un immobilisme absolu, du fait de l’absence de majorité solide. C’est inscrire dans le marbre la méthode Bayrou, qui consiste à ne rien faire pour durer. Car les conclaves ou les réunions de chefs de partis ne font pas avancer un pays.
Michel Rocard, qui jugeait « le système proportionnel trop dangereux », avait bien résumé la faiblesse de cet esprit du compromis. « On ne combat pas le chômage par une réunion hebdomadaire des chefs de groupes parlementaires », écrivait-il dans un article au vitriol contre la proportionnelle (Le Monde, 6 avril 1985). Quarante ans plus tard, il suffit de remplacer le mot chômage par ceux de déficit public pour comprendre l’inutilité de la proportionnelle.
Source link : https://www.lexpress.fr/politique/proportionnelle-le-retour-a-la-republique-des-tripatouilleurs-par-eric-chol-LC5MEOOUNBB7TMJIFQOSI6YMMA/
Author : Eric Chol
Publish date : 2025-07-02 10:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.