« Là, où il y a des enfants, le tabac doit disparaître. Un parc, une plage, une école, ce sont des lieux pour jouer, apprendre, respirer, pas pour fumer », assurent Catherine Vautrin, ministre de la Santé et Yannick Neuder, ministre délégué chargé de la Santé. Depuis le dimanche 29 juin, allumer une cigarette à la plage « pendant la saison balnéaire », dans un parc, un jardin public ou sous un Abribus est interdit partout en France. La mesure s’applique également aux abords immédiats des bibliothèques et des équipements sportifs (stades, piscines), aux établissements scolaires et à ceux accueillant des mineurs, où il sera interdit de fumer dans un périmètre d’au moins 10 mètres.
La nouvelle signalisation, un pictogramme, sera progressivement mise en place. Toute infraction pourra être sanctionnée par une amende forfaitaire de 135 euros pouvant aller jusqu’à 750 euros. Les terrasses de cafés et de restaurants sont, elles, épargnées, tout comme les cigarettes électroniques. Si la mesure a été saluée par les chercheurs et professionnels de santé qui luttent contre le tabac, la plupart estiment néanmoins qu’elle reste insuffisante. C’est le cas du professeur Loïc Josseran, médecin chercheur en santé publique à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et président d’Alliance contre le tabac (ACT), la principale organisation antitabac. Selon lui, ce « fléau sanitaire, écologique et économique » ne profite à personne, « à part aux 23 000 buralistes français et aux industriels du tabac ».
L’Express : Estimez-vous avoir remporté une nouvelle bataille contre la cigarette ?
Loïc Josseran : On peut se réjouir de la mise en œuvre d’un texte qui sort la cigarette d’un certain nombre d’endroits et qui « dénormalise » son image. Car le tabac n’est pas indispensable à une vie sociale normale. C’est une bonne chose que les citoyens puissent en prendre conscience. On évitera peut-être des feux de forêt et on limitera la pollution des mers et rivières, car les cigarettes sont le premier déchet plastique des océans. En se décomposant, elles se transforment en microplastiques qui pénètrent la chaîne alimentaire. Quand nous mangeons du poisson, nous mangeons aussi des mégots.
En revanche, ce texte ne fait qu’un bout du chemin. Il laisse des endroits majeurs sur la route, comme les terrasses. C’est une victoire du lobby des buralistes, puisqu’une bonne partie d’entre eux sont aussi cafetiers. On entend les mêmes arguments qu’à l’époque de l’interdiction dans les restaurants : l’atteinte à la liberté, l’association conviviale avec l’alcool et le café, etc.
Mais l’interdiction de fumer en plein air n’est-elle pas une atteinte à la liberté ?
De quelle liberté parle-t-on ? Moi, j’ai envie d’être libre d’aller sur une terrasse sans respirer la fumée du voisin. C’est la liberté des 77 % des Français non-fumeurs, voire des fumeurs eux-mêmes, puisque l’immense majorité veut s’arrêter.
Fumer n’est pas une liberté, ce n’est pas un droit inscrit dans la Constitution, c’est une addiction avec une réalité physiologique, une urgence de satisfaire un besoin biologique qui a été créé lorsque la nicotine est arrivée dans le cerveau, bien souvent des cerveaux d’enfants. Tout cela pour le plus grand bénéfice des industriels du tabac, alors que la cigarette est souvent mortelle.
Les cigarettes électroniques ont été épargnées par cette nouvelle interdiction. Cela semble logique compte tenu de sa plus faible dangerosité. Qu’en pensez-vous ?
Ne pas traiter ces dispositifs de la même manière que la cigarette est une défaite de santé publique. C’est une manière de continuer d’accepter la nicotine, puisque la plupart des cigarettes électroniques en contiennent. C’est laisser la possibilité aux industriels de garder la main sur la jeunesse en continuant de lui faire fumer de la nicotine. Je rappelle que les cigarettes électroniques ne devraient jamais être utilisées en dessous de 18 ans, ni par des non-fumeurs. Sinon, c’est une porte d’entrée vers l’addiction.
La faisabilité de cette nouvelle mesure vous semble-t-elle crédible ?
La France est championne du monde pour faire des lois… et pour ne pas les appliquer. On peut se féliciter de la promulgation du texte, mais il ne faut pas être naïf, il y a une multitude d’endroits qui ne seront jamais contrôlés. Cela dépendra de la volonté des communes et tous les maires ne sont pas d’accord avec ça.
Il existe néanmoins un levier potentiel qui consiste à présenter le coût du nettoyage des mégots comparé aux coûts des contrôles. Ceux-ci seront nécessaires, sinon je crains que le civisme ne soit pas au rendez-vous. Le texte a néanmoins le mérite d’exister et les gens auront le droit de se plaindre. Peut-être que cela fera bouger les choses avec le temps ?
Quelles mesures faudrait-il mettre en place en priorité ?
La première est l’augmentation franche du prix du tabac. L’efficacité de cette mesure sur la baisse de la consommation a été largement démontrée par des études scientifiques robustes. D’ailleurs, les jeunes fument de moins en moins en France (moins de 15 % des jeunes de 17 ans). C’est un véritable progrès et l’augmentation du prix en est largement responsable. Il ne faut pas croire les buralistes qui affirment que tout va passer par la contrebande, c’est faux. La hausse de prix est efficace et bénéfique.
La deuxième mesure est la « décommercialisation » du tabac, qui a été mise en place au Royaume-Uni. C’est une mesure qui consiste à interdire l’achat du tabac pour toute la vie à partir d’une certaine année de naissance. L’immense majorité des fumeurs commencent avant 18 ans. Avec une telle mesure, ce ne serait plus possible et on parviendrait à une génération sans tabac. Loin d’être liberticide, une telle loi serait l’extension de celle qui interdit la vente de tabac aux mineurs et qui n’est toujours pas respectée par les deux tiers des buralistes. Et pour cause, s’ils arrêtent, leur business est mort dans 20 ans. Or le tabac leur rapporte 80 000 euros en moyenne chaque année.
Enfin, il faut continuer de se battre contre les nouveaux produits comme les sachets de nicotine, Snus et assimilés. Ces produits ne sont pas des outils de sevrage. Ils se présentent comme de petits sachets de thé, mais les fabricants les ont rendus irritants afin d’abraser la muqueuse de la bouche pour que la nicotine passe plus vite dans le sang. C’est un outil d’addiction, pour faire perdurer le marché de la nicotine. Il reste encore beaucoup à faire.
Comment faut-il lutter contre les lobbies du tabac ?
Il faut informer sur leurs dérives et leur influence, et procéder au « name and shame » [NDLR, nommer et couvrir de honte] : dénoncer les politiques qui continuent de défendre cette industrie et les médecins qui signent des tribunes pro tabac. On ne s’en sortira pas tant qu’il y aura tous ces éléments-là.
Tous ces libertariens qui défendent cette pseudo-liberté devraient se poser la question du coût social, qui se chiffre à 156 milliards d’euros par an (sécurité sociale, nettoyage, etc.). Le gouvernement cherche 40 milliards à économiser sur le budget 2026 ? Je sais où les trouver. Aucun Etat ne s’est enrichi en vendant du tabac, et il n’y a plus aucune grande entreprise du tabac française. Tous les bénéfices sont réalisés hors de notre pays… A part l’enrichissement des buralistes.
Vous dites que l’industrie du tabac vise en particulier les enfants. Pourquoi ?
British American Tobacco (Pall Mall, Lucky Strike, Vogue, etc.) a dépensé un milliard sur cinq ans sur TikTok, le réseau social préféré des jeunes. Lorsque le cerveau d’un mineur est exposé à la nicotine, il va créer des récepteurs à cette molécule. Plus un cerveau est exposé tôt, plus ces récepteurs seront tenaces, plus l’addiction est durable dans le temps.
Le tabac est un fléau sanitaire, écologique, économique et démographique. Il fait 75 000 morts par an en France, dont 3 000 à 5 000 avec l’exposition passive à la fumée. Il s’agit de la plus grosse gabegie sanitaire moderne et de la première cause de maladie évitable. Tout cela est dramatique.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-07-05 10:30:00
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