L’Express

Malgré la fin de la guerre froide, l’éternel come-back du prédateur, par Abnousse Shalmani

Malgré la fin de la guerre froide, l’éternel come-back du prédateur, par Abnousse Shalmani

Le discours performatif qui veut que les cartes soient rebattues et que la force remplace la diplomatie et que plus aucune médiation ou relation bilatérale ou multilatérale ne tienne debout devient un mantra. Chaque matin est annoncé le grand bouleversement du monde après avoir rabâché la stabilité née de l’après-Seconde Guerre mondiale, le « plus jamais ça », l’ONU qui fera mieux que la SDN, promis-juré-craché, c’était la fin définitive du retour en arrière vers la guerre. Et pourtant, nous assistons au come-back du prédateur, malgré la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin, la stabilité retrouvée, le libéralisme pour tous, l’accès à la prospérité et la paix, l’équilibre du nucléaire, le meilleur des mondes.

Il y eut certes une petite panique face au 11 Septembre 2001 qui a eu pour première conséquence de faire entrer la Chine dans l’OMC et d’ouvrir la grande ère de la mondialisation qui efface la singularité, déstabilise économiquement et culturellement les populations déroutées de retrouver les mêmes rues copies conformes à tous les coins du monde, ravies de s’offrir des tee-shirts à un prix dérisoire sans faire le lien avec leurs usines textiles qui ferment parce que les tee-shirts produits à domicile sont trop chers mais leur assurent une vie décente (et une plus longue vie au tee-shirt), alors nous fermons les yeux sur les employés esclavagisés à l’autre bout du monde, en maudissant quand même la mondialisation (qui a sorti de la misère les deux tiers de l’humanité) tout en commandant sur Shein.

Et pourtant. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y eut la terrible guerre civile chinoise (1946-1949), la guerre d’Indochine (1946-1954), la guerre de Corée (1950-1953), la guerre israélo-arabe de 1948, la guerre civile grecque (1946-1949), la guerre indo-pakistanaise (1947-1948), l’insurrection malgache (1947), la révolution nationale indonésienne (1945-1949), la guerre d’Algérie (1954-1962), la guerre du Vietnam (1955-1975), la crise du canal de Suez (1956), la révolte des Mau Mau au Kenya (1952-1960), la guerre civile laotienne (1953-1975), la guerre civile du Yémen du Nord (1962-1970), la guerre d’indépendance de l’Angola (1961-1975), la guerre du Biafra au Nigeria (1967-1970), la guerre des Six Jours (1967), la guerre du Cachemire (1965), la guerre civile guatémaltèque (1960-1996), la guerre du Cambodge (1967-1975), la guerre du Liban (1975-1990), la guerre de l’Ogaden entre l’Ehiopie et la Somalie (1977-1978), la guerre d’Afghanistan (1978-1992), la guerre du Sahara occidental (1975-1991), la guerre civile angolaise (1975-2002), la guerre civile du Mozambique (1977-1992), la guerre Iran-Irak (1980-1988), la guerre des Malouines (1982), la guerre civile salvadorienne (1979-1992), la guerre civile du Sri Lanka (1983-2009), la guerre civile du Libéria (1989-1997), la guerre civile du Tchad (1979-1982), la guerre du Golfe (1990-1991), les guerres de Yougoslavie (1991-2001), le génocide au Rwanda (1994), la guerre civile en Sierra Leone (1991-2002), la guerre civile algérienne (1991-2002), les premières et deuxièmes guerres de Tchétchénie (1994-1996, 1999-2009), la guerre du Kosovo (1998-1999)… et j’en oublie, et je pourrais encore poursuivre jusqu’à aujourd’hui sans interruption.

L’Europe prend chaque jour un coup de vieux

Et malgré l’ONU, malgré la sacro-sainte diplomatie, malgré le multilatéralisme, malgré les Etats-Unis gendarmes du monde, les guerres civiles, les guerres ethniques, les guerres territoriales, les guerres ressassées du passé, les guerres d’invasion, les guerres pour les matières premières, toutes se sont poursuivies. Les morts se sont accumulés, les enfants ont été affamés, les crises humanitaires se sont enchaînées, et jamais aucun diplomate de l’ONU n’est parvenu à arrêter un prédateur d’hier comme il ne parvient pas à stopper le prédateur d’aujourd’hui.

La différence avec notre présent, c’est l’Europe qui prend chaque jour un coup de vieux, qui ne parvient plus à suivre, qui assiste en spectateur médusé et servile à la vulgaire brutalité d’un Donald Trump qui fait s’agenouiller le monde devant ses oukases incohérents – et parfois efficaces. La différence, ce sont les acteurs qui changent. Ce qui a changé, c’est nous, les Européens qui regardons filer le présent en ayant oublié le passé et en n’ayant aucune idée de l’avenir. Décidément, pour que tout change, il faut que rien ne change.

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste



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Author : Abnousse Shalmani

Publish date : 2025-07-04 14:00:00

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