Même pas en rêve ! C’est le genre de sondage sur lequel les socialistes français – dont la candidate présidentielle, rappelons-le, n’avait pas atteint 2 % en 2022 – n’osent même pas fantasmer. Selon la récente enquête d’opinion annuelle publiée le mois dernier par l’institut SCB, qui fait référence en Suède, la popularité du Parti social-démocrate suédois (aujourd’hui dans l’opposition) renoue avec les sommets. Au point que la gauche pourrait rapidement se retrouver au pouvoir.
Si les élections générales se tenaient aujourd’hui, plus de 1 Suédois sur 3 (pour être précis : 36,2 %) voterait pour le parti qui a longtemps dominé la vie politique du royaume de 10,5 millions d’habitants. Il se classerait ainsi loin devant le parti conservateur (18,3 %) et l’extrême droite (18 %), qui ne progressent pas. Et pourrait se retrouver en position de gouverner avec l’appui du Parti de gauche (7,1 %) et des écologistes (6,5 %). En France, le leader socialiste Olivier Faure voudrait bien pouvoir en dire autant.
En Suède, le parti de feu Olof Palme, le « Mitterrand suédois », est donc bien engagé pour reconquérir du pouvoir dans quatorze mois. Ce qui, le cas échéant, mettrait un point final à la cure d’opposition commencée voilà trois ans. « Sans revenir au temps de sa splendeur des années 1970 lorsqu’ils dominaient la vie politique de manière insolente, dépassant à eux seuls 50 % des voix, les Socialdemokraterna ont clairement du vent dans les voiles », remarque Ulf Bjereld, politologue à l’université de Göteborg, la deuxième ville du pays. Ce sondage leur promet leur meilleur score depuis l’élection de 2002 où ils avaient frôlé 40 % (depuis, ils ont dégringolé à 30 % et fait plusieurs séjours sur les bancs de l’opposition).
A gauche, aucun parti n’a connu autant de succès
Comment expliquer une telle vitalité à l’heure où les partis politiques de gauche sont pour la plupart moribonds ? L’exception suédoise, et même scandinave (les sociaux-démocrates gouvernent au Danemark et en Norvège), s’explique d’abord par un ancrage historique ancien. « En Europe, aucun parti de gauche n’a connu autant de succès que les sociaux-démocrates suédois à travers l’Histoire, avance Bjereld. Au cours des cent dernières années, ils ont gouverné pendant soixante-quinze ans, y compris quarante-quatre années d’affilée de 1932 à 1976. » Résultat, leur formation est largement considérée comme le parti de gouvernement le plus fiable, en Suède.
« Crédité d’une solide expérience dans la gestion des affaires de l’Etat, c’est un parti probusiness qui est, avant tout, très pragmatique, et capable de s’adapter aux évolutions de la société », précise Lena Andersson, polémiste libérale et auteure de nombreux romans qui ont le « modèle suédois » pour toile de fond. Un exemple de son réalisme : après avoir été à l’origine d’une politique d’immigration mettant l’accent sur l’accueil des réfugiés, le parti a effectué récemment une volte-face sur ce sujet. S’ils reviennent au pouvoir l’année prochaine, les Socialdemokraterna poursuivront la politique de fermeture des frontières mise en place par le gouvernement actuel de centre-droit sous la houlette des Modérés (le nom suédois des conservateurs).
Hélas pour eux, ces derniers ne bénéficient pas de la même aura, ou crédibilité, que les sociaux-démocrates. A la tête d’une coalition minoritaire (conservateurs, centristes, chrétiens-démocrates et libéraux) soutenue au parlement par l’extrême droite, le Premier ministre Ulf Kristersson n’a pas vraiment réussi à s’imposer dans l’esprit des Suédois malgré un bilan au bout de trois ans dont il n’a pas à rougir. Cette semaine, le chef du gouvernement conservateur a énuméré les problèmes dont il estime avoir hérité en 2022 de la part du gouvernement social-démocrate : explosion de la criminalité, demandes d’asile en nombre incontrôlé (300 000 en huit ans), police débordée, prisons surpeuplées, intégration ratée et inflation. Pourtant, l’avenir de Kristersson à la tête de son pays est tout sauf garanti. « Non seulement le Premier ministre souffre déjà d’une certaine ‘usure du pouvoir’ mais, de plus, il aura fort à faire l’année prochaine face à Magdalena Andersson, son adversaire », calcule Ulf Bjereld.
Le Premier ministre suédois Ulf Kristersson, à Stockholm, le 25 avril 2024.
A la tête du Parti social-démocrate depuis 2021, cette ancienne ministre des Finances a, à l’inverse, marqué les esprits lors de son passage à la tête du gouvernement, de 2021 à 2022 – Magdalena Andersson avait remplacé son prédécesseur démissionnaire qui l’avait mise sur une rampe de lancement. Au pouvoir au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, elle n’avait pas tergiversé : au contraire, elle avait immédiatement rompu avec le dogme de la neutralité porté par son parti depuis toujours et lancé sans attendre le processus d’adhésion de la Suède à l’Otan. Autrement dit : elle s’était alignée sur les conservateurs du jour au lendemain.
L’extrême droite ne progresse plus en Suède
« Dotée d’autorité naturelle, Andersson a renforcé l’unité du parti tout en gagnant le respect du reste de la classe politique, au-delà du clivage partisan », estime Ulf Bjereld. Reconnue pour sa compétence et son leadership, cette mère de deux enfants mariée à un professeur d’économie est sans doute la figure la plus charismatique du Parti social-démocrate depuis Anna Lindh, l’ex-ministre des Affaires étrangères dont l’ascension avait été stoppée net par un assassin qui l’a tuée au couteau en plein jour, en 2003, dans le grand magasin NK (l’équivalent stockholmois du Bon Marché parisien) où elle faisait du shopping.
Autre enseignement du sondage de SCB : l’extrême droite ne progresse plus en Suède. Ayant surfé sur les inquiétudes liées à l’immigration, grandissantes chez les Suédois depuis deux décennies, les Démocrates de Suède – c’est leur nom – ont continuellement conquis des « parts de marché », passant de 5,7 % des voix en 2010 à 20,5 % en 2022 et de 20 à 73 députés (sur 349 députés au total). Selon le politologue Ulf Bjereld, la poussée de l’extrême droite ainsi que de la xénophobie a été mal interprétée et exagérée à l’étranger : selon lui, « la Suède reste le pays d’Europe avec l’opinion la plus positive vis-à-vis de l’immigration, sans doute parce que l’économie se porte bien ». Preuve de leur maturité politique, les électeurs font le distinguo entre la guerre des gangs qui fait rage en banlieue entre bandes de narcotrafiquants (92 morts au total en 2024 en raison de règlements de compte) et les honnêtes migrants qui cherchent à s’intégrer dans la société scandinave.
Le Premier ministre danois Mette Frederiksen participe à une conférence de presse au Palazzo Chigi après une réunion avec le Premier ministre italien Giorgia Meloni, à Rome, Italie, le 22 mai 2025. (Photo by Massimo Valicchia/NurPhoto)
Avec l’extrême droite qui plafonne à 18 % et une coalition de centre-droit qui peine à s’imposer sur la durée, rien ne semble empêcher le retour de la gauche au pouvoir à Stockholm en septembre 2026. Si Magdalena Andersson retrouve son poste de Première ministre, c’est potentiellement la totalité de la Scandinavie (Suède, Norvège et Danemark) qui sera alors dirigée par des élus de gauche, avec le travailliste Jonas Gahr Store au pouvoir à Oslo et Mette Frederiksen à Copenhague. Et si la gauche française profitait de l’été pour faire un petit voyage d’étude en Europe du Nord ?
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Author : Axel Gyldén
Publish date : 2025-07-05 10:00:00
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