Longtemps meilleure élève que ses voisins européens, la France est désormais confrontée elle aussi à une baisse préoccupante de la natalité. Infertilité, mode de garde introuvable ou trop coûteux, crise du logement… Les raisons de ne plus faire d’enfant sont multiples. Et doivent nous inquiéter. « Les enfants qui naissent aujourd’hui seront chargés de la société dans vingt-cinq ans, rappelle Catherine Vautrin. C’est un enjeu majeur pour l’avenir du pays. » En exclusivité pour L’Express, la ministre du Travail, de la santé, des solidarités et de la famille dévoile le large plan qu’elle entend déployer pour tenter de remédier à cette chute des naissances, un an et demi après la prise de parole d’Emmanuel Macron réclamant un controversé « réarmement démographique ».
Car, réjouissons-nous, le désir d’enfant, en France, se maintient. Partant de ce constat, Catherine Vautrin veut s’employer à lever les obstacles qui freinent les couples dans leur cheminement vers la parentalité. Parmi ses propositions, la création d’un congé de naissance, souhaitée par le président, moins long mais mieux indemnisé que le congé parental.
L’Express : Quand Emmanuel Macron a appelé au « réarmement démographique », on lui a reproché, pêle-mêle, de s’immiscer dans la vie privée des Français, de piétiner la liberté des femmes et de militariser la démographie. Cette expression était-elle une erreur ?
Catherine Vautrin : Je ne vais pas commenter l’expression, mais plutôt notre situation démographique. Nous avons enregistré 663 000 naissances en 2024, c’est 21,5 % de moins qu’en 2005, et 2,2 % de moins qu’en 2023. Cela signifie que la natalité baisse tous les ans, c’est très préoccupant.
Aujourd’hui, le nombre d’enfants par femme est de 1,6, alors qu’il a longtemps été de 2,02. Mais le désir d’enfant, lui, atteint encore les 2,2 enfants par femme. En clair, nous sommes au pied du mur démographique et je tire la sonnette d’alarme.
Comment expliquez-vous ce décalage entre désir et réalité ?
Plusieurs facteurs l’expliquent. L’infertilité, d’abord. Et je distinguerais deux sortes d’infertilité : la première, que je qualifierais de médicale, est importante. Elle concerne pour un tiers les femmes, pour un tiers les hommes, et pour le dernier tiers, les couples. La deuxième est l’infertilité sociétale, engendrée par l’angoisse que suscitent les guerres autour de nous, les préoccupations environnementales, les difficultés liées à la garde d’enfants ou à l’accès au logement… Ajoutons à cela que de plus en plus de femmes expriment le souhait de mieux concilier leurs vies professionnelle et personnelle, sans que la maternité ne se fasse au détriment de leur carrière. Chez une partie de la population, l’absence de désir d’enfant s’affirme désormais plus ouvertement. Et bien évidemment, il s’agit là d’un sujet éminemment intime : personne ne peut décider pour un couple d’avoir ou non un enfant. En revanche, nous devons mesurer les difficultés rencontrées pour concrétiser ce projet quand il existe, et essayer d’y apporter des réponses.
Que peuvent les pouvoirs publics pour lutter contre l’infertilité médicale ?
Les chiffres sont assez frappants. 3,3 millions de personnes sont concernées par l’infertilité. 10 à 15 % des couples en âge de procréer rencontrent des difficultés, cela représente 1 couple sur 8. Et 1 enfant sur 30 naît d’une AMP (assistance médicale à la procréation) en France.
Nous avons décidé que l’Assurance maladie adresserait à chaque Français de 29 ans un message pour prévenir le risque d’infertilité
Pour commencer, nous devons mieux prévenir. L’âge auquel une femme accueille son premier enfant a considérablement reculé : 31 ans à présent. On sait que l’horloge biologique génère une décroissance de la faculté de procréer. A partir de 37 ans, on observe une baisse de la fertilité extrêmement importante. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé que l’Assurance maladie adresserait à chaque Français de 29 ans un message pour prévenir le risque d’infertilité dès 2026.
Vous ne craignez pas qu’on vous reproche une communication anxiogène ?
Nous voulons absolument éviter le « si j’avais su ». Parce que si vous ajoutez à cela une pathologie féminine comme l’endométriose, par exemple, qui en moyenne génère une errance médicale de sept ans, il devient difficile de faire face, à temps, à l’infertilité. Un rendez-vous gratuit « mon bilan prévention » est déjà ouvert aux 18-25 ans, nous allons y rajouter un élément spécifique sur la santé reproductive. Simplement pour expliquer et pour faire prendre conscience des pathologies qui peuvent poser problème. Nous allons également mettre en place une consultation préconceptionnelle, sur la base des orientations que nous donnera la Haute Autorité de santé, de façon à accompagner les futurs parents et à proposer un check-up fertilité rapide aux couples qui rencontrent des difficultés pour concevoir.
Nous avons aussi besoin de développer, sur tout le territoire, les centres de conservation ovocytaire. L’Ile-de-France, région où la demande est la plus forte, est très bien équipée, mais ce n’est pas le cas partout. Aujourd’hui, chaque centre fonctionne de façon autonome, sans vraie coordination, et surtout sans repère pour les patients. C’est pourquoi nous organiserons une gestion nationale des dons de gamètes, rationalisée et partagée, afin que l’accès soit facilité.
Avec 30 nouveaux centres pour la conservation ovocytaire d’ici à 2027, notre objectif est d’avoir un centre à moins d’une heure de chez soi, pour qu’aucune femme ne soit empêchée de préserver sa fertilité.
Parmi les mesures annoncées, l’envoi par l’Assurance maladie d’un message de prévention du risque d’infertilité à chaque Français de 29 ans dès 2026.
La France est confrontée à un problème de mortalité infantile qui atteint 4,1 ‰, classant notre pays au 23e rang sur 27 pays européens, et un problème de mortalité néonatale qui atteint 2,7 ‰, nous classant en 22e position. Nicolas Baverez considère que nous avons là un symptôme de la crise du modèle français…
Quatre bébés sur 1 000 décèdent avant leur premier anniversaire, 75 % de ces décès interviennent dans le premier mois de vie. Notre position dans ce classement est très mauvaise, et je suis d’accord avec Nicolas Baverez pour dire que c’est une question essentielle qu’il faut prendre à bras-le-corps.
Mais il faut d’abord que l’on sache de quoi on parle. Pour cela, je crée un registre, qui sera opérationnel en 2026, afin que nous puissions connaître la cause de chacun de ces décès. Pour l’instant, personne n’est capable d’en tirer des enseignements. On évoque la très grande prématurité, la santé des mères, la réanimation néonatale inégale sur le territoire… Je peux vous donner une liste de causes potentielles, mais je ne dispose pas de données fiables et homogènes. Nous avons absolument besoin de comprendre le phénomène avec précision et dans sa totalité. Le registre sera l’outil le plus fiable qui puisse exister, et il nous donnera les réponses dont nous avons besoin.
Les difficultés rencontrées pour la garde des jeunes enfants n’incitent pas non plus à se lancer dans un projet de naissance.
Nous avons encore de grands progrès à accomplir. Je pense qu’il est nécessaire d’apporter des réponses multiples, adaptées à la situation de chaque famille. Le premier défi consiste à renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance. Dès septembre, nous mettons en place un nouveau titre professionnel de niveau 4 (équivalent bac), accessible à la fois par la formation et la VAE. L’objectif est d’élargir les compétences et de mieux reconnaître ce métier.
Deuxièmement, nous devons créer davantage de places, que ce soit en crèche, chez les assistantes maternelles ou via la garde à domicile. Si les parents privilégient souvent les crèches dans un premier temps, ils se montrent en réalité très satisfaits lorsqu’ils font appel à une assistante maternelle.
Nous avons aussi décidé de faire évoluer l’aide financière qu’est le complément de libre choix de mode de garde (CMG) à partir du 1er septembre prochain. Il prendra mieux en compte la composition de la famille — et par conséquent ses revenus — mais aussi le nombre d’heures de garde nécessaires. Une famille avec un enfant et 2 000 euros de revenus avait un reste à charge de 350 euros. Avec le nouveau CMG, son reste à charge sera de 200 euros.
Autre avancée : les familles monoparentales bénéficieront du CMG non plus jusqu’aux 6 ans de l’enfant, mais jusqu’à ses 12 ans. Et troisième nouveauté, qui concerne la garde alternée : chacun des deux parents bénéficiera du complément de mode de garde à proportion du moment où l’enfant est sous sa responsabilité.
N’avons-nous pas des progrès à faire aussi sur les congés proposés aux parents après la naissance ?
Bien sûr ! C’est pour cela que j’aimerais instaurer un congé de naissance, conformément au souhait du président de la République, plus court que le congé parental mais mieux rémunéré. Beaucoup de parents ne prennent pas un congé qui, certes, peut s’étaler dans le temps, mais est indemnisé 400 euros par mois. Je veux mettre en place un congé qui succéderait au congé maternité et qui pourrait être pris par la mère et le père, à la suite l’un de l’autre, avec un accompagnement financier plus conséquent.
Cela me paraît essentiel pour l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, pour l’égalité au sein du couple et, enfin, pour le développement de l’enfant. Et cela laisse le temps de choisir un mode de garde.
Par ailleurs, le parent qui prend le congé parental, souvent la mère, pourra ainsi, avec ce nouveau congé, reprendre plus rapidement une activité professionnelle. Je travaille à ce congé de naissance, auquel je suis attachée, et que je souhaite porter dans le cadre du projet de loi de financement pour la Sécurité sociale pour 2026.
Le problème de la chute de la natalité ne dépasse-t-il pas de loin votre ministère ? Dans Les Balançoires vides, Maxime Sbaihi rappelle que les couples font face à la crise du logement, à une insertion plus tardive sur le marché du travail et à des inégalités intergénérationnelles, avec un modèle favorisant les retraités plutôt que les actifs.
Nous tentons d’apporter des réponses qui permettent de mieux articuler vie professionnelle et vie familiale. Valérie Létard, ministre chargée du Logement, est très engagée sur le logement, car il est évident que, quand le prix de l’immobilier augmente dans les métropoles, c’est une pièce en moins, et donc une chambre en moins pour accueillir un enfant. A Reims, qui n’est pourtant pas l’une des communes les plus chères de France, j’ai vu la ville perdre des habitants tandis que la communauté urbaine en gagnait, parce que les familles doivent s’éloigner de 30 ou 40 kilomètres en fonction de leur budget.
Mais il n’y a pas que les métropoles, c’est aussi un sujet d’aménagement du territoire, parce qu’il y a des endroits dans ce pays où il existe des logements plus accessibles, avec une qualité de vie intéressante. La place de l’enfant dans notre société, l’accueil des familles, la gestion du temps extrascolaire seront ainsi un enjeu majeur pour les prochaines municipales. Nous venons d’élargir les espaces sans tabac pour essayer d’arriver à la première génération qui n’ait pas le réflexe de la cigarette ; nous tentons de protéger les jeunes des écrans. L’ambition, c’est que notre pays replace l’enfant, dans toutes ses dimensions, au centre des préoccupations.
N’y a-t-il pas un changement de mentalités à opérer dans le monde de l’entreprise ? L’expert Hervé de Villers rappelait dans L’Express qu’en Suède, s’absenter pour s’occuper de son jeune enfant est vu comme « une preuve de fiabilité ».
Notre organisation du travail a longtemps été très masculine. En Suède, il n’y a pas de réunions programmées après 19 heures. Les travailleurs arrivent plus tôt et partent plus tôt. Le télétravail est critiqué, mais il a permis d’offrir une vraie souplesse aux parents, et on a bien vu qu’on peut être aussi efficace sans forcément être présent à son bureau tous les jours. Le problème, ce sont tous ceux qui ne peuvent pas télétravailler, et ils sont nombreux. Mais je crois aux horaires flexibles et à la capacité d’organiser son temps de travail.
Viktor Orban a fait du natalisme un sujet central en Hongrie. Pourtant, malgré des milliards dépensés dans des exemptions d’impôts et des primes aux parents, le taux de natalité hongrois, après une petite hausse, est retombé à 1,38 enfant par femme…
On ne fait pas d’enfant pour de l’argent ! Autant je comprends qu’il y ait besoin d’accompagnement économique, autant je n’imagine pas qu’un couple puisse vouloir un bébé pour des raisons fiscales et des primes gouvernementales. Le vrai enjeu, c’est de faire en sorte que l’organisation de notre société permette à chaque famille de réaliser, dans de bonnes conditions, un désir d’enfant toujours bien présent.
A quel point cette baisse de la natalité est-elle une mauvaise nouvelle pour l’économie du pays ?
Notre fameux modèle social français, né il y a quatre-vingts ans du programme du Conseil national de la Résistance, repose sur la solidarité intergénérationnelle. Moins d’actifs signifie moins de financeurs. La courbe entre actifs et retraités est en train de s’inverser, avec une hausse forte du nombre des seniors. Ce qui pose question sur la capacité à financer notre modèle. Loin de moi l’idée de stigmatiser les seniors : ils nous ont permis d’être ce que nous sommes, et je connais leur rôle clé dans les associations ou dans les collectivités locales.
Mais les enfants qui naissent aujourd’hui seront chargés de la société dans vingt-cinq ans. C’est un enjeu majeur pour l’avenir du pays. La natalité est aussi un indicateur fort de la confiance qu’une société a dans le futur. Enfin, il y a la question du poids démographique de la France, et plus largement de l’Europe, dans le monde.
La France ne s’est-elle pas illusionnée en pensant qu’avec son taux de fécondité plus élevé que la moyenne des pays occidentaux, elle resterait une exception ?
La natalité avait connu un petit rebond jusqu’aux années 2010. On s’est sans doute bercé d’illusions. Ce phénomène s’explique en partie par le fait que certaines populations immigrées présentaient, à leur arrivée, des taux de fécondité plus élevés que la moyenne nationale. Mais on sait que ces taux tendent à se rapprocher de ceux du reste de la population dès la deuxième génération.
Aujourd’hui, il y a une prise de conscience, même si les Français ne mesurent sans doute pas encore assez les conséquences de cette baisse de la natalité. Nous voulons ainsi redémarrer une vraie politique familiale ambitieuse.
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Author : Laureline Dupont, Thomas Mahler
Publish date : 2025-07-08 16:00:00
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