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« Quand il cause, on l’écoute » : Fabien Mandon, le général qui murmure à l’oreille d’Emmanuel Macron

« Quand il cause, on l’écoute » : Fabien Mandon, le général qui murmure à l’oreille d’Emmanuel Macron


Un militaire comme un recours, nous sommes à l’Elysée courant 2024. Ofer Bronchtein, chargé de mission d’Emmanuel Macron pour le rapprochement israélo-palestinien, pense arrêter, faute de soutien au Quai d’Orsay. Le chef de l’Etat a une autre idée. « Fonce avec Fabien, agis avec lui », lui propose-t-il. « Fabien », soit le général Mandon, chef d’état-major particulier du président. L’homme du secret-défense, de la dissuasion nucléaire, des commémorations au côté du chef des armées (le président de la République), comme ce sera encore le cas ce 14 juillet. Mais pas que, loin de là. Depuis mai 2023, le haut gradé s’est imposé comme un conseiller du premier cercle d’Emmanuel Macron, l’émissaire des missions sensibles, en Ukraine, en Arabie saoudite, au Brésil, auprès d’Israël, de l’Arménie, et partout où la France a des intérêts militaires. Par les temps qui courent, il faut prévoir une conception large du rôle.

« Fabien Mandon m’apporte un soutien moral, moi qui n’ai pas beaucoup de réseau à l’Elysée et au Quai d’Orsay », témoigne Ofer Bronchtein, qui lui détaille ses échanges avec des ministres israéliens, des membres du cabinet de guerre, de hauts responsables palestiniens. « Mais enfin Ofer, c’est de la diplomatie, pas du militaire », lui a un jour signalé Emmanuel Bonne, le sherpa du président. Dire que la cellule diplomatique du Château ne partage pas toujours la même approche du périmètre des armées relève de la litote.

Une scène de vaudeville. Jeudi 9 janvier 2025, tarmac du Bourget. Emmanuel Bonne prend un coup de sang, descend du Falcon en partance vers Londres, où Emmanuel Macron doit rencontrer le Premier ministre Keir Starmer. Encore une note du général Mandon sur l’Ukraine qu’il découvre a posteriori, explose-t-il. Menace de démission, le flottement dure une huitaine, Le Monde titre sur la « sourde lutte d’influence entre militaires et diplomates ». L’acte de naissance médiatique de cet aviateur, ancien pilote de chasse. Et une leçon sur le pouvoir. Le précédent chef d’état-major particulier, l’amiral Jean-Philippe Rolland, réputé fort en décibels, était parti marginalisé. Fabien Mandon, beaucoup plus policé, pèse davantage, lui que le personnel de l’Elysée a appelé « amiral » pendant six mois à son arrivée. « C’est quelqu’un d’empathique, d’affable, jamais stressé ou brusque. Il a dû trouver une manière d’exister à l’Elysée, et il existe », atteste l’ancien ministre Jean-Marie Bockel, envoyé personnel d’Emmanuel Macron en Afrique de l’Ouest jusqu’en février 2025.

« La modestie du pilote de chasse »

Oubliez les généraux mâles alpha, les charismatiques à balafre, façon Jean-Louis Georgelin, ancien chef d’état-major particulier lui aussi, puis chef d’état-major des armées, qui, à l’Elysée, avait l’habitude de taper du poing contre le mur. Le planton devait deviner qu’il était immédiatement convoqué dans le bureau. Le général Fabien Mandon propose un style tout en sourire, « toujours la banane, tout en finesse, en souplesse, le gendre idéal », salue le général Matthieu Pellissier ; « la classe, la modestie du pilote de chasse », vante le général Jean-Marc Vigilant, ancien patron de l’Ecole de guerre, frappé par l’exposé sans notes du militaire devant ses élèves, il y a quelques années.

Même au cœur des guéguerres élyséennes, l’aviateur ne montre aucun signe d’agacement, tout juste des « sous-sourires de crispation », décode un conseiller, ou ce « regard ironique sous l’immense casquette », se souvient un familier du Palais. Et ce SMS à un ami : « Je te confirme que c’est chaud ». Mais « poker face » en public. « Le général Mandon parle toujours sur le même ton mesuré, on a l’impression d’entendre le pilote à son micro d’avion Rafale qui ne peut pas élever la voix, sinon ça sature. Mais quand il cause, on l’écoute », décrit le préfet Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) entre 2020 et 2025.

DGSE et « pointe de diamant »

Pendant deux ans, les deux hauts fonctionnaires ont préparé ensemble les très secrets conseils de défense, cet organe bimensuel dont Emmanuel Macron raffole, où les ministres s’attablent aux côtés des conseillers, au coude-à-coude, comme au bistrot, dans les tréfonds du PC Jupiter, à 70 mètres sous l’Elysée, et où on lève le doigt pour que le président transmette la parole. Le 18 juin, des caméras sont exceptionnellement autorisées à filmer quelques images, en marge de la réunion consacrée à l’Iran, et c’est lui, le général Mandon, qu’on aperçoit au plus près du chef de l’Etat, dans sa veste d’aviateur bardée de décorations, visage impassible. En amont, il s’est chargé d’écarter avec tact certains points à l’ordre du jour, comme d’habitude : « C’est intéressant, mais ça n’intéresse pas le président. »

Emmanuel Macron et Fabien Mandon lors d’un conseil de défense consacré à l’Iran, le 22 juin 2025.

Auprès de ses proches, il s’enthousiasme de travailler pour ce chef de l’Etat ultra-agile, toujours prompt à sauter dans un avion pour convaincre un dirigeant. « Ce président est incroyable », dit-il. Le chef des armées lui fait largement confiance, de la volte-face diplomatique sur l’Algérie à Israël, il le consulte sur tous les sujets comprenant une dimension militaire. C’est-à-dire presque tous. C’est lui qui fait l’interface avec les fabricants d’armes, qu’il reçoit à l’Elysée. « Quand on veut quelque chose, on va voir Mandon. Il est apprécié car il est à l’écoute, il répond clairement », abonde le général Denis Mercier, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air, passé dans le privé. Il assiste à tous les entretiens d’Emmanuel Macron avec Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, dont il a été le conseiller pendant un an, avec le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées depuis 2021, un allié. Il est aussi le seul conseiller habilité à connaître des dossiers « pointe de diamant » de la DGSE, comme les dépeint un initié, à savoir les activités du service Action. Avec Nicolas Lerner, le patron du service secret français, il a géré la libération des agents du renseignement retenus en otage au Burkina Faso, en décembre 2024.

Messie des aviateurs

Son nom circule désormais pour devenir chef d’état-major des armées, le graal des militaires, dans les prochaines semaines, puisque le général Thierry Burkhard est donné sur le départ. Trois chefs d’état-major particuliers l’ont été avant lui. Au sein de l’armée de l’air, souvent dédaignée par les « terriens » comme le lieu des « militaires non pratiquants », on attend le poste depuis trente ans et Fabien Mandon ferait presque figure de messie. « Nous les aviateurs, on en rêve beaucoup », reconnaît le général Vigilant.

Il subsiste pourtant un doute. « Saurait-il être assez chef ? », interroge Cédric Perrin, le président LR de la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, à l’unisson du questionnement qui circule à bas bruit. « Dans une pièce, il n’occupe pas tout l’espace, mais on sent l’intelligence. Il décide de manière nette, propre », commente le général Nicolas Chambaz, un ancien camarade de promotion. Suffisant malgré un charisme relatif ? « Je sais que pour certains, il faut avoir les cheveux très courts, crier fort. Mais il faut être soi-même, je ne suis pas quelqu’un qui se pousse du col. Le commandement, ça n’a à peu près rien à voir avec ça », tranche le général Mandon, seul dans son grand bureau au deuxième étage de l’hôtel de Marigny, une annexe de l’Elysée à la moquette bleue moelleuse, où le visiteur, délesté de son téléphone portable, est invité à patienter dans un calme olympien en feuilletant un livre sur les « imaginaires nucléaires », devant des tableaux d’art moderne sur l’armée.

« Madoune » et le réacteur nucléaire

Le cinq étoiles a accepté de recevoir L’Express pour évoquer son parcours. On le découvre fidèle à la description, voix monocorde, sourire engageant, des silences à la recherche du bon mot et ce regard parfois dans le vague qu’ont les timides gênés quand on les scrute.

En Afghanistan, j’ai tué. Et je sais qui j’ai tué. Des talibans. J’ai une âme de combattant

S’il a fait l’armée, c’est d’abord pour être pilote, confesse-t-il, conscient que l’aveu « ne va pas plaire à tout le monde » : « Ce qui m’a fait rêver, c’est le vol. » Père ingénieur, mère kinésithérapeute puis commerçante, Fabien Mandon compte zéro militaire dans sa famille, une rareté dans le milieu. Né en 1969 à Montmorency (Val-d’Oise), il a des racines bretonnes et, de la seconde à la classe préparatoire « maths sup-maths spé », étudie à Lyon. Il pense d’abord faire footballeur professionnel, intègre les équipes de jeunes de l’Olympique lyonnais comme ailier gauche, puis abandonne. « Mon premier échec », sourit-il. Vite balayé par une passion pour l’air, cultivée en dévorant L’Etoffe des héros, le chef-d’œuvre de Tom Wolfe sur la conquête américaine de l’espace, Le Grand Cirque, de Pierre Clostermann et les récits du général Marcel Bigeard. Au concours d’entrée à l’Ecole de l’air de Salon-de-Provence, en août 1990, il est admis 77e, un classement moyen, mais les premiers sont souvent issus de lycées militaires, mieux outillés pour la préparation. Il s’apprête à se révéler en rejoignant l’uniforme.

Dans les Bouches-du-Rhône, Fabien Mandon se découvre en phase avec le monde militaire, ses traditions, comme celle du « mur », ces vingt-quatre heures pendant lesquelles les « poussins », les élèves de première année, s’échappent de l’école sans prévenir, avec pour objectif de ne pas être retrouvés par l’encadrement. Avec un camarade, il file à Poelkappelle, la bourgade belge où le pilote Georges Guynemer est mort, commande du sable, des parpaings. Avec l’accord de la mairie, les aspirants construisent un mur en forme d’ailes dans le village. Les instructeurs adorent. « Madoune », comme le surnomment ses camarades, marque déjà la promotion par son humeur égale et sa fiabilité. « Il n’a pas bougé depuis trente ans, c’est Dorian Gray, il avait déjà cette allure juvénile, ce sourire accroché, il faisait l’unanimité », se souvient Guillaume Desmarets, l’actuel directeur de l’aéroport d’Avignon.

En troisième année, les cours de vol agissent comme un révélateur, certains élèves doués pour les maths comprennent leurs limites au pilotage, « Madoune » à l’inverse se montre à l’aise la tête en bas ; il fait partie des dix premiers à être initiés aux avions de combat en escadron. « Il avait ce côté décontracté en vol, et Bisounours dans la vie. Mais faux Bisounours. C’est un réacteur nucléaire à l’intérieur », jauge Richard Zabot, un autre camarade. Un drame frappe bientôt les aviateurs. Daniel Delion, un ami de Fabien Mandon, un de ses guides en connaissances militaires, membre comme lui de la brigade 3 à Salon – surnom : « les rois » – se tue en service, le 12 janvier 1995. « On perd un proche, un bon camarade. Mais on sait aussi ce qu’on fait. On sait que ce sont des métiers à risque », mesure le général Mandon.

Etre chef, ce n’est pas avoir les poils qui sortent de la chemise. C’est être juste, réfléchi, déléguer, savoir être ferme quand il faut

« En Afghanistan, j’ai tué »

En opération, l’officier apprend à apprivoiser la mort. « On sait qu’on peut donner la mort et perdre la vie. Mais quand on vit vraiment cette situation, on va plus loin dans l’introspection », observe-t-il, avouant sa croyance en « quelque chose de divin », lui dont les enfants sont baptisés catholiques, même s’il ne « pratique pas avec assiduité ». En 2006, il connaît l’apogée de sa carrière de pilote de chasse, sur le front afghan. « En Afghanistan, j’ai tué. Et je sais qui j’ai tué. Des talibans. J’ai une âme de combattant », dit-il.

Il s’apprête alors à basculer dans une autre carrière, celle du commandement, en dépit de son tempérament réservé. « Ça m’a toujours intéressé. Etre chef, ce n’est pas avoir les poils qui sortent de la chemise. C’est être juste, réfléchi, déléguer, savoir être ferme quand il faut », plaide le gradé. De 2012 à 2014, il commande la base nucléaire d’Avord, dans le Cher, 7 000 soldats à gérer, où il assume son style différent. « Je lui disais qu’il faudrait qu’il ait l’air un peu plus martial, mais ça le faisait encore plus sourire. Sinon, ça s’est parfaitement passé car il était juste », témoigne le colonel Bruno Charles, son second.

Rogel le mentor

Entre 2017 et 2019, il découvre une première fois l’Elysée, comme adjoint aviateur au chef d’état-major particulier, l’amiral Bernard Rogel, bientôt un de ses mentors. « Il m’a séduit tout de suite car il aime le travail en commun et il est impavide quand arrivent les crises », salue le marin. A plusieurs reprises à partir de 2018, lorsque Fabien Mandon est nommé général, l’amiral lui propose de le remplacer lors de sommets internationaux, notamment à Bruxelles, afin qu’il se rapproche du chef de l’Etat. Le week-end, il continue de jouer au football près de chez lui, à Meudon, avec une bande de voisins qui ignorent tout de son grade et de son lieu de travail. « C’était inestimable pour éviter la déconnexion », se rappelle « Madoune ».

A son poste de chef d’état-major particulier, où il serait chargé de mettre en œuvre le choix du président d’appuyer sur le bouton nucléaire, il concède que la situation géopolitique l’empêche parfois de dormir, « en pensant au monde qu’on va laisser à nos enfants », glisse-t-il, lui le père de trois fils, franco-espagnols par leur mère, rencontrée dans les années Ecole de l’air. Devant l’insensibilité de la société russe aux millions de morts et leur capacité d’approvisionnement, la menace poutinienne lui apparaît comme la plus préoccupante. Face à « l’accélération du temps », c’est-à-dire le retour plus rapide que prévu d’une menace existentielle en Europe, l’état de l’armement français en matière de défense antimissiles et de drones l’inquiète particulièrement : « On n’est pas encore au bon niveau. »

Qui est le plus puissant ?

La rumeur le dit inspirateur d’une phrase très remarquée d’Emmanuel Macron lors de la dernière conférence des ambassadeurs, le 6 janvier dernier, au sujet des pays africains : « La gratitude est une maladie, je suis bien placé pour le savoir, non transmissible à l’homme. » Il sourit de ces propos qui ont tant choqué les diplomates, ne se souvient plus, mais ajoute : « Il n’y a que l’offensive qui paye. » Pour autant, il se dit favorable à ce que la France ferme ses bases militaires en Afrique là où les pouvoirs locaux le souhaitent : « On n’a pas vocation à rester contre la souveraineté des Etats. » Volontiers « loin des extrêmes », il ne réfute pas quand on suggère qu’il serait un général progressiste : « J’espère ! » Mais, profondément légaliste, il exclut de démissionner par principe si le Rassemblement national venait à remporter l’élection présidentielle : « Je suis un militaire au service d’un président élu démocratiquement par les Français. Je n’ai pas de critère politique. »

Lorsqu’on l’interroge sur le poste de chef d’état-major des armées, qu’on dit bientôt à pourvoir, tant le général Thierry Burkhard cache de moins en moins ses envies de passer la main, il choisit la prudence : « Je ne demande rien. » Peut-être pense-t-il à ce propos fréquent du général Georgelin (décédé en 2023), titulaire successivement des deux postes dans les années 2000 : « Il faut être chef d’état-major des armées, mais le plus puissant, c’est le chef d’état-major particulier. » Grand sourire ou pas.



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Author : Etienne Girard

Publish date : 2025-07-09 16:00:00

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