L’Express

Gabriel Attal et LR : de la séduction à l’affrontement, les dessous de sa stratégie

Gabriel Attal et LR : de la séduction à l’affrontement, les dessous de sa stratégie

Laurent Wauquiez est un privilégié. Gabriel Attal, réputé solitaire, daigne accorder un peu d’intérêt au patron des députés de la Droite Républicaine (DR). Les deux hommes ont déjeuné ensemble au début de l’été 2025. Leur relation s’est construite un an plus tôt, avec pour ciment une méfiance commune envers Michel Barnier. Gabriel Attal loue sa relation « franche » avec son rival. Le député de Haute-Loire salue les qualités organisationnelles du chef de Renaissance, qui lui a détaillé lors de leur entrevue le recrutement de data analysts dans son parti.

Alors, on jette la rancune à la rivière. Gabriel Attal passe sous silence le mauvais coup fait par Laurent Wauquiez, qui a fait élire en octobre l’insoumise Aurélie Trouvé à la présidence de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale. Le candidat malheureux à la présidence des Républicains ne s’étendra pas sur les moqueries de Gabriel Attal après sa proposition d’envoyer les étrangers sous OQTF dangereux à Saint-Pierre-et-Miquelon. « Le Truman Show continue », s’était-il amusé sur une boucle interne.

Connaissance aiguë des députés LR

De toute manière, Gabriel Attal décèle chez Laurent Wauquiez une proximité plus forte avec l’union des droites qu’avec le socle commun, cette fragile coalition rassemblant la droite et les macronistes. L’ancien patron de LR n’a-t-il pas fait des appels du pied à Sarah Knafo lors de sa campagne interne ? Alors, on peut échanger en confiance. Gabriel Attal ne prête pas le même destin au ministre de l’Intérieur. « Bruno Retailleau est un Vendéen. Je le sens moins dans cette logique d’union des droites », confiait-il cet hiver.

Voilà donc ces deux ambitieux engagés sur le même terrain de jeu électoral, garni d’électeurs volages. Quand Michel Barnier entre à Matignon, un proche du Savoyard alerte le camp Attal : « Barnier ne sera pas candidat unique de la droite et du centre en 2027, vous devriez poursuivre la drague envers les LR pour qu’Attal soit candidat. » Cette drague méthodique entreprise par Gabriel Attal dans ses différentes fonctions gouvernementales, quand il cherchait à comprendre ces insaisissables députés LR. Avec succès, selon lui. Fin mai 2024, il promettait à Emmanuel Macron de lui épargner une censure au nom de cette proximité avec la droite.

Offensive contre la droite

Après tout, Gabriel Attal sait parler à ce camp. Le peuple de droite frissonne encore de plaisir au souvenir de l’interdiction de l’abaya, prononcé d’un ton martial sur le plateau de TF1 à la rentrée 2023. Autorité, j’écris ton nom. A l’époque, l’équipe du jeune ministre de l’Education nationale observe avec gourmandise sa popularité croissante dans ce segment électoral. Eric Ciotti s’en amuse un jour auprès de l’intéressé : « Pour un mec de gauche, tu es plus à droite que moi ! Si tu étais de droite, qu’est-ce que ça serait… » Et membre de LR, vous n’imaginez pas !

Ce n’est pas le projet. LR n’est plus une conquête à séduire, mais un adversaire à terrasser. Dès son retour à l’Assemblée, Gabriel Attal érige l’héritier de l’UMP en concurrent. « On a l’opportunité de montrer nos différences avec LR », glisse-t-il, citant l’Europe et les énergies renouvelables. Place aux travaux pratiques. Le 6 avril 2025, le secrétaire général de Renaissance réunit les siens à Saint-Denis, dans une réunion aux allures de meeting présidentiel. Il cible la droite, coupable de s’être étonnée de la peine d’inéligibilité avec exécution provisoire prononcée contre Marine Le Pen quelques jours plus tôt. « Certains font parfois mine de ne pas voir ce qui nous distingue des LR ? Nous, on ne jette pas le discrédit sur la justice en remettant en cause ses décisions ou en affirmant qu’il y aurait des juges rouges », déclame-t-il. Dans les colonnes du Monde, il fustige fin juin les prises de position de LR dans de nombreux compartiments du jeu politique : environnement, Europe, sujets sociétaux comme l’IVG ou les thérapies de conversion, votes avec le Rassemblement national… Strike ! Une alliance présidentielle avec LR en 2027 ? Même pas en rêve. « Je ne vois pas de projet de société commun aujourd’hui entre Les Républicains et nous », tranche-t-il.

« Je suis un dangereux gauchiste en comparaison de lui »

Pas un hasard. Au printemps, Gabriel Attal décryptait sa stratégie elyséenne à un élu LR. Il compte porter une ligne progressiste sur les enjeux sociétaux, à rebours du conservatisme de Bruno Retailleau. Tout en prévenant son interlocuteur : la droite sera surprise par son audace régalienne, et n’aura d’autre choix que d’appuyer ses propositions. Ses « marqueurs ».

Que justice lui soit rendue. Interdire le voile aux mineurs de moins de 15 ans, LR n’y avait pas songé. « Je suis un dangereux gauchiste en comparaison de lui », se marre le député LR de Seine-et-Marne Jean-Louis Thieriot, un peu affligé par la proposition lancée par Gabriel Attal au mois de mai dernier. Lui fonce. Et tant pis pour les grincheux de son camp. « Défendre le macronisme, c’est aussi en défendre les idées. Est-ce que se grimer en LR est conforme au projet qu’on a essayé de monter depuis 2017 ? », se questionne faussement l’ex-ministre Marc Fesneau, désormais président du groupe MoDem à l’Assemblée. Même les cadres macronistes ramant davantage à tribord, pour beaucoup issus des rangs des Républicains, accusent l’ancien Premier ministre de « populisme bas de gamme » mêlé d’un « effet de panique »… allant même jusqu’à trouver Bruno Retailleau plus fin et plus constant.

L’offensive de Gabriel Attal contre la droite revêt une autre dimension stratégique. Elle invisibilise Edouard Philippe, coincé entre les deux pôles du socle commun. « Un étau se dessine entre un Retailleau qui assume la droite républicaine et la social-démocratie devenue ferme sur le régalien d’Attal », note un fidèle du patron des députés Ensemble pour la République (EPR). L’ancien Premier ministre l’a glissé à un parlementaire LR : « Le problème est chez nous, pas chez vous. » Entre Attal et Philippe, tous deux issus du bloc central, il y aurait un ambitieux de trop face à Bruno Retailleau. Le député des Hauts-de-Seine installe donc un duel avec le ministre de l’Intérieur. Aujourd’hui l’écologie, demain l’économie ? « On attend qu’il annonce sa volonté de pendre haut et court 700 000 fonctionnaires depuis la Place Beauvau, comme Fillon ! », se marre le proche cité plus haut.

« Beaucoup de reproches à faire aux LR »

Attal-Retailleau. Les deux hommes se connaissent mal. Un coup de fil du Vendéen après sa nomination à Beauvau ou un SMS envoyé pour s’assurer de la présence des députés dans l’hémicycle lors du vote sur l’allongement de la rétention des étrangers dangereux ne suffisent pas à créer de l’intimité. Gabriel Attal s’intéresse à ce rival en gestation, lui aussi tenté par l’aventure élyséenne. Cela tombe bien, l’ancien Premier ministre à un réseau assez dense à droite pour s’informer. Ce Retailleau, peut-il rassembler son camp ? Et ce nouveau siège de LR, en face du Palais Bourbon, il coûte combien ? LR peut se l’offrir ? Gabriel Attal va à la pêche aux informations. Le ministre de l’Intérieur observe aussi la trajectoire du patron de Renaissance, avec la certitude qu’il fait froid hors de l’exécutif. « Il faut que tu restes au gouvernement. Attal a disparu, comme Wauquiez », lui a récemment lancé une parlementaire LR. Il a acquiescé.

Le défi lancé à LR raconte l’ambition de Gabriel Attal. Elle esquisse aussi l’incompatibilité structurelle entre la droite et une partie du macronisme. Dans la relation tumultueuse qui les (dés) unit depuis 2017, entre procès en fanfaronnade et différences presque culturelles dans l’approche politique, les derniers mois constituent un pic de tensions. « En ce moment, nos députés ont beaucoup de reproches à faire aux LR », décrypte un cadre du groupe EPR, évoquant pêle-mêle les blocages à la loi PLM, les propositions de loi des sénateurs et le comportement des forces locales dans les négociations d’alliances aux prochaines municipales. Et puis, il y a ces vieux souvenirs d’une droite guère fiable lors de l’examen si douloureux de la réforme des retraites en 2023. « Pour qu’on observe chez les LR des divergences de fond, il faudrait encore qu’ils aient du fond », tançait en privé l’ex-Première ministre Elisabeth Borne il y a peu.

Tout cela, Gabriel Attal l’a bien compris. En mai, la porte-parole du gouvernement LR Sophie Primas s’amusait tout bas du service rendu à l’ancien Premier ministre après sa sortie médiatique blasphématoire sur la fin du macronisme. L’élu avait pu rassembler les siens autour d’une cause commune : la défense d’un ADN et le rejet de ce vieux partenaire trop arrogant. La droite, un adversaire décidément très utile pour Gabriel Attal.



Source link : https://www.lexpress.fr/politique/gabriel-attal-et-lr-de-la-seduction-a-laffrontement-les-dessous-de-sa-strategie-TTB4KEYEHZGDVG23SIHJI35ANM/

Author : Paul Chaulet

Publish date : 2025-07-11 15:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express