L’Express

Nucléaire : cette nouvelle Europe inventée par Emmanuel Macron et Keir Starmer

Nucléaire : cette nouvelle Europe inventée par Emmanuel Macron et Keir Starmer

Un mot aussi essentiel que peu commenté s’est glissé subrepticement dans le communiqué de la France et du Royaume-Uni sur la « coordination » des forces nucléaires française et britannique, prononcé jeudi 10 juillet à Northwood (nord-ouest de Londres) par le président Emmanuel Macron et le Premier ministre Keir Starmer. Le mot n’apparaît pas chez les ancêtres de ce communiqué baptisé « déclaration de Northwood », qui furent les deux premiers textes à avoir officialisé une coopération franco-britannique aussi poussée et institutionnalisée dans le domaine du nucléaire militaire : il ne figure ni dans la déclaration de Chequers, prononcée le 30 octobre 1995 par Jacques Chirac et John Major, ni dans le communiqué officiel publié à l’issue du sommet de Lancaster House le 2 novembre 2010 par Nicolas Sarkozy et David Cameron.

Chequers posait l’acte politique fondateur en reconnaissant la convergence des intérêts vitaux de la France et du Royaume-Uni et en fixant les bases d’une coopération renforcée. Lancaster House en apportait la concrétisation juridique et opérationnelle. Mais chacun de ces accords bilatéraux omettaient scrupuleusement de mentionner un mot. Dans la déclaration commune de Northwood, qui atteste à nouveau que « nous n’imaginons pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’un de nos deux pays, la France et le Royaume-Uni, pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l’autre ne le soient aussi », la phrase qui suit introduit l’air de rien ce mot de plus, le mot qui compte : « L’Europe ».

Dimension européenne de la dissuasion

« La France et le Royaume-Uni s’accordent sur le fait qu’il n’existe pas de menace extrême contre l’Europe qui ne susciterait pas de réponse de nos deux nations. » Ce que la déclaration dit sans le dire, c’est que non seulement les intérêts vitaux des deux pays sont convergents, mais que l’Europe fait partie intégrale de ces intérêts vitaux. Cette précision s’inscrit dans la continuité de la politique étrangère et de défense de la France. Le général de Gaulle, contrairement à une idée reçue qu’adorent véhiculer les récupérateurs souverainistes du gaullisme, avait déjà insisté sur la dimension européenne de la dissuasion française, à partir du constat évident que la sécurité et l’intégrité des voisins de la France, notamment l’Allemagne ou le Luxembourg, sont vitales pour notre sécurité nationale.

La déclaration de Northwood ne marque donc pas un virage. Ni par rapport à la doctrine nucléaire française sous De Gaulle, dont l’extension du périmètre des intérêts vitaux était déjà un élément clé, ni par rapport aux accords bilatéraux franco-britanniques de Chequers et Lancaster House. Elle réaffirme l’indépendance et la totale souveraineté des forces nucléaires des deux pays.

Ambiguïté stratégique

Elle apporte en revanche cette nouveauté fondamentale qu’est la mention explicite de l’Europe dans le périmètre de leur dissuasion respective. Quelles nations de l’Europe ? Quelles frontières ? Le texte se garde de le préciser, ambiguïté stratégique oblige. Mais l’européanisation de la dissuasion française franchit un pas, et elle le fait conjointement avec ce frère jumeau parfois perfide qui s’était pourtant éloigné de l’Europe, ce Royaume-Uni alter ego de la France en tout – également puissance nucléaire, également membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, deux anciens empires coloniaux dotés d’une même superficie, d’une même démographie, d’un même niveau de PIB et de tant d’autres points communs. « À ma connaissance, il n’y a pas deux pays au monde qui ont une telle intimité sur leur doctrine nucléaire désormais », a déclaré Emmanuel Macron. Implicitement, il a livré la clé de l’importance à avoir ajouté le mot « Europe » quand il a présenté la déclaration de Northwood : « C’est un message que doivent entendre nos partenaires… et nos adversaires. »

Vladimir Poutine a entendu, qui mène la guerre contre l’Europe en envahissant un pays souverain à sa frontière. Donald Trump a entendu, qui laisse planer un retrait américain de l’Otan. Les pays européens ont entendu, qui peuvent douter du parapluie nucléaire américain. Les Brexiteurs ont entendu, qui outre leur divorce absurde réprouvé par une majorité de Britanniques, constatent que leur sécurité nationale n’est pas dissociable de l’Europe, malgré la dépendance aux Etats-Unis de leur « bombe ». Dans un monde de prédateurs désinhibés, une nouvelle Europe s’est inventée à Northwood.

Marion van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure du “Piège Nord Stream” (Arènes)



Source link : https://www.lexpress.fr/monde/europe/nucleaire-cette-nouvelle-europe-inventee-par-emmanuel-macron-et-keir-starmer-YWRNEQWESFCLFFQ6QANOAMAYEU/

Author : Marion Van Renterghem

Publish date : 2025-07-11 14:50:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express