Un territoire militarisé, enclavé à la frontière avec l’Égypte, dans lequel seraient entassés 600 000 à 2 millions de civils palestiniens déplacés et traumatisés par la guerre. Ce projet a été présenté le 7 juillet par le ministre israélien de la Défense, lors d’une réunion avec des journalistes. En cas de cessez-le-feu dans la bande de Gaza avec le Hamas (actuellement en négociation au Qatar), Israël Katz proposerait l’établissement d’une zone fermée dans le sud du territoire pour y contenir la population. Si le ministre israélien a qualifié cette intention de « ville humanitaire », cette proposition a suscité un tollé, certains observateurs israéliens allant jusqu’à la qualifier de « camp de concentration ».
Selon le ministre de la Défense, cette zone, sécurisée à distance par Tsahal, accueillerait dans un premier temps quelque 600 000 déplacés originaires du sud de Gaza et comprendrait quatre centres de distribution d’aide humanitaire, gérés par des organisations internationales. A terme, l’ensemble de la population civile de Gaza, soit plus de deux millions de personnes, serait relocalisé dans cette zone.
Les nouveaux arrivants seraient soumis à un contrôle de sécurité pour assurer qu’ils ne sont pas affiliés au Hamas. Une fois admis, ils ne seraient plus autorisés à quitter la zone. Un projet assimilable selon ses détracteurs à du nettoyage ethnique, puisqu’il empêcherait des civils de regagner leurs terres et leurs logements.
« Camp de concentration »
Le gouvernement israélien ne s’étant pas prononcé publiquement sur ce projet de « ville humanitaire », il est pour l’instant difficile de dire s’il s’agit d’un plan concret de l’exécutif, ou bien d’une tactique de négociation pour mettre la pression sur le Hamas, dans les pourparlers sur une trêve et la libération des otages.
Une telle initiative serait néanmoins en phase avec les objectifs de longue date des ministres d’extrême droite, Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, partenaires clés de la coalition du Premier ministre Benyamin Netanyahou. Ces derniers n’ont jamais caché être favorables à reconstruire des colonies dans la bande de Gaza – d’où Israël s’est retiré en 2005 – ainsi qu’à encourager les Gazaouis à émigrer.
L’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, a ainsi comparé cette installation à un « camp de concentration ». L’ancien Premier ministre Ehud Olmert lui-même a déclaré que ce projet rappelait « les camps de concentration nazis construits pendant la Seconde Guerre mondiale », cite le Times of Israël.
L’avocate britannique des droits de l’Homme Helena Kennedy a repris ce terme auprès de la BBC, déclarant que le projet forcerait les Palestiniens à entrer dans un « camp de concentration ». Egalement membre de la Chambre des lords (chambre haute du Parlement au Royaume-Uni), cette avocate a déclaré que le plan – ainsi que les dernières actions d’Israël – l’a amenée à conclure qu’Israël commet un génocide à Gaza. « J’étais très réticente à employer ce terme […] L’intention spécifique doit être démontrée pour qu’il y ait génocide. Mais ce que nous observons aujourd’hui, c’est un comportement génocidaire », a-t-elle déclaré.
« Crime de guerre »
Le projet suscite également l’inquiétude parmi des juristes israéliens. Vendredi, 16 universitaires spécialisés en droit international ont adressé une lettre à Israël Katz et Eyal Zamir, le chef de l’armée, les avertissant que ce plan pourrait constituer un crime de guerre. « Si ce plan était mis en œuvre, il constituerait une série de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité et, dans certaines conditions, pourrait être assimilé au crime de génocide », peut-on lire dans cette lettre.
Pour rappel, depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a identifié « des preuves claires » de crimes de guerre commis à la fois par l’organisation islamiste et par les forces de défense israéliennes. La Cour Pénale internationale a également émis des mandats d’arrêts contre plusieurs dirigeants du Hamas et d’Israël.
Division au sein du commandement israélien
Ce plan ne fait cependant pas l’unanimité auprès du commandement israélien. Les médias ont rapporté que le chef d’état-major, le lieutenant-général Eyal Zamir, avait fustigé cette proposition lors d’une réunion du cabinet, arguant qu’elle détournerait l’attention des deux principaux objectifs de la guerre : anéantir le Hamas et obtenir la libération des otages. « Les chefs militaires israéliens auraient prévu d’avertir les ministres du gouvernement […] que ce projet ambitieux pourrait prendre des mois à mettre en œuvre et compromettre les négociations en cours », précise le Times of Israël.
La chaîne de télévision 12 a indiqué que des responsables sécuritaires considéraient ce plan comme une simple « immense ville de tentes » et ont mis en garde contre le risque d’un retour de l’administration militaire israélienne à Gaza. L’annonce a également suscité de vives critiques parmi l’opposition. Le coût estimé du projet – entre 10 et 20 milliards de shekels (environ 2,5 à 5 milliards d’euros) – alimente en effet la controverse, alors que le pays fait face aux coûts faramineux de la guerre.
« Cet argent ne reviendra pas », a écrit dimanche sur X le chef de l’opposition, Yaïr Lapid. « Netanyahou laisse Smotrich et Ben Gvir s’enfoncer dans leurs délires extrémistes juste pour préserver sa coalition. Plutôt que de prendre l’argent de la classe moyenne, il devrait mettre fin à la guerre et ramener les otages » retenus à Gaza, a-t-il ajouté.
On ne sait pas dans quelle mesure le plan de Katz bénéficie de la popularité du grand public, mais des sondages récents indiquent qu’une majorité d’Israéliens (82 % selon le quotidien de gauche Haaretz) est favorable à l’expulsion des Palestiniens de Gaza.
Négociations qui patinent
Au-delà des controverses sur la nature de la situation à Gaza, cette nouvelle annonce enterre, un peu plus, l’espoir d’une trêve dans l’enclave. Un responsable palestinien au fait des négociations a déclaré samedi à l’AFP que le Hamas avait rejeté les propositions israéliennes, les jugeant destinées à « entasser des centaines de milliers de personnes déplacées dans une petite zone à l’ouest de Rafah ». Selon cette source, le Hamas considère cette mesure comme une « préparation à leur déplacement forcé vers l’Egypte ou d’autres pays ».
Depuis plusieurs semaines, des négociations restent bloquées sur des questions telles que la pérennité d’une éventuelle trêve, le retrait des forces israéliennes du territoire et l’acheminement de l’aide humanitaire. Israël souhaite pouvoir reprendre la guerre après une trêve, tandis que le Hamas exige des garanties que tout cessez-le-feu se transformera en cessation totale des hostilités. « Le nouveau plan israélien rend une telle éventualité bien moins probable, car il garantirait que les troupes israéliennes conservent le contrôle d’une vaste zone sur laquelle le Hamas cherche à reprendre le contrôle », résume le New York Times.
La guerre dans le territoire palestinien, déclenchée après les attaques du 7 octobre 2023, dure maintenant depuis vingt-deux mois. Officiellement, plus de 50 000 civils sont morts, tandis que des dizaines de milliers sont toujours portées disparus, sous les décombres.
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Publish date : 2025-07-14 16:45:00
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