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« La Chine écrase tout » : comment Pékin fait main basse sur les mines du monde entier

« La Chine écrase tout » : comment Pékin fait main basse sur les mines du monde entier

Patiemment, à coups de milliards de dollars, la Chine tisse sa toile. Elle n’est pas faite en soie d’araignée, plutôt en nickel, cobalt, cuivre ou lithium. Et elle s’étend un peu partout dans le monde. L’an dernier, les investissements chinois dans les mines à l’étranger ont atteint leur niveau le plus élevé depuis plus d’une décennie. D’après les données regroupées par S&P et Mergermarket, dix contrats d’une valeur dépassant les 100 millions de dollars ont été signés en 2024. Une autre étude de l’institut Griffith Asia, basé en Australie, évalue à 21,4 milliards de dollars les engagements pris par Pékin dans le secteur minier hors de ses frontières. Soit 10 % de plus qu’en 2023. Une course à la sécurisation des matières premières et métaux essentiels pour de nombreux pans de la transition énergétique.

« La mine est un dirty business, mais nécessaire si nous voulons vivre dans un monde moderne », pointe Anthony Milewski, fondateur de The Oregon Group, une société de recherche en investissements spécialisée dans ce secteur. Pendant longtemps, l’Union européenne, entre autres, a fermé les mines opérant sur son territoire. Elle a délocalisé sa production à l’étranger, en même temps que certaines préoccupations relatives à l’environnement et aux conditions de travail. Le champ était libre pour qui voulait s’y engouffrer. « Au cours des quinze dernières années, les Etats-Unis, le Canada et la plupart des pays d’Europe n’ont pas formalisé de politiques d’investissements dans les matériaux de base. Pékin, au contraire, a engagé des dizaines de milliards de dollars dans des projets miniers à travers le monde. La Chine écrase tous les autres pays, et cette tendance s’accélère à mesure que les tensions avec les Etats-Unis augmentent et que la militarisation du dollar se poursuit », analyse l’expert américain.

« Une décision de sécurité nationale »

Les annonces chinoises donnent, en effet, le tournis. Août 2024, l’entreprise publique Chinalco annonce vouloir injecter 2 milliards de dollars dans la plus grande mine d’or et de cuivre des Philippines. Octobre : China Metallurgical Industry dévoile un plan d’investissement de plus de 5 milliards de dollars dans une mine de cuivre afghane. Le mois suivant, plusieurs entreprises chinoises promettent la même somme au gouvernement zambien pour augmenter la production de cuivre et de cobalt. En Bolivie, l’exécutif et le consortium CBC signent un accord pour la construction de deux usines d’extraction de lithium. Le deal avoisine le milliard de dollars.

Nouvelle année, même dynamique. Avril 2025 : le groupe Baiyin Nonferrous rachète Mineração Vale Verde, filon brésilien d’or et de cuivre, pour 420 millions de dollars. A quelques jours près, le n° 1 chinois, Zijin Mining, finalise l’acquisition de la mine d’or d’Akyem, au Ghana, pour 1 milliard de dollars. Le même groupe s’apprêterait à acquérir une gigantesque mine d’or au Kazakhstan pour une somme encore supérieure… En 2020, selon les données du cabinet spécialisé Benchmark Mineral Intelligence, les sociétés chinoises possédaient, à l’étranger, une mine de lithium, huit de nickel et 14 de cobalt. Cinq ans plus tard, elles en comptent respectivement 12, 31 et 33.

La Chine possède elle-même certaines ressources sur son territoire. A l’image des terres rares, dont elle détient un quasi-monopole et qu’elle utilise comme une arme commerciale. Mais la géologie est tenace : les gisements de matières premières ne se déplacent pas. D’où l’intérêt de faire main basse sur ce type d’actifs où qu’ils se trouvent. D’après l’institut Griffith Asia, Pékin détient déjà plus de 80 % des ressources mondiales de graphite, et contrôle le traitement de 50 % du lithium, du nickel, du cobalt et du graphite. « Pour la Chine, ce n’est pas une décision économique, mais de sécurité nationale. Elle pense cette allocation de capital en termes de construction du pays », relève Anthony Milewski. Elle doit aussi et surtout alimenter de très vastes marchés intérieurs liés à la transition énergétique – véhicules électriques, batteries, panneaux solaires… – et à d’autres produits de haute technologie.

Le goût du risque

Si les entreprises chinoises dominent tant le monde minier, c’est qu’elles sont disposées à prendre plus de risques que leurs concurrentes occidentales. Quand les premières sont très largement soutenues par l’Etat, les secondes doivent rendre des comptes à leurs actionnaires. « Dans certains pays africains, par exemple, il y a une augmentation de la nationalisation des ressources. Les gouvernements veulent plus de contrôle, et peuvent finir par s’emparer d’un actif, note Adam Webb, responsable des minéraux au cabinet de conseil Benchmark Mineral Intelligence. C’est évidemment un risque pour toute entreprise. Mais qui refroidit moins les Chinois que les Occidentaux. »

Ces derniers, en revanche, commencent à sérieusement regarder les flux venant depuis Pékin sur leur territoire. C’est notamment le cas de l’Australie et du Canada. En 2022, Ottawa a contraint trois investisseurs chinois à vendre leurs participations dans des sociétés minières nationales, et renforcé le contrôle des transactions entrantes dans le domaine des minéraux critiques. Ce qui ne semble pas avoir coupé le robinet : près de 1,6 milliard de dollars venant de Chine et de Hongkong ont afflué l’année suivante, selon une étude de l’université de l’Alberta. Des mesures protectionnistes similaires ont été introduites dans l’Inflation Reduction Act (IRA) aux Etats-Unis.

L’Europe cherche également à se détacher de la dépendance chinoise et sécuriser son industrie minière. C’est tout l’enjeu du Critical Raw Materials Act (CRMA), entré en vigueur l’an dernier. En mars, 47 projets stratégiques – dont huit en France – ont été dévoilés par la Commission européenne. « Ils ne se limitent pas au continent. Certains sont en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud, en Asie centrale. Il y a donc une prise de conscience de la nécessité d’investir en dehors d’Europe ou des Etats-Unis, indique Adam Webb. Reste à savoir si ces investissements arriveront à temps, ou si les pays jugeront plus simple de continuer à passer par la Chine. »



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Author : Baptiste Langlois

Publish date : 2025-07-14 06:45:00

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